Procès du 20/01/2006, Tribunal de Grande Instance d'Evry

Le procès a attiré 150 à 200 personnes au TGI d'Evry, et la salle d'audience n'était pas assez grande pour contenir tout le monde. C'est pourquoi le tribunal s'est installé dans la salle de cour d'assises pendant le procès, afin que tous puissent y assister. En effet, bien que l'affaire en question ait été la neuvième affaire de l'après-midi (début du procès à 20h20), presque personne ne s'était découragé. Le public était mjoritairement composé de jeunes, la plupart étudiants et amis des inculpés, ou simplement engagés contre la biométrie sans les connaître. L'audience a duré 3h30, donc jusqu'à minuit environ. A noter qu'une première audience avait eu lieu le 16 décembre, mais avait dû être reportée pour cause de maladie d'une des prévenus.

Il s'agissait de juger Célia Izoard et Anne-Sylvie Saulnier, deux étudiantes en philosophie, ainsi que Julien Quès, sans profession. Ils étaient accusés d'avoir détruit des machines de biométrie (identification par le contour de la main) en réunion après intrusion dans un établissement scolaire à Gif-sur-Yvette le 17 novembre 2005. La partie civile, à savoir le proviseur de l'établissement scolaire, était absente et non représentée. Sa demande de dommages et intérêts de 20000 € ne pouvait donc pas être prise en compte. Les trois inculpés reconnaissent avoir manifesté dans le lycée dans le but de sensibiliser les élèves contre la biométrie et de les informer, mais ils ne reconnaissent pas la destruction des machines de biométrie.

Description des faits :

La police a été appelée à 11h45 pour une intrusion dans la cantine. Les intrus portaient des sacs poubelles par dessus leurs vêtements, des masques et des gants. Ils distribuaient des tracts et ont détruit les machines de biométrie. Puis ils ont pris la fuite et ont envoyé des tracts depuis l toit d'une voiture. Trois d'entre eux (les inculpés) ont été retenus sur le parking. Le proviseur a été entendu au préalable sur les faits : après avoir été prévenu, il s'est rendu sur les lieux et a vu une douzaine d'individus s'enfuir. Ils ont alors été pris en chasse par le personnel de l'établissement, et trois d'entre eux ont été interpellés. S'est ensuivi une bagarre pour les libérer entre le personnel et les manifestants, et une personne a été blessée aux deux avant-bras. Les dommages pour les machines sont estimés à environ 20000 €. Un des surveillants accuse l'inculpé Julien Quès d'avoir, seul, avoir détruit un des appareils à l'aide d'une masse. C'est lui qui l'a alors maîtrisé. Il affirme qu'à l'époque l'inculpé portait la barbe.

Enquête sur les faits :

Voilà la retranscripion des questions posées par Mme la présidente Chantal Dreno et des réponses des prévenus :

* Concernant l'accuation portée par le surveillant à l'encontre de Julien Quès :
- Julien Quès : Je n'ai commis aucune violence et je ne suis pas entré dans la cantine, mais j'ai distribué des tracts à la porte. Je suis ensuite parti en même temps que tous les autres. Après être sorti, je me suis fait étrangler par un surveillant, puis j'ai réussi à m'échapper. J'ai ensuite essayé de calmer la situation, et il n'y a pas eu de fuite. En voyant un ami se faire arrêter avec violence, j'ai essayé de les séparer. C'est alors qu'on m'a maîtrisé et emporté jusqu'à une salle. Si on m'accuse, c'est parce que le surveillant a voulu chercher un coupable, et qu'il a donc accusé la seule personne qu'il avait sous la main.

* Le surveillant affirme que Julien Quès a été empoigné à l'intérieur, alors que ce dernier affirme ne pas être rentré.
- Julien Quès : Il s'agissait de l'intérieur du bâtiment, pas de la cantine. C'est en m'immisçant entre deux personnes que je suis tombé, et pour moi il est impossible pour le surveillant d'avoir reconnu qui que ce soit.

* Qu'est-ce qui était prévu à l'origine, lors des réunions préparatoires ?
- Julien Quès : Il 'y a pas eu de réunion. J'ai été prévenu deux jours auparavant par une amie qu'il allait y avoir une manifestation contre la biométrie et son utilisation sauvage. Il était en fait prévu de faire une saynète théâtrale pour informer les élèves. Le principal était d'être présents et de distribuer les tracts, dont j'ai pris connaissance le jour même.
- Célia Izoard : Il n'y a pas eu de réunion. J'ai été prévenue par un ami la veille, qui m'a remis un exemplaire des tracts. J'ai tout de suite été très enthousiaste et scandalisée par ces machines. Nous devions bien mettre en place une petite improvisation sur le thème : esprit concentrationnaire. Nous en avons seulement discuté sur le chemin entre la gare et le lycée, et nous pensions marcher les uns à la suite des autres, comme des machines, en faisant les mêmes gestes et en prononçant les mêmes paroles, ça pouvait être drôle.
- Anne-Sylvie Saulnier : Une amie m'a prévenue le mardi. Je savais qu'il existait des dispositifs biométriques dans certains lycées, mais j'ai été étonnée qu'il y en ait si près de Paris. Je voulais en parler avec les élèves et j'ai trouvé l'idée judicieuse. La saynète prévue n'était pas figée, mais était simplement un moyen pédagogique pour lancer un débat et un échange avec les lycéens. Vu que nous avions tous fait du théâtre et que nous étions investis auprès des jeunes, il n'y avait pas vraiment besoin de coordination. De plus toute coordination aurait été difficile, car on ne savait pas qui serait là. Il était simplement prévu d'en discuter en arrivant sur les lieux avec le fil conducteur de la dénonciation de l'utilisation de la biométrie. Le rendez-vous était un peu avant midi à la gare de Saint-Rémy-les-Chevreuses. Là, j'ai retrouvé d'autres étudiants de la Sorbonne.
- Célia Izoard : Nous avions rendez-vous vers midi, et c'est là qu'on nous a donné les sacs, les gants et les masques. J'ai fait du théâtre pendant 5 ou 6 ans, et la saynète me paraissait logique et facile. J'avais pensé à l'improvisation d'un défilé macabre sur le thème : "Voilà ce que sera le monde demain". En discutant avec les gens sur le chemin, je me suis rendue compte que c'est aussi ce qu'ils avaient en tête.
- Julien Quès : Nous avions rendez-vous entre 11h et 12h. Il est facile d'improviser quelque chose en très peu de temps.

* Pourquoi avait-on prévu des sacs, des gants et des masques ?
- Julien Quès : Je pense que c'était bien d'avoir prévu des costumes, et comme on ne pouvait pas prévoir le nombre de participants, il fallait des choses simples.
- Anne-Sylvie Saulnier : L'arrivée s'est faite dans une ambiance joyeuse, les masques étaient colorés, ils n'avaient pas pour but d'effrayer les élèves ou de créer une ambiance de menace. C'était du matériel de récupération, les masques étaient peints à la main.

* On peut penser que tout était prémédité, et que les déguisements servaient à ne pas être reconnus.
- Célia Izoard : On pourrait le penser mais ce n'est pas le cas. Les costumes étaient assez logiques. Pour ma part, je suis arrivée en retard. J'ai rencontré les gens sur le chemin, j'avais amené des exemplaires des tracts (dont j'avais pris connaissance la veille).
- Anne-Sylvie Saulnier : Pour ma part j'ai découvert les tracts avant d'entrer.
- Julien Quès : Je ne avais même pas qu'il y avait une masse.
- Anne-Sylvie Saulnier : Moi non plus. J'ai été très étonné quand on m'a dit que les machines avaient été détruites. Je ne les ai jamais vues.
- Célia Izoard : Je n'ai vu aucune masse. C'est devant le bureau de la gendarmerie que je l'ai vue pour la première fois. Nous étions plus de douze, au moins quinze, et même sûrement plus. Mais il n'y avait pas de masse.

* Puisque ce n'était pas prémédité, pourquoi aviez-vous prévu le nom d'un avocat ?
- L'avocate, Me Irène Terrel : Le choix de l'avocat est libre, vous n'avez pas à interroger les prévenus là-dessus.
- Célia Izoard : Il existe peu d'avocats qui pratiquent des tarifs arrangeants et qui défendent des jeunes qui participent à des manifestations. Le nom de ces avocats est connu dans le milieu. Et nous avons tous déjà participé à des manifestations auparavant.

* Dans le tract, on peut lire : "et n'hésitons pas à en saboter d'autres".
- Célia Izoard : J'ai posé la question, et on m'a répondu qu'on voulait les arrêter, pas les détruire. Je n'imaginais pas du tout ce qui s'est passé, je n'étais pas venue pour ça mais pour la saynète. J'imaginais qu'ils allaient les déconnecter, mettre de la peinture. Saboter signifiait simplement arrêter les machines, car ce type de contrôle est scandaleux. Le seul intérêt de l'intervention était d'être là, de parler de la biométrie et d'attirer l'attention. La destruction n'est pas cohérente avec le reste de la manifestation.
- Anne-Sylvie Saulnier : J'ai pris connaissance des tracts sur le chemin. J'étais assez d'accord sur la façon de dénoncer la biométrie. Le discours devait être recevable pour des lycéens, le mot sabotage était symbolique.
- Julien Quès : J'étais plutôt concentré sur le discours aux lycéens et la saynète. Sabotage évoquait pour moi l'image de la colle dans la serrure. Lorsque j'ai demandé, on m'a répondu q'on ne savait pas, qu'on allait les débrancher ou couper les fils. De toute manière je n'étais pas là pour ça.

* Vous êtes censés distribuer uniquement des choses que vous cautionnez.
- Julien Quès : Je pense que nous avons un rôle à jouer plus important que cette ligne au bas du tract. Pour moi c'est un détail.

* Si vous aviez su ce qui allait se passer, seriez-vous venus ?
- Célia Izoard : Détruire avec une masse est contre-productif. Mais je suis tout de même contente d'être allée là-bas pour faire ça. C'était un peu comme un acte politique. Mais les choses se sont mal passées, un moyen incongru a été utilisé. Le fait de dégrader n'est pas si grave par rapport à la manière dont on instrumentalise les enfants pour leur faire subir ce genre de contrôle. Mais ce n'est pas ce que j'étais venue faire.

* Vous estimiez que, parce que ce sont les industriels qui proposent ces machines aux établissements, ça ne coûte rien à la communauté ?
- Célia Izoard : Je n'avais pas imaginé un endommagement total. Malgré tout je trouve cele scandaleux d'investir tant d'argent pour cela.
- Anne-Sylvie Saulnier : Je ne me sens pas responsable.
- Julien Quès : Je ne me sens pas non plus responsable. Je ne regrette rien, vu le soutien que nous avons reçu depuis les faits. Etant donné la gravité de la biométrie et l'illégalité des appareils, je suis incapable de me désolidariser de cette casse. Je ne suis pas coupable des faits, mais je les cautionne.

Nous n'avons pas pu assister à la fin du procès. Restait encore l'audition des témoins, l'enquête de personnalités, le réquisitoire du ministère public et la plaidoirie de l'avocate de la défense.

En ce qui concerne l'audition des témoins, le surveillant qui accusait Julien Quès l'a disculpé : en discutant avec ses collègues, il s'est rendu compte de son erreur concernant l'identification du garçon.
Les témoins de moralité ont ensuite essayé de justifier l'action des manifestants, mais la juge, comme pendant l'interrogation des inculpés d'ailleurs, a essayé de couper court à toute expression sur la biométrie et ses méfaits sur les enfants.

Le procureur a requis trois mois de prison avec sursis et 105 heures de travaux d'intérêt général. Les prévenus ont déclaré qu'ils refusaient de les effectuer s'ils étaient reconnus coupables.

L'avocate de la défense, après avoir dénoncé l'ensemble de l'idéologie biométrique et l'illégalité du système biométrique qui était installé à Gif-sur-Yvette, a demandé la relaxation des inculpés. En effet le dispositif n'avait pas reçu l'aval de la CNIL.

Le jugement a été différé au 17 février.

Le tribunal a finalement prononcé trois mois de prison avec sursis, 500 € d'amende par prévenu et 9000 € de dommages et intérêts.