La décroissance, un horizon inéluctable ?


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Chronologie de la partie :

 

  

Critiques adressées aux tenants d’une croissance verte:


Pour les décroissants, l’espoir investi dans une hypothétique dématérialisation de l’économie révèle une foi naïve en l’ingéniosité humaine. Trois grands reproches sont avancés :


1-Rien n’assure que plus les technologies seront avancées, plus on sera en mesure d’extraire des matières premières, puisque l’épuisement peut guetter ;

2- Rien n’assure que la technologie nous permettra de substituer les ressources naturelles épuisées ;

3- Rien n’assure que la substitution entre main-d’œuvre, capital et ressources renouvelables et non renouvelable est toujours possible.


En somme, c’est l’optimisme de la croissance verte qui irrite les décroissants. Si les objectifs sont louables, ils les trouvent naïfs.


Mise en cause de la faisabilité d’une dématérialisation de l’économie


Les objectifs affichés par les gouvernements en terme de réduction des émissions de CO2 par exemple, sont très souvent soumis à la critique d’experts, qui ne parviennent pas, dans leurs modèles prospectifs, à concilier les exigences environnementales et les prévisions de croissances affichées. C’est le constat que fait Nadia Maïzi, en avouant que les résultats de l’exercice de prospective réalisé par son équipe des Mines ParisTech, pour le gouvernement, dans le cadre du Grenelle de l’environnement, avec le modèle MARKAL, ne sont jamais ceux que les tenants du développement durable affichent : en imaginant toutes les innovations qui pourront être mûres et industrialisées d’ici à 2050, il est impossible, dans leur modèle, de concilier réduction de l’empreinte écologique et croissance du PIB.



S’il est indéniable que l’économie des pays de l’OCDE, comme l’économie française, se sont tournées vers le tertiaire, Jean-Marc Jancovici remet en cause le lien entre tertiarisation de l’économie et réduction des émissions des gaz à effet de serre (impact de la croissance sur l’environnement).


La mesure du PIB ne permet pas de connaître l’impact de la croissance sur l’environnement et ne peut donc pas rendre compte objectivement de l’existence d’une dématérialisation de l’économie, la dématérialisation serait donc un «mythe de l’économie industrielle».


Il faut introduire les concepts de dématérialisations absolue et relative, pour mieux comprendre les déclarations des uns et des autres. La dématérialisation absolue correspond à la diminution réelle de l’emprunte écologique, à la diminution à la fois de la pollution et de la pression exercée sur l’extraction des matières premières, alors que dans la dématérialisation relative, la croissance en besoins matériels est relativement plus faible que la croissance économique. En fait, la plupart des pays en développement ou développés connaissent une dématérialisation relative, même la Chine, que l’on accuse pourtant d’être un gros pollueur. Pour les pays développés, la dématérialisation relative de l’économie correspond en fait à une délocalisation des industries polluantes. Pire encore, certains pays, comme l’Espagne, connaissent une matérialisation relative de leur économie, c’est-à-dire que leur emprunte écologique croît plus vite que leur économie. C’est notamment le cas en temps de forte urbanisation.



L’effet rebond


  1. -Définition


Pour les tenants de la croissance verte promette que l’emprunte écologique diminuera grâce aux apports techniques des prochaines années. Pourtant, pour les décroissants, qui se félicitent par ailleurs des progrès technologiques propres, cette promesse est entachée par un phénomène peu connu : l’effet rebond.


Pour François SCHNEIDER, théoricien du concept, l’effet rebond – appelé parfois « paradoxe de Jevons », se caractérise par « l’augmentation de la consommation liée à la réduction des limites à l’utilisation d’une technologie, ces limites pouvant être monétaires, temporelles, sociales, physiques, liées à l’effort, au danger, à l’organisation...».  L’ONU remarque que « Partout dans le monde, les processus de production sont devenus plus économes en énergie (...). Cependant, vu l’augmentation des volumes produits, ces progrès sont nettement insuffisants pour réduire les émissions de dioxyde de carbone à l’échelle mondiale. ». Ainsi l’augmentation de l’efficacité énergétique dans les systèmes de production a profité à la diminution des prix des produits, qui a permis une augmentation des ventes et finalement, une augmentation de la production et de la consommation en énergie.


Il est difficile de mesurer quantitativement l’effet rebond, car le report du consommateur ne se fait pas toujours sur le même produit : la baisse d’un produit induit des économies pour le consommateur, qui réinvestit le gain relatif dans l’achat d’un autre produit. Un exemple spectaculaire d’effet rebond est celui de l’augmentation de la consommation de papier, induite par l’utilisation des ordinateurs. Si Bill Gates prévoyait une baisse générale de la consommation en papier, qui serait remplacé par la lecture sur écrans d’ordinateurs, c’est en fait tout le contraire qui s’est produit, avec une explosion de la demande de papier dans les pays de l’OCDE : la commercialisation d’imprimantes bon marché a induit un effet rebond spectaculaire.


S’inspirant des travaux de Georgescu Roegen, les économistes de la décroissance utilisent souvent la formule sur l’impact écologique suivante. L’impact écologique, mesuré par I, n’est pas forcément réduit par une réduction de T, par l’amélioration technique.


    I=PAT


Où P est la taille de la population, A une mesure de l’abondance (consommation) et T une mesure des dégâts environnementaux (usage de techniques).


Mais certaines innovations techniques ne sont-elles pas à l’abri de l’effet rebond ? On peut penser, par exemple, à la construction d’habitats plus éco efficients, mieux isolés par exemple. Pour François SCHNEIDER, un autre effet rebond se fait alors sentir : il est lié à la frugalité. « Un billet d’avion pour Dakar sera acheté avec les économies sur les frais de chauffage »5. Pour réduire I, on pourrait également vouloir réduire la taille de la population. Mais la baisse de la natalité entraine aussi un effet rebond : « moins d’enfants dans une famille peut libérer des revenus pour augmenter la consommation matérielle ou d’énergie par personne », tout en augmentant la qualité de vie et le confort.


        - La décroissance pour lutter contre l’effet rebond.


Pour François Schneider, l’effet rebond est encouragé par la société de croissance. Toute entreprise souhaite en effet augmenter sa production, pour croitre, et l’effet rebond est largement encouragé par les politiques de développement des grandes entreprises. La seule solution serait alors d’entrer en décroissance.


François Schneider décline plusieurs propositions pour entrer en décroissance :

1-Réduire la capacité financière collective d’exploiter : en diminuant les salaires disponibles, en accordant la quantité de monnaie disponible aux ressources naturelles disponibles.

2- Réduire les temps disponibles à la production et à la consommation : en fermant les usines et les magasins plusieurs jours par semaine, et en réduisant le temps de travail et l’âge de la retraite.

3- Réduire les infrastructures dédiées à la production et à la consommation : moins d’usines, moins de magasins.

4- Réduire les droits de propriétés sur les productions et les ressources, qui sont vus comme le nerf de la croissance, chacun ayant envie de voir son patrimoine personnel augmenter.

5- Promouvoir la lenteur, pour laisser le temps aux écosystèmes de se régénérer, et ne pas imposer à la nature un impact écologique qu’elle ne pourrait absorber dans le temps.


Pour réduire l’impact écologique, les innovations techniques se révèlent parfois pernicieuses, à cause de l’effet rebond. Vouloir baisser I en jouant sur T ou sur P se révèle inefficace à cause des effets rebonds. Seule solution envisageable pour des décroissants comme Yves COCHET ou François SCHNEIDER : le contrôle de la consommation, voire le rationnement de la consommation des denrées polluantes, ou de la nourriture.


Les querelles existantes entre tenants de la croissance verte ou de la décroissance font apparaître de grandes différences au sein des mouvements écologistes. Pourtant, si les positions peuvent être radicales sur des points précis, il est difficile de comprendre qui se prétend décroissant et qui refuse ce terme trop hostile peut être. Ceux qui cherchent à discréditer les écologistes les traitent d’ailleurs souvent de décroissants, pour les renvoyer à  l’image très négative dans l’opinion publique de la récession, ou de la limitation de la consommation, et donc, dans l’imaginaire collectif, du bien être.


Sources :


SCHNEIDER F « Sur l’importance de la décroissance des capacités de production et de    consommation dans le Nord global pour éviter l’effet rebond », In ? In MYLONDO B. (dir.) La décroissance économique, Paris, Edition du Croquant. p 199


LATOUCHE S., Pour une société de décroissance, Le Monde Diplomatique, novembre 2003,

     http://www.monde-diplomatique.fr/2001/05/LATOUCHE/15204


SCHNEIDER F. Entretien, 20 février 2010, à l’Université Autonome de Barcelone, Espagne.


COCHET Y., Entretien à l’Assemblée Nationale, le 7 avril 2010.


MOREAU V. « L’économie se dématérialise-t-elle ? Etude des cas de l’Allemagne et de la Chine » ? In

MYLONDO B. (dir.) La décroissance économique, Paris, Edition du Croquant. p 45


J-M HARRIBEY, le Monde Diplomatique, juillet 2004, « Développement ne rime pas forcément avec croissance. »

http://www.monde-diplomatique.fr/2004/07/HARRIBEY/11307#nh21


La documentation française : perspectives énergétiques de la France à l'horizon 2020-2050, rapport de la commission énergie présidée par Jean Syrota, num 12-2008, partie 5 du volume 2.

Peut-on parier sur les percées technologiques ?

Le point de vue des décroissants.

LA CONTROVERSE


  1. Une autre approche économique


  1. Une croissance limitée ?

  2. Le point de vue des classiques

  3. Les cycles économiques

  4. De l’entropie en économie : la décroissance comme seul horizon ?


  1. Peut-on parier sur les percées technologiques ?

  2. La croissance verte

  3. Le point de vue des décroissants


  1. Des théories de la croissance à la politique

  2. Libérer ou réguler l’économie pour sauver l’environnement ?

  3. Pour des meilleurs instruments de mesure de la croissance

  4. La critique du capitalisme par les décroissants


  1. La croissance au secours des pauvres

  2. La croissance économique au secours de la croissance démographique

  3. Les décroissants pour une réduction de la natalité ?

  4. Qui de la croissance ou de la décroissance est au service de l’éthnocentrisme européen


  1. L’enjeu environnemental


  1. Comment quantifier l’influence de l’homme ?

  2. Les prélèvements

  3. Les rejets

  4. Une mesure globale, l’empreinte écologique


  1. Le lien empreinte/croissance

  2. Conditions de production

  3. Courbe de Kuznets environnementale

  4. Que vaut cette courbe de Kuznets environnementale ?


  1. Les prédictions des décroissants

  2. La catastrophe malthusienne

  3. Epuisement des ressources

  4. Empreinte écologique excessive


  1. Un autre mode de vie ?


  1. L’augmentation des besoins


  1. La santé : une croissance pathogène ?


  1. Le rapport au travail

  2. Chômage et conditions de travail

  3. Progrès technique et emploi

  4. Le plein emploi sans croissance


  1. Inégalités sociales

  2. Croissance et recul des inégalités

  3. Critique de la courbe de Kuznets


  1. Projet social des décroissants

  2. La convivialité selon Illich

  3. Pour une décroissance conviviale, aujourd’hui