Politiques de confidentialité et comportements

Quand on sait qu’aux États-Unis, un adolescent sur cinq et un jeune adulte sur trois ont déjà envoyé des photos ou vidéos d’eux-mêmes nus ou à moitie nus, via l’internet, ou le téléphone mobile [1], on comprend pourquoi la question de la politique de confidentialité des réseaux sociaux est importante.

En effet, les comportements des usagers des réseaux sont intimement liés aux politiques de confidentialité de ces réseaux.

Chaque réseau possédant ses particularités, ses fonctionnalités et son évolution, ce sont autant de comportements différents que nous avons pu et pouvons observer.

Au temps de Friendster

Friendster est un site de réseau social créé en 2002 qui était à l’époque très fermé, puisque les utilisateurs ne pouvaient alors voir que les amis de leurs amis. Cette politique de confidentialité voulue par la plateforme a impliqué la création de “Fakester” qui étaient des fausses identités telle Homer Simpson par exemple, avec lesquelles tous le monde était amis, et qui permettait ainsi à tous le monde de se voir entre eux. [2] p.10

Cependant, ces “Fakesters” étaient fréquemment détruits par les dirigeants de la plateforme, car ils allaient à l’encontre de leur volonté de créer un réseau fermé.

Cet exemple de comportement montre l’envie des utilisateurs d’avoir avec les réseaux sociaux un espace de plus en plus ouvert sur les autres, où chacun peut avoir accès aux données de tous le monde.

Arrivée de Myspace

A partir de ce constat simple, Tom Anderson et Chris DeWolfe ont alors créé MySpace, où tous les usagers pouvaient alors avoir accès aux données de tous. Cependant cette plateforme a finalement très vite dérivé vers un usage plus musical contrairement à Friendster qui est resté un lieu d’échange entre amis. Dominique Cardon explique très bien ce procédé dans l’interview qu’il nous a donnée[3] :

“Ce n’est plus en racontant le quotidien, les copains, la classe, les profs les parents, il faut raconter quelque chose de soit qu’on puisse partager avec des gens qu’on connait pas. Et partager avec des gens qu’on ne connait pas, c’est la culture, c’est des liens culturels, textes, vidéo et la musique. Et la musique est du coup apparue.”

On voit ainsi l’influence de la relation entre l’utilisateur et le réseau en fonction de la politique de confidentialité. L’utilisateur ne va pas divulguer, réagir, se présenter de la même manière sur n’importe quel réseau, et ce en fonction de la politique de ce réseau.

Les débuts de Facebook : un espace très fermé

Facebook, de part l’importance du nombre de ses membres, et de part les évolutions multiples de leurs politiques de confidentialité, qui ont souvent fait jaser [3], mérite un traitement à part entière.

A son commencement en 2004, Facebook était réservé aux utilisateurs munis d’une adresse d’étudiants, en .edu. Il s’agit donc d’un réseau réservé à une élite intellectuelle, et qui plus est était très fermé et localisé [4]. Il ne s’est ouvert au public qu’en 2006.

Initialement, les membres de Facebook devaient faire parti de”réseaux”, qui regroupaient des membres de mêmes écoles ou de même régions entre eux. Du coup, les données des membres n’étaient visibles que part les membres d’un même réseau. Cependant, même dès 2006 où les paramètres de confidentialité étaient encore simples et concis, déjà 25% des utilisateurs n’étaient pas totalement conscients de l’intégralité des données qu’ils partageaient. [5]

Evolution de Facebook et des règles de Privacy

Avec l’expansion de Facebook, l’appartenance d’une personne à un réseau regroupant tous les Français par exemple n’avait plus de sens, et ce principe disparut petit à petit, au point que les réseaux régionaux ont été retirés en 2009.

Entre 2009 et 2010, de nombreux changements dans la politique de confidentialité ont eu lieux.

Entre autres, en décembre 2009, Facebook imposa un message aux utilisateurs lors de leur identification pour les inviter à redéfinir leurs paramètres de confidentialité. Pour chacun d’entre eux, le choix entre “tout le monde” et “anciens paramètres” était proposé, avec “tout le monde” coché par défaut. Même si de nombreux utilisateurs ont pu accepter nonchalamment le choix “tout le monde” pour chacun des outils concernés, cela a tout de même conduit 35% des utilisateurs n’ayant jusqu’alors jamais touché leurs paramètres à les changer.

Cela montre que comme le dit Mackay[6] :

“Les paramètres par défaut importent, car des recherches ont montré que la majorité des gens les changent rarement”.

Comportement des utilisateurs face aux paramètres de confidentialité

Une étude menée par Dannah Boyd sur un groupe d’étudiants en premier année d’université entre 2009 et 2010 montre qu’en 2010, seul 2% des utilisateurs interrogés n’ont jamais modifié leurs paramètres. Une autre étude va également à l’encontre du préjugé comme quoi les jeunes seraient apathiques face à ces paramètres de confidentialité : 71% des 18-29 ans interrogés disent avoir modifié leurs paramètres de sécurité, contre seulement 55% des 50-64 ans.

De nombreux autres paramètres que l’age rentrent en ligne de compte quant à la question du comportement des utilisateurs face à Facebook. Dans cette même étude de Dannah Boyd [7], elle observe également l’influence du genre, des capacités informatiques ou de l’usage qui est fait de Facebook.

Experiences with Facebook and its privacy settings by gender, 2010.
Men Women Men Women Men Women Men Women
Never Never Once Once 2 or 3 times 2 or 3 times 4 or more times 4 or more times
All Facebook users 4% 1% 13% 8% 39% 37% 45% 54%
Frequent Facebook users 5% <1% 9% 8% 39% 35% 47% 56%
Occasional Facebook users 0% 4% 35% 7% 35% 56% 30% 33%
Former Facebook users 13% 9% 0 9% 50% 45% 38% 36%

Experiences with Facebook and its privacy settings by Internet skills, 2010.
Low skill High skill Low skill High skill Low skill High skill Low skill High skill
Never Never Once Once 2 or 3 times 2 or 3 times 4 or more times 4 or more times
All Facebook users 3% 0 9% 5% 43% 34% 44% 61%
Frequent Facebook users 3% 0 9% 5% 44% 32% 45% 63%
Occasional Facebook users 0 0 17% 0 42% 50% 42% 50%
Former Facebook users 11% 0 11% 0 44% 20% 33% 80%

Ces résultats montrent que les femmes tout comme les utilisateurs avertis d’internet sont plus conscients et se protègent plus.

De même, quand Facebook n’avait que des profils ouverts ou privé, Lewis et ses collègues en 2008 ont trouvé 4 classes d’étudiants à même de changer les paramètres de confidentialité [8]:

Un étudiant est plus à même de manière significative d’avoir un profil privé si :

  1. Ses amis, et particulièrement son cothurne en ont un
  2. L’étudiant est plus actif sur Facebook
  3. L’étudiant est une fille
  4. L’étudiant préfère en règle générale de la musique qui est relativement populaire et seulement de la musique relativement populaire.

Ainsi, on voit que la réaction de chacun face à ces problèmes de confidentialité dépend d’un nombre conséquent de paramètres.

Nouveaux réseaux, autre politique, comportement différent : les réseaux décentralisés

Diaspora, NoseRub, Appleseed, Social VPNs ou Wuala, tous ces réseaux sociaux sont dits décentralisés : au lieu que les informations que l’on divulgue soient stockées sur un serveur possédé et contrôlé par le réseau social (comme c’est le cas pour Facebook) pour être utilisées pour de la publicité ciblée, ces informations restent sur notre propre ordinateur, sous notre contrôle, et ce sont nos amis du réseau qui viennent directement y accéder, par du paire-à-paire (P2P). [9]

Ainsi, on voit que grâce à ces nouveaux réseaux sociaux, l’utilisateur peut totalement s’affranchir des problèmes de confidentialité puisqu’il reste constamment maître des données qu’il divulgue, et n’est pas soumis aux changements de politique de confidentialité des réseaux. C’est donc un comportement de protectionnisme exacerbé de l’utilisateur que la politique de ces nouveaux réseaux émergents permet.

[1] : MANACH, Jean-Marc. La vie privée, un problème de vieux con, p.11

[2] : CARDON, Dominique. Entretien.

[3] : Ibid.

[4] : Ibid.

[5] : Ibid.

[6] : BOYD, Dannah et HARGITTAI, Eszter. Facebook Privacy settings : Who cares ?

[7] : Ibid.

[8] : Ibid.

[9] : MUSIANI, Francesca. When social links are network links :The dawn of peer-to-peer social networks and its implications for privacy

Interactions entre intimité et réseaux sociaux

Alternatives et perspectives