Interview de M. Huneau, Professeur, UFR de Biologie et Nutrition Humaines. Généralités.

Globalement, le lait n’est ni bon ni mauvais, il ne faut pas avoir peur de le dire. Il n’y a pas de raison d’en refuser la consommation, mais il y a des risques liés à la surconsommation. Le lait est composé d’eau, de matières grasses, de protéines, de sucres. En gros, ces trois produits sont répartis homogènement (1/ 3 de l’extrait sec chacun). Enfin, en quantités plus limitées, on trouve des minéraux comme le calcium. Le lactosérum contient des protéines comme la tryptophane, qui est très rare et aurait des répercussions sur l’humeur, peut-être le sommeil. Une vieille histoire raconte de plus que l’arrêt de la consommation de lait, de blé lutterait contre l’autisme chez l’enfant. Il parait improbable que le lait soit la cause de ces changements, par contre l’importance de la variation de régime alimentaire peut marquer de manière importante le comportement de l’enfant.

Quelles sont les qualités du lait dans la lutte contre l’ostéoporose ? Le lait est cité par de nombreux détracteurs comme un facteur d’augmentation des risques d’être touché par l’ostéoporose, alors que les promoteurs du lait vantent sa richesse en calcium.

Ca n’a pas vraiment de sens : le lait est une source de calcium énorme. On entend souvent dire que celui-ci est mal assimilé par l’organisme, et c’est vrai. L’organisme l’assimile à hauteur de 35 à 40%. Cela dit, c’est toujours mieux que TOUTES les autres sources de calcium : 30-35% pour les cachets de calcium en général, un peu moins encore pour le calcium végétal. Le lait reste bien la meilleure source de calcium qui soit. Il n’y a pas vraiment de raison pour que le lait provoque l’ostéoporose, et il lutte même contre.

Par rapport aux cancers, notamment le cancer des ovaires, y-t-il un lien avec la consommation de lait ?

Le cancer des ovaires n’a rien à voir avec l’alimentation. Il n’est pas à exclure qu’un effet mystérieux du lait le favorise, mais ce serait vraiment étonnant, et, à sa connaissance, il n’y a pas trop d’études sur le sujet précisément.

Toujours au sujet des cancers, le cancer de la prostate est plus répandu en Europe qu’en Asie. Existe-t-il un lien explicite avec la consommation de lait, sachant qu’une étude de Harvard va dans ce sens ?

M Huneau semble connaître le chercheur qui a réalisé cette étude. D’après lui, cette source est très fiable, ces études-là sont basées sur des échantillons très importants de population. Cela dit, c’est une étude « d’observation ». C'est-à-dire que l’on prend un large échantillon de population, et qu’on étudie un paramètre de leur alimentation, sans tenir compte des disparités du reste de l’environnement. D’après lui, ce lien existe très certainement, mais la cause n’en est pas forcement le lait. En en effet, l’apport énergétique global joue un rôle important dans le déclanchement des cancers de la prostate. C'est-à-dire qu’une alimentation trop riche provoque une sorte d’agression permanente contre l’organisme, qui se traduit par la présence constante d’infections « à bas bruits ». Ce sont des infections de l’organisme qui ne sont pas perceptible, ou bien de manière infime. Elles ne sont pas gênantes, mais fatiguent l’organisme et sont bien souvent la cause des cancers de la prostate. Le problème du lait ne vient pas du fait que ce soit du lait, avec la variété des composants qu’il contient. C’est bien plutôt que c’est un aliment riche. Cette richesse a été un avantage à un moment de l’évolution : les populations « caucasiennes » ont été sélectionnées pour pouvoir boire plus facilement du lait, et en plus grande quantité. La richesse de l’aliment était alors une qualité. Ceci étant, il contient une quantité importante d’acides gras saturés, particulièrement « lourds ». Le lait contribue pour une part non négligeable dans les excès d’apports énergétiques.

Des études de corrélations ont été réalisées au sujet des maladies cardiovasculaires. Il y aurait plus de corrélations entre le déclanchement de maladies cardiovasculaires et la consommation de lait qu’avec tout autre aliment.

C’est encore le même problème, auquel s’ajoute une autre cause. Les maladies cardiovasculaires sont favorisées par une alimentation trop riche. De plus, elles résultent parfois de problèmes de bouchage des artères. Les acides gras saturés sont dangereux de ce point de vue là. Il ont en effet tendance à être très mal assimilés par le corps (il existe une quantité maximale quotidienne que l’organisme peut assimiler), et à provoquer ce genre de bouchements. 3% des lipides dans le lait sont des acides gras poly-insaturés. Ceux-là sont excellents, et très peu dangereux. On les retrouve en majorité dans l’huile de Colza par exemple. Par contre, 50 à 60% des lipides sont des acides gras saturés (le reste étant des mono-insaturés, qui ne sont ni bons ni mauvais). Parmi ces acides gras saturés, il faut distinguer plusieurs catégories selon les longueurs de chaînes. Les plus courtes (<10 carbones) sont équivalents à des sucres rapides pour le foie, et représentent un tiers des acides gras saturés. Les autres, surtout ceux dont la longueur de chaîne est de 12 à 16 carbones sont les plus mauvais. En gros, 30% des acides gras présents dans les produits laitiers sont dangereux. C’est là la raison pour laquelle le lait peut favoriser les maladies cardiovasculaires.

Les opposants au lait parlent aussi d’autres maladies : des rhumes, le surpoids, le cholestérol.

Pour le cholestérol, il y a deux points à souligner. Le lait contient du cholestérol, mais du « bon » cholestérol. Par contre, quand on le cuit, on l’oxyde, et il se transforme en mauvais cholestérol. Typiquement, faire cuire du beurre pour préparer un steak est très mauvais : le beurre est porté à des températures de l’ordre de plusieurs centaines de degrés, et le cholestérol est intégralement oxydé. Dans cette situation, le lait est une source de cholestérol. Dans le cas où l’on n’oxyde pas le cholestérol, le lait n’est pas une source de mauvais cholestérol.
Ce sont alors les acides gras saturés que l’on consomme qui augmentent le cholestérol que l’on produit.

Quelle est l’implication de la consommation de lait sur l’apparition d’allergies à d’autres produits ?

Elle existe peut-être, avec encore une fois comme cause une alimentation trop riche, tout simplement. En gros, il y a deux facteurs qui provoquent l’apparition d’allergies : le premier est la propreté.
Plus un enfant est propre, moins il est soumis à l’attaque d’infections extérieures. Des études montrent que, pour des enfants qui vivent à la campagne, un enfant qui vit avec un chien à la maison aura beaucoup moins de chance de développer des allergies qu’un enfant qui vit sans chien. Il n’y a pas meilleur vecteur d’infection qu’un chien, et le système immunitaire de l’enfant est mis en contact avec les virus qu’il doit combattre. Par contre, s’il n’a pas de virus pour s’entraîner, le système immunitaire va se retourner contre un type d’aliment particulier, et le considérer comme infectieux.
Le deuxième facteur d’apparition d’allergies, c’est la richesse de l’alimentation. La multiplication d’infections à bas bruit contribue à la désorientation du système immunitaire.

De plus, il est à noter qu’il existe des cas d’allergies au lait, qui sont dues à une anormalité des immunoglobulines. C’est une allergie qui diminue à l’adolescence.

Cancer Colorectal

Des études sont en cours pour voir l’influence du lait dans l’apparition du cancer colorectal. Elles sont toutes contradictoires et prétendent affirmer des choses et avoir des résultats. Mais tout ce qu’on sait actuellement, c’est qu’on ne sait rien ! Les arguments sont faibles des deux côtés : le calcium en grande quantité diminue les risques de cancer colorectal, mais il pourrait les augmenter. Pour l’instant, on ne sait pas grand-chose.

D’après ceux qui soutiennent les produits laitiers, sa plus grande qualité est d’être un aliment complet.

C’est vrai (cf. composition au début), mais il reste le problème des acides gras qu’il contient, c’est un problème indéniable. Les acides gras poly-insaturés ont des liaisons CIS, qui sont plutôt bienfaisantes pour l’organisme. Par contre, celui-ci a du mal à digérer les composés avec des doubles liaisons TRANS des mono-insaturés, et encore plus de mal avec les acides gras saturés.

Les acides gras saturés et partiellement saturés (ou « hydrogénés ») participent à la formation de plaques d’athérome dans les artères.

Action d’antioxydants sur l’immunité ?

Le lait ne contient pas de vitamine C, ni E, ni de bêta-caroténoïdes. Par contre, on y retrouve beaucoup de cystéine dans des protéines riches et rares (alpha-lactalbumine). La cystéine est un intervenant important dans le tampon Red-Ox du plasma. Cela pourrait justifier les travaux qui vont dans ce sens. Cela dit, il est présomptueux de parler de vertus antioxydantes, tout simplement parce que ces protéines sont extrêmement rares dans le lait. Il vaut mieux boire du jus d’orange.

Le lait aide à la formation des dents et lutte contre les caries. Est-ce justifié ? Et de quelle manière ?

OUI, c’est indéniable. Dans les années 1970, un médecin australien a découvert que certaines protéines contenues dans le lait correspondaient exactement avec les protéines constituant la couche protectrice des dents. Il a donc créé sa propre marque de chewing-gums, qui protègent les dents. Un dépôt de lait sur les dents les protège relativement contre les agressions extérieures. Il faut aussi tenir compte du calcium contenu dans les dents, qui participe à leur solidité, et diminue du même coup les risques de caries.

Le lait pourrait-il être une cause de dérèglements du sommeil ?

Une vieille histoire (encore) raconte que lorsqu’un enfant n’arrive pas à s’endormir, un grand verre de lait amené par sa mère a un effet très apaisant. Il est possible que la présence de peptides anxiolytiques (la casozépine) modifie le sommeil, même par voie orale. Une étude a déjà été réalisée dans ce sens, à sa connaissance (pas de précisions). Cela dit, elle aurait besoin d’être précisée, et il ne faut pas oublier que, pour l’enfant, le simple fait d’avoir sa maman près de lui suffit largement à apaiser n’importe quelle excitation.

Est-ce que tous les hommes sont égaux devant la consommation de lait ?

Non, loin de là ! Mais ces disparités concernent avant tout la digestion du lactose. Les populations « caucasiennes » ont été sélectionnées pour pouvoir consommer plus facilement le lait, c'est-à-dire qu’elles ont la possibilité de produire plus de lactase. Ceci dit, même avec peu de lactase, on peut boire du lait modérément. En général, l’organisme diminue sa production de lactase vers 4 ou 5 ans. La sélection de populations qui peuvent boire du lait plus facilement s’est faite en interaction avec leur environnement, et leur a ainsi donné un avantage certain, du fait de la richesse de l’aliment.

Certains affirment que le lait est à l’origine de cas de diabètes de type I. Existe-t-il des études sur le sujet ?

Au milieu des années 1980, des études ont montré que le lait contenait de l’insuline, et qu’il pouvait ainsi augmenter les diabètes de type I. Ces études ont depuis été réfutées.
Quelques années plus tard, une autre étude, qui a fait grand bruit prétendait montrer que le lait induisait une production d’anticorps, qui étaient supposés provoquer l’apparition de diabète. Elle a elle aussi été réfutée depuis, par des arguments qui seraient crédibles.

Ceci dit, le lobby des industries laitières est un des lobbies les plus puissants de France, il est toujours assez délicat de savoir qui est objectif et qui influence qui.
A titre d’exemple, des publicités pour Lac*** vantent les mérites de l’enrichissement du lait en vitamines D. D’après ces publicités, cette vitamine est essentielle pour fixer le calcium sur les os. Or, cette vitamine est naturellement produite par l’organisme quand il est exposé au soleil. Elle est donc toujours présente, avec des quantités que l’on ne peut pas juger. De plus, comme elle est toujours présente, on ne peut pas vraiment savoir à quoi elle sert. L’argument de la fixation de calcium sur les os est bidon !

Conclusion

En guise de conclusion, Jean-François Huneau pense qu’il n’y a pas de raison de refuser la consommation de lait, bien au contraire. Par contre, tout ce qu’il y a à dire sur le lait, c’est qu’il est bon pour l’organisme, mais à condition de le consommer avec modération, comme tous les aliments finalement. Les industriels recommandent entre 3 et 5 produits laitiers par jour et par personnes. C’est très certainement exagéré, mais il est certainement bon d’en consommer au moins un.