Interview de M. le Directeur Gaz de schiste Europe du groupe Total

Nous remercions chaleureusement M. le Directeur Gaz de schiste Europe du Groupe Total de nous avoir accordé une heure de son temps le 31 mars 2011 et d’avoir accepté de nous présenter son point de vue sur le déploiement de ce sujet de controverse en France.

  • Que faut-il mettre sous la dénomination « gaz non conventionnels » parmi les quels on compte les gaz de schiste?

On s’évertue à dénommer les gaz de schiste « gaz non-conventionnels », attention à ne pas tout confondre : concernant leur nature, ces gaz sont en tous points similaires aux gaz dits « conventionnels ». Il en va de même pour la technique utilisée : la controverse naissante est injustifiée car la technique utilisée pour extraire ces gaz est parfaitement conventionnelle. Elle est en effet mise en œuvre depuis longtemps (dès les forages de Lacq par Elf entre 1984 et 1990 mais bien avant en Amérique du Nord) sur des réservoirs conventionnels. Cette longue expérience nous assure une maîtrise complète sur le procédé .

En revanche la qualification « non-conventionnel » s’applique aux réservoirs dans les quels se trouvent les gaz de schiste. Ceux-ci présentent en particulier de faible porosité et faible perméabilité n’autorisant pas le gaz à migrer facilement dans la roche. L’utilisation de la fracturation hydraulique intervient seulement pour « stimuler » le réservoir et obtenir des rendements qui, autrement, n’assurerait pas la rentabilité d’un telle exploitation.

Encore une fois, ni les gaz ni la technique ne sont non-conventionnels et cette dernière est parfaitement maîtrisée grâce à des années d’expérience.

  • Justement, pouvez-vous nous expliquer dans le détail comment la fracturation hydraulique est mise en œuvre?

Avec l’accroissement de la profondeur des réservoirs, le problème du pilotage de l’outil de forage dans le sous-sol s’est rapidement posé. En partenariat avec l’IFP, Total a alors développé un outil dénommé « Azintac » en 1989 permettant de piloter l’outil en trois dimension dans le sous-sol. Grâce à celui-ci Total a dès lors eu la possibilité de réaliser des puits déviés (c’est à dire non rectilignes). Sur le sujet, Total reste très moteur dans en Recherche et Développement.

Dans ces conditions, le forage diffère d’un autre uniquement par le caractère courbe d’une partie du puits.

Entre l’instant où l’outil a creusé une couche et celui où le ciment (cuvelage) est déposé, l’étanchéité du puits est assuré par les boues de forage présentes dans le puits pendant toute la durée du forage. Elles se déposent sur les rebords de façon à former une paroi protectrice (« mud cake » en anglais). Cette paroi est ensuite renforcée par le cuvelage.

Bien que l’ouvrage soit très exigeant (la rupture du mud cake entraîne des fuites dans et hors du puits, décoincer un outil bloqué demande du temps et beaucoup d’argent), ces opérations sont menées par des professionnels du forage (Haliburton, Schlumberger, Becker notamment), utilisées pour tous les forages (pgaziers, pétroliers…) et parfaitement maîtrisées (Total fore environ 180 puits déviés par an).

Une fois que l’ouvrage a atteint le réservoir (2000-3000m en générale) et s’est déployé horizontalement, peut  commencer la phase de fracturation : un petit engin explosif détonne à l’extrémité du forage puis entre 15 000m3 et 20 000m3 d’eau sont alors injectés à très haute pression afin d’élargir la faille obtenue. Cette opération est menée un certain nombre de fois sur toute la longueur de la partie horizontale du puits.

Après avoir retiré entre 30 et 70% de l’eau présente dans le puits, on relie la tête de forage (haut du puits) au réseau de distribution et le gaz remonte de lui-même en se propageant dans l’eau entrée dans le réservoir et restée dans le puits.

La production est phénoménale pendant les deux à trois premiers mois (de l’ordre du million de mètre cube extrait par jour) puis décroit pour atteindre 20 000 à 30 000 m3 par jour au bout de six mois d’exploitation.

  • Comment expliquez-vous alors les multiples incidents survenus aux USA, liés à l’utilisation de la fracturation hydraulique et impliquant notamment des pollutions d’aquifères?

En premier lieu, gardons à l’esprit que les médias nous induisent en erreur : ils lient la fracturation hydraulique a des accidents survenus aux USA presque sans preuves tangibles. En effet, la technique de fracturation n’a été que très rarement mise en cause dans de telles pollutions. Lorsqu’elle ne l’a pas été, les causes restent d’ailleurs non élucidées et lorsqu’elle l’a été, c’est principalement des défauts de cuvelage ou l’erreur humaine qui ont été pointés du doigt.

Ensuite, l’extraction des gaz de schiste a débuté aux USA avec de petits exploitants, des entreprises qui n’avaient pas l’envergure d’un Total. Par conséquent, disposant d’une expérience et de moyens moins importants, ces exploitations ont conduits à des accidents. Ajoutez à cela une image de marque moins exposée on comprend pourquoi le groupe Total ne se permet pas de tels écarts.

  • Quels sont vos moyens de préventions de ces pollutions?

Lors de la phase de forage, cette prévention se joue sur la nature des couches traversées. Il s’agit non pas d’éviter les couches sensibles (comme les aquifères) qui ne peuvent être contournées mais plutôt d’éviter les failles qui constitueraient des vecteurs indésirables de propagation de fluide. L’étude préliminaire de la géologie du site et les moyens de détection par micro-sismicité de l’avancement du forage sont alors déterminants.

Ce rôle de prévention est également joué par le cuvelage, au niveau des aquifères notamment : celui-ci isole le puits des couches géologiques traversées par le forage. Pour les foreurs, la réalisation de ce cuvelage est donc de prime importance et donne lieu a de multiples tests avant toute fracturation afin d’en vérifier l’étanchéité.

Rappelons qu’à aucun moment, laisser s’échapper ces fluides n’est dans l’intérêt de l’exploitant car il s’agirait à la fois d’une perte de produits et d’une atteinte à l’image de marque de l’entreprise.

  • Pour en revenir à la fracturation en elle-même, il semble que le fluide utilisé ne soit pas composé uniquement d’eau?

En effet il est adjoint de produits chimiques, dits « additifs chimiques. Ceux-ci sont à la fois des produits du quotidien et largement dilués (en proportion, on en compte cinq pour mille) dans l’eau injectée pour fracturer. Voici une liste non exhaustive :

Classe d’additifs Fonction dans le fluide de fracturation Utilité quotidienne
Bio acide Anti bactériologique pour éviter la prolifération organique dans le puits Pastille de chlore des piscines
sable Maintenir les fractures ouvertes plages
Gel (gomme de guar par exemple) Permettre au sable de rester en suspension dans le fluide Produits alimentaires
Breaker (acides) Casser le gel pour libérer le sable dans les failles Acidifiants alimentaires

Il n’est d’ailleurs pas dans l’intérêt des exploitants d’utiliser des produits polluants puisque:

  • la législation impose de traiter ces produits après utilisation;

  • la sélection d’un exploitant pour un site se fait de plus en plus sur des critères de respect de l’environnement (en particulier, concernant la nature des additifs utilisés).

Enfin, quant à ceux qui déclarent que les listes d’additifs utilisés ne sont pas rendues publiques, il suffit d’aller sur internet pour se convaincre du contraire.

  • Il existe également d’autres champs de débats, autour de la gestion de la ressource en eau (à cause de la quantité de volume nécessaire pour fracturer), de la gêne occasionnée par les installations de surface ou des risques de propagation des fractures par exemple?

Gestion des volumes :

Afin d’illustrer notre propos, prenons le cas Français et le permis de Montélimar que Total détient à 100% grâce à ces filières. Dans ce cas, afin de ne pas puiser dans les réserves utilisées par les populations, le projet est de pomper le Rhône pendant ses périodes de grandes eaux. Une fois utilisés, ces volumes seront traités et resserviront pour d’autres phase de fracturation.

Nuisances :

Les craintes sur les nuisances inhérentes à l’exploitation de gaz de schiste sont largement biaisées car transposées des USA à la France sans précaution. En effet, chacun étant propriétaire de son terrain et de son sous-sol, les exploitants sont tenus de définir des zones de production et de s’y tenir fermement. Ainsi, de très nombreuses plateformes de forage sont nécessaires. Puisqu’en france la législation est différente et que l’État est propriétaire du gaz dans le sous-sol, Total se contentera d’un nombre restreint de plateformes dont chacune constituera le point de départ d’environ 30 puits déviés (cette technique est pratiquée sur le plateformes off-shores). Les nuisances engendrées par les activités de forage seront donc bien plus localisées.

Propagation des fractures :

La fracturation se tient dans le réservoir, entre 2000 et 3000m de profondeur en moyenne. Il s’agit d’un environnement sous très hautes contraintes verticales et les fractures se propageront donc très largement horizontalement (sur 60m) et très peu verticalement (10m au grand maximum). Aucun risque donc que ces fractures ne provoquent des dégâts en surfaces.

  • Ces craintes existent pourtant bel et bien, pensez-vous qu’une intervention accrue de l’État à ce niveau serait justifiée?

Le mercredi 30/03/2011 a eu lieu un débat sur l’exploitation des gaz de schiste en france à l’Assemblée nationale. Pour cette occasion, 11 députés avaient préparés une étude en commission une  et sur les 11, un seul proposa de réaliser un bilan sur l’exploitation de gaz de schiste dans son ensemble avant de l’interdire. Les 10 autres prônaient l’interdiction immédiate d’exploitation. Il s’agit donc bien plus d’un problème politique que technique.

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