SOMMAIRE

  1. Contexte du modèle
  2. Hypothèses sur la modélisation
  3. Modèle et explication de la démarche
  4. Résultats
  5. Discussion des résultats

MODELISATION DE LA REINTRODUCTION DE L’OURS DANS LES PYRENEES

Cet article présente la démarche des laboratoires d’écologie dans la constitution de leur modèle ainsi que leurs résultats. Leur article est disponible .

CONTEXTE DU MODELE

La régression de l’aire de dispersion de l’ours brun au cours du XXème siècle dans la plupart des pays du sud de l’Europe (excepté l’ex Yougoslavie) a conduit à l’apparition de petites populations isolées au statut plus ou moins précaire. C’est le cas de la population d’ours brun des Pyrénées qui ne comptait plus en 1995 que 5 individus (1 femelle et 4 mâles) identifiés par analyse génétique dans la partie Ouest de la chaîne des Pyrénées. Dans les Pyrénées centrales le dernier ours a probablement disparu à la fin des années 80- début 90. Dans le cadre d’un programme franco-espagnol, 2 femelles et 1 mâle capturés en Slovénie ont été relâchés en 1996 et 1997 dans cette zone des Pyrénées (département de la Haute-Garonne, commune de Melles). Malgré la mort accidentelle d’une femelle, cette sous-population réintroduite s’est accrue et un jeune mâle a rejoint récemment la sous-population d’ours autochtones, à l’ouest des Pyrénées.

L’avenir de ces noyaux reste précaire. L’étude menée par les laboratoires d’écologie a pour but de prévoir leur viabilité ainsi que la nécessité de réintroduire de nouveaux individus et le nombre de mâles et/ou de femelles qu’il faudrait éventuellement relâcher. C’est dans ce but que des modèles structurés stochastique et déterministe ont été construits.

Cette étude a été effectuée dans le cadre de :

  • Le Ministère Français de l’Education nationale, de la Recherche et des Technologies dans le cadre de Action Concertée Incitative « Jeunes Chercheurs 2001 » remportée par Regis Ferrière
  • The European Research Training Network ModLife (Modern life-History Theory and its applications to the management of natural resources)

HYPOTHESES DE LA MODELISATION

HYPOTHESES COMPORTEMENTALES ET BIOLOGIQUES SUR L’OURS

  1. Maturité sexuelle entre 3,5 et 5 ans
  2. Période d’accouplement : de Juin à Juillet
  3. Le mâle accompagne la femelle jusqu’à 2 semaines
  4. Les petits naissent entre Janvier et Mars
  5. Période d’accompagnement des petits : de 1 à 4 ans (3 ans le plus fréquemment)

HYPOTHESES SUR LA REPARTITION DE L’OURS DANS LES PYRENEES

La population d’ours bruns dans les Pyrénées compte 11 individus répartis en 2 populations :

  1. La sous-population à l’ouest : 1 femelle et 5 mâles
  2. La sous-population centrale : 2 femelles et 1 mâle
  3. 2 mâles ont été introduits du centre à l’est des Pyrénées dans un périmètre où ils ne disposaient pas de femelles

MODELE ET EXPLICATION DE LA DEMARCHE

PRESENTATION GENERALE

Les variables gérant la survie et la fécondité sont traitées respectivement comme des variables binomiales et de Poisson. Le caractère aléatoire de l’environnement était quant à lui modélisé en utilisant une variante de la distribution Bêta. La simulation de Monte-Carlo utilisée nécessitait 1000 boucles à chaque fois. Le logiciel utilisé pour les calculs était ULM (Unified Life Models), logiciel déjà employé pour de nombreux autres cas.

Les conventions utilisées pour réaliser les graphes sont celles de l’analyse de Markov et des matrices de Leslie.

Le modèle a plusieurs buts :

  1. Essayer d’identifier le nombre minimum d’individus à relâcher qui entrainerait un taux d’extinction de l’espèce à un seuil inférieur à 5% ainsi que le meilleur ratio femelles/mâles.
  2. Prévoir l’impact d’un retard possible dans le programme de réintroduction optimal obtenu précédemment

SEPARATION DE L’OURS EN DIFFERENTES CLASSES

Pour cette modélisation, la population est divisée en classes en fonction de l’âge, du sexe et du statut reproducteur. Dans une population, on distingue les oursons de moins d’un an, les juvéniles (12 - 24 mois), les subadultes (24 - 48 mois) et les reproducteurs (>48 mois). Les transitions entre les classes sont définies ainsi :

  1. Femelles juvéniles survivant deviennent des subadultes 1
  2. Mâles juvéniles survivant deviennent des subadultes 1
  3. Femelles subadultes 1survivant deviennent des subadultes 2
  4. Mâles subadultes 1 survivant deviennent des subadultes 2
  5. Femelles subadultes 2 survivant deviennent des femelles reproductrices
  6. Mâles subadultes 2 survivant deviennent des mâles reproducteurs
  7. Femelles reproductrices survivant gardent le même statut
  8. Mâles reproducteurs survivant gardent le même statut
  9. Femelles reproductrices survivant donnent naissance à des oursons femelles qui deviennent juvéniles
  10. Femelles reproductrices survivant donnent naissance à des oursons mâles qui deviennent juvéniles

PLUSIEURS SCENARIOS SUIVANT L’OPTIMISME

Dans la mesure où les paramètres de survie de l’ours dans les Pyrénées ne sont pas estimés avec précision, 4 scénarios correspondant à des combinaisons de paramètres démographiques pessimistes (S0), intermédiaires (S1 et S2) et optimistes (S3) (tab. 1) ont été définis.

RESULTATS

Le tableau suivant présente les différentes probabilités de survie suivant les scénarios.

? représente le taux de croissance asymptotique de la population (taux limite de croissance de la population).

L’élasticité de ? est calculée afin de savoir quel paramètre a le plus d’influence sur ?.

RESULTATS

LE FUTUR DE L’OURS DANS LES PYRENEES

Selon le scénario pessimiste (S0), la population d’ours diminue de 2,5% par an tandis qu’avec le scénario optimiste (S3), elle augmente de 7,1% par an.

Les études des différents paramètres influant ? montrent que le taux de croissance est particulièrement sensible au nombre d’individus adultes pouvant se reproduire. De plus, si un individu adulte est tué, l’impact est plus important si l’individu tué est de sexe féminin.

TAILLE DE LA POPULATION MINIMUM AVEC UNE PROJECTION SUR 100 ANS

S0 : la population a une forte probabilité de s’éteindre.

S3 : avec une population de 12 ours, le risque d’extinction est négligeable.

S1, S2 : on dispose d’une probabilité d’extinction inférieure à 5% si le nombre d’individus est initialement supérieur à 40 et 20 respectivement.

CONSIDERATIONS POUR LA REINTRODUCTION

Si aucun individu n’est relâché dans les sous-populations, la probabilité pour que la population disparaisse totalement est très grande.

Sous-population à l’ouest: 5 ours (5 femelles/ 0 mâles) doivent être relâchés (voir courbes).

Sous-population centrale : au moins 6 ours (4 femelles/ 2 mâles) doivent être relâchés.

Ces réintroductions doivent être effectuées dans un futur très proche (i.e. Moins de 5 ans). Si on attend 10 à 15 ans, cela n’empêchera pas les deux sous-populations d’être menacées d’extinction.

Le scénario S3 ne fait que changer les valeurs numériques obtenues pour le nombre à relâcher.

DISCUSSION DES RESULTATS

Les analyses effectuées sont soumises à certaines limites :

  1. Tous les individus d’une classe ont les mêmes paramètres démographiques et ne peuvent donc être différenciés ce qui est un point inhérent à tout modèle de classes de population.
  2. La survie des oursons est indépendante de l’âge de la mère et la sénescence n’est pas explicitement prise en compte.
  3. La réduction du temps entre 2 portées suite à la mort d’un ourson n’a pas été prise en compte. Cependant, la faible valeur d’élasticité de ? montre que cela n’a que peu de chances de modifier les conclusions.
  4. Le possible infanticide d’oursons par les individus adultes n’a pas été pris en compte. Cependant, ce phénomène n’est présent fréquemment que dans les populations très chassées ce qui n’est pas le cas dans les Pyrénées.
  5. Les paramètres de modélisation sont gardés constants au cours de la modélisation ce qui implique que l’habitat ne change pas au cours du temps.
  6. Les catastrophes naturelles et les aléas génétiques n’ont pas été pris en compte car les données relatives sont trop minces pour pouvoir implémenter ces facteurs dans le modèle, ce qui a été confirmé par d’autres chercheurs (Reed, Beissinger & Westphal, Wiegand)

L’étude montre que même si un programme de réintroduction d’ours est lancé, la souche de l’ours des Pyrénées est vouée à disparaître. De plus, tout retard supplémentaire dans ce programme serait un risque supplémentaire pour ce qui est de la probabilité d’extinction.