Quel est le lien entre croissance et impact environnementaux ?

Les travaux de Grossman et de Krueger sur la courbe environnementale de Kuznets (ou EKC) étaient pleins de promesses. Si la pollution en fonction du revenu suit une courbe en cloche, alors il suffit de continuer à produire et consommer comme avant et la pollution diminuera d'elle-même passé un cap : pas besoin de décroissance donc. Pis, la décroissance nous maintiendrait dans la première phase de développement et nous pollurions plus que dans le scénario « business as usual ».

Malheureusement, d'autres études ont suivi qui ont remis en question ces résultats. Les critiques ont porté autant sur la méthode de Grossman et Krueger que sur l'interprétation de leurs résultats.

Critique méthodologique

1. •La base de donnée utilisée par les auteurs est incomplète :
   

Dans le cas du dioxyde de souffre, les revenus importants ne sont pas pris en compte. Cette frange de la population émet nettement plus que la moyenne. On observe un recouplage entre revenus et pollution.

1. •        Il n'y a pas de pays en voie de développement dans la base de donnée
   

Lorsque on les intègre, on observe toujours la cloche, sauf que le pic se situe pour un revenu de 100 000 US$... [3]. Cette valeur est complètement hors d'atteinte ; un pays en voie de développement ne parviendra jamais à dépasser ce cap : la pollution ne fera que croître.

1. •L'étude ne concerne que des polluants locaux
   

On observe pas d'EKC pour les polluants globaux, notamment le CO2[4]. Les polluants globaux sont émis localement mais leurs effets sont ressentis à l'échelle du monde, souvent de manière diffuse avec un certain retard.

Critique théorique

1. •La courbe a-t-elle un pouvoir prédictif ?
   

Grossman et Krueger n'ont fait que révéler une corrélation entre :

1. ‣ la diminution de certaines pollutions
   

2. ‣ le dépassement d'un seuil en revenu par habitant
   

et ce, dans certains pays seulement. Il n'y a pas de lien de causalité. Hors de ce périmètre, très restreint, leurs travaux n'ont pas de pouvoir prédictif. Un pays en voie de développement ne suivra pas nécessairement le même schéma ; ses émissions ne vont pas diminuer « automatiquement » dès qu'il aura franchi un seuil de revenu.

1. •Deux scénarios : PI / PED
   

La courbe en cloche ne serait que la juxtaposition de deux scénarios différents : un concernant les pays industrialisés, l'autre les pays en voie de développement [4][1]. La pollution dans les PI décroit linéairement avec les revenus ; dans les PED, elle croit linéairement. La juxtaposition de ces deux scénarios divergents donne la fameuse courbe de Kuznets et biaise toute les interprétations que l'ont pourrait en faire.

1. • type de pollution
   

L'EKC n'est observé que pour des polluants locaux dont l'effet est fortement ressenti par la population. D'autre part, la lutte contre ces polluants est relativement aisée (par exemple en rendant obligatoires les filtres pour la pollution au SO2).

Par contre les polluants globaux, dont l'effet est diffus ou retardé échappent à cette logique. En effet sans prise de conscience citoyenne, il n'y a pas non plus de volonté politique pour endiguer les émissions.

1. • déplacement des pollutions
   

Autre effet pernicieux : en se développant, les pays délocalisent leurs activités polluantes et énergivores [5]. Les pays industrialisé réduisent en partie leur consommation en énergie en important des nouveaux pays industrialisés des produits à fort contenu énergétique. Ainsi les émissions et la consommation globales ne varient pas.

Empreinte écologique au sens de Wackernagel

Mathis Wackernagel, le co-fondateur de « l'empreinte écologique » a lui aussi cherché les liens entre son indicateur et le revenu par habitant. La conclusion est sans appel : la relation est linéairement croissante [6].

Jusqu'à présent, sauf exception, l'effet d'échelle de la croissance du PIB a écrasé les gains par effet technologique. Est-il raisonnable de continuer dans le scénario « business as usual » tout en pariant sur une découverte miraculeuse ? Le passé semble confirmer le pessimisme des décroissants.

Sources

  [1] Meunié A. (2004). Controverses autour de la courbe environnementale de Kuznets

http://ged.u-bordeaux4.fr/ceddt107.pdf

  [2] Harbaugh W & al. (2000). Reexamining the Empirical Evidence for an EKC. NBER, WP. n°7711

[3] Stern, D. 2002, Explaining Changes in Global Sulfur Emissions: an Econometric Decomposition Approach, Ecological Economics n°42, p.201-220

[4] Grimes P. & Roberts J. (1997). Carbon Intensity and Economic Development 1962-1991 : a Brief Exploration of the EKC. World Development. Vol. 25 n°2 : 191-198

  [5] Suri & Chapman. (1998)

  [6] Wackernagel M. & al. 1997, Ecological Footprints of Nations : how much Nature do the Use? How much Nature do they Have ?. The Earth Council

Que vaut la courbe de Kuznets environnementale ?