Controverse - Refroidir la Terre ?
Refroidir la Terre ?

Augmenter l'albedo des nuages  

La méthode de géoingénierie proposée par John Latham, du centre national de recherche atmosphérique à Boulder, Colorado, séduit par son apparente simplicité: à partir de l'eau de mer et du vent, elle pourrait, en théorie, contre-balancer le réchauffement climatique. Voyons donc en quoi consiste cette méthode de façon plus précise.

Les origines : « L’effet de Twomey »

En 1977, Twomey décrit un phénomène reliant la concentration d’aérosols dans l’air avec le bilan radiatif terrestre. Celui-ci, souvent appelé « premier effet indirect des aérosols » ou simplement « l’effet Twomey », décrit l'impact d'une augmentation de la concentration des aérosols sur la taille des gouttelettes des nuages. Les aérosols peuvent jouer le rôle des noyaux de condensation nuageuse (CCN), donc avec plus d'aérosols, plus de gouttelettes sont créées. Pour un contenu en eau liquide du nuage constant, les gouttelettes individuelles sont donc plus petites et la surface totale des gouttelettes du nuage augmente. Et plus la surface réfléchissante d’un nuage est importante, plus la lumière sera réfléchie par le même et plus « blanc » il nous paraîtra depuis l’espace. Ce forçage anthropogénique modifie donc le bilan radiatif terrestre.


Albédo des stratocumulus marins en fonction de leur
concentration en noyaux de condensation – Latham 2007


L’idée de doper les nuages

Un peu plus de dix ans plus tard, John Latham eu l’idée d’utiliser ce principe afin de contrer le réchauffement climatique.

L’idée, selon les précurseurs de cette méthode, est simple en soi : il s’agirait juste de reproduire de façon efficace et contrôlée, un phénomène qui à déjà lieu dans la nature, à savoir celui de la création de CCN, et de doper des nuages avec ceux-ci pour augmenter leur albédos, mais en prenant soin de bien les cibler. La production de CCN est assurée dans la nature par le phytoplancton et certaines algues marines qui produisent du diméthylsulfonio-propionate. Cette molécule, après subir une chaîne de réactions chimiques dans l’atmosphère, donne naissance à des aérosols sulfatés d’origine naturelle qui représentent la principale source de noyaux de condensation de nuages au-dessus des océans. Les nuages concernés par la méthode de Latham sont les stratocumulus marins car ceux-ci présentent significativement moins de CCN que le reste des nuages et se trouvent à des basses altitudes ne dépassant pas les 2000m ce qui permet d’avoir moins d’aléas au niveau de la dissémination des CCN. Mais surtout car les CCN en question proviennent aussi de la mer.


Les nuages plus noirs : les strato-cumulus marins

En effet, Latham a montré que des gouttelettes d’eau salée ayant un rayon de l’ordre du micromètre constituent des CCN très efficaces, car ces noyaux s’activent à des niveaux de sursaturation inférieurs aux CCN qu’on trouve dans la nature.

Plus précisément, quand des gouttelettes d’eau de mer rentrent en contact avec l’atmosphère, l’eau s’évapore progressivement des particules de sel donnant ainsi une solution de plus en plus sursaturée jusqu’au point où ces particules attirent les molécules d’eau, qui se condensent à leur contact. Le seul problème d’utiliser les cristaux de chlorure de sodium (NaCl) présents de façon abondante dans la mer en tant que CCN, est que les gouttelettes d’eau ainsi formées au sein du nuage ont une vie de 24 heures dans l’atmosphère, c’est pourquoi la dissémination de CCN doit se faire de façon continue.

En 2002, Latham a mené à bout des calculs pour quantifier les variables de la méthode dans laquelle il travaille. Si les conditions nuageuses sont correctes, c'est-à-dire s'il y a déjà un minimum de nébulosité, alors la dissémination de 1018 gouttelettes d’eau salée par seconde répartis de façon optimale dans tous les océans suffit pour contrer l’augmentation de température liée à l’augmentation du CO2 dans l’atmosphère. En prenant des gouttelettes de l’ordre du micromètre, ceci équivaut environ à un demi mètre cubique d’eau salée par seconde.

Bien que le principe de la méthode de refroidissement de la planète proposé par Latham soit simple, il est beaucoup moins simple de concevoir l’ingénierie nécessaire pour la mettre en œuvre effectivement. Comment pulvériser l’eau en des milliards de gouttelettes micrométriques et comment les faire monter dans l’atmosphère pour qu’elles atteignent les stratocumulus ?

L’ingénierie derrière la méthode

Latham et Salter envisagent la construction de vaisseaux ressemblant à des catamarans où des atomiseurs à turbine centrifuge seraient installés. Chaque vaisseau doit avoir un système GPS pour pouvoir les repérer. A cause de l’aléa que représentent les courants d’air horizontaux, il faut que le système de dissémination des gouttelettes soit dans une boucle de contrôle. Ainsi des mesures d’albédo doivent être prises par des satellites sur les lieux où se trouvent les vaisseaux pour avoir une idée du pourcentage d’aérosols qui deviennent effectivement des CCM et ainsi ajuster la quantité produite.

Un autre aspect fondamental est l’autonomie des vaisseaux. De cette façon, les vaisseaux doivent fonctionner à base d’énergie éolienne qui doit suffire pour leur déplacement, le fonctionnement de la turbine qui assure la pulvérisation de l’eau salée et pour en stocker dans le cas où des périodes sans vent se présentent. Les vaisseaux se déplaceraient perpendiculairement au vent principal pour maximiser le rendement du convertisseur d’énergie éolienne. Toutes les variables dont dépend la génération des micro gouttelettes ont été étudiées en détail par Salter et Sortino, respectivement de la faculté d’ingénierie et d’informatique de l’université d’Edinburgh , et ont publié leur résultat sur un possible développement de logiciel pour ces vaisseaux ainsi que des résultats concernant les conditions que doit satisfaire chaque élément mécanique des vaisseaux et des turbines dans un article intitulé Sea-Going Hardware for the Implementation of the Cloud Albedo Control Method for the Reduction of Global Warming.

Une esquisse de l’aspect qu’auraient ces vaisseaux à été réalisée par un artiste sous la demande de Salter :


Comment choisir les sites mieux adaptés ?

Les dernières centaines de mètres de l’atmosphère sur les océans est appelé couche de surface ou couche limite de turbulence atmosphérique. En moyenne cette couche a une profondeur de 850 mètres. La friction entre l’eau de l’océan et le vent est à l’origine d’importants phénomènes de turbulence qui ne sont plus observés du tout au delà de la limite supérieure de la couche de surface. Ainsi d’importants courants d’air ascendants sont générés ce qui assure que les aérosols disséminés depuis la surface de l’océan vont effectivement être entraînés jusqu’aux altitudes où se forment les premiers stratocumulus. Les courants d’air horizontaux doivent cependant être surveillés pour éviter que les aérosols ne partent trop loin de leurs nuages cibles. Les meilleurs endroits pour réaliser les dopages en CCN doivent avoir :

  • De l’ensoleillement (par dessus les stratocumulus) pour pouvoir effectivement réfléchir des rayons du soleil.
  • Des strato-cumulus marins assez bas car les aérosols ne peuvent pas être transportés au-delà de la couche limite de turbulence.
  • Une faible densité de bateaux et d’icebergs.
  • Un vent modéré avec une intensité stable pour pouvoir déplacer les vaisseaux, mais pas trop violent pour qu’il ne puisse pas entraîner la totalité des aérosols.

Finalement, les vaisseaux doivent se trouver loin des courants d’air qui vont sur les continents, à cause des possibles effets sur les précipitations que peut avoir une augmentation de CCN sur des « mauvais » nuages.


La méthode aujourd’hui

Les donnés nécessaires pour se faire une idée des meilleurs endroits pour déployer la méthode ont été recueillies ce qui permet de développer des logiciels pour les vaisseaux et de spécifier les composantes mécaniques au moins de façon tentative. Ainsi dans la dernière publication de Latham et Salter (date + lien), ils donnent une liste, qui n'est pas définitive, de ces composantes, ce qui leur a permis de calculer un prix estimatif de 50 millions de dollars (lien) pour développer le projet.

Actuellement, le groupe de chercheurs ingénieurs qui travaille dans ce projet affine les donnés pour pouvoir convaincre des éventuels sponsors de la faisabilité et l’efficacité de la méthode.


L'aspect controversé de la méthode

Il est évident que le côté "efficace et contrôlé" de la méthode est controversé. Même si aucune expérience n'avait encore été effectuée, en novembre 2005, le Département pour l'Environnement, la Nourriture et les Affaires Rurales britanique, la DEFRA, a formulé une série d’objections spécifiques à la méthode de géoingénierie de Latham et Salter. Il faut cependant ce placer dans le contexte de cette année là, où le recueil des données météorologiques n’avait pas encore été finalisé et où les publications issues de ces résultats n’existaient pas.

D’abord, la DEFRA s’inquiète sur les effets météorologiques inconnus que peut avoir l’amplification de l’écart de température entre les océans et les continents qui aura lieu dans le cas d’appliquer la méthode. En effet, les températures au niveau des océans diminueraient car moins d’énergie solaire leur parviendrait. Ensuite, des critiques sont adressées à la technologie derrière la méthode. Celle-ci n’est pas encore totalement définie et ne possède donc aucun retour d’expérience. Dans ces conditions, la DEFRA trouve difficile d’investir dans la méthode. Une remarque est faite sur l’impossibilité d’avoir des mesures précises sur la diminution de la température. Il serait alors difficile de vérifier l’efficacité de la méthode. D’autres remarques plus générales et communes à toutes les méthodes de géoingénierie, comme les conséquences écologiques, l’acceptation publique et le fait de masquer les émissions de CO2 au lieu de les éviter sont aussi présentées. La DEFRA fait aussi voir que la méthode serait déployée sur le territoire d’une multitude de pays et donc nécessiterait d’un soutien international qui impliquerait un consensus politique qui serait difficile à avoir. Mais le principal argument pour justifier le refus d’aide financière est qu’on n’est pas encore à un point où il y aurait une pression pour une solution d’urgence donc la DEFRA accorde peu d’investissement pour les recherches dans ce domaine.

Il faut savoir qu’au Royaume Uni, une expérimentation sur les modifications du climat en 1952 à Lynmouth, plus précisément une expérience sur la production artificielle de pluie, a aboutit à une inondation et 35 personnes mortes. Depuis, la DEFRA s’oppose catégoriquement à l’utilisation de la géoingénierie et mène une politique vis-à-vis du réchauffement climatique de diminution des émissions de CO2. Ainsi, Salter n’a pas eu l’appui financier de la DEFRA pour financer le développement de la méthode, notamment pour la construction d’un prototype des vaisseaux.

Pour plus de renseignements, un résumé du "dialogue" entre la DEFRA et Latham et Salter est disponible ici [lien : http://www.see.ed.ac.uk/~shs/Global%20warming/Albedo%20control/Reply%20to%20DEFRA%202.pdf ]

Historique méthode

1990 : Première publication de l'idée de Latham dans la revue Nature. Uniquement le principe est décrit, c'est le début.
1990 jusqu'à aujourdhui : Consolidation d'une équipe de scientifiques chercheurs travaillant sur cette methode au sein d'une organisation, « global cooling ». Elle est présente depuis la toute premiere publication sur le sujet dans la revue Nature. Leur budget, idées et publications se trouvent accessibles sur internet et sont résumées ici [lien: http://www.planetwork.net/climate/cooling/Global%20Cooling%204-08.pdf]
2002 : Publication ayant un souci de quantification des variables de la méthode: ordres de grandeurs y sont précisées mais il s'agit encore d'un stade plutot embryogénique.
2002 – 2007 : Recueil de données météorologiques.s
2004 : Lors de la conférence de géoingénierie en Angleterre (organisée par le MIT et le Tyndall Centre for Climate Change Research), Latham présenta le concept encore une fois et obtient le concensus que son idée est assez plausible pour la soutenir.
2007 - 2008 : Détail l’ingénierie nécessaire et développement d’un logiciel pour les vaisseaux, estimation du coût de la méthode.



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