Les intérêts tiers

Dans la question des rythmes scolaires, un argument aujourd'hui devenu très commun est l'intérêt de l'enfant. Une écrasante majorité d'arguments s'appuie sur le fait qu'ils sont pour le bien des élèves. Mais qu'en est-il en réalité? Les différents acteurs agissant dans cette controverse n'ont-ils pas chacun des enjeux dans cette question? Ne proposent-ils pas aussi des idées dans leur propre intérêt? Il y a, en effet, des paramètres que nous ne pouvons pas négliger : le point de vue économique, et le point de vue pratique. Ils ne sont pas dans l'intérêt de l'enfant, mais leurs arguments, quoiqu'exprimés plus discrètement, sont bien réels, et ont un vrai poids.

I) Les intérêts économiques

1) La semaine de quatre jours

La semaine de quatre jours a un effet économique très alléchant. Tout d'abord, par rapport à une semaine de quatre jours et demi, elle fait gagner une somme considérable. Un retour à une semaine plus longue aurait un coût important, et ce ne serait surement pas en accord avec la politique de réduction budgétaire de l'État.

(Extrait de notre entretien avec Jeanne Bot, travaillant dans le cabinet de Colombe Brossel, adjointe au maire de Paris chargée de l'éducation)

D'un autre coté, cette semaine de quatre jours reste bénéfique pour d'autres organismes. En ce qui concerne le tourisme, la semaine de quatre jours permet aux familles de partir pour deux jours en week-end, ce qui est évidemment très important pour le tourisme. La position CNT (Conseil National du Tourisme) est d'ailleurs plus complète. En invoquant l'intérêt de l'enfant, ils militent en faveur d'une semaine de quatre jours et demi, avec cours le mercredi matin, et le samedi de libre, ce qui ne les place donc pas dans la position difficile des défenseurs de la semaine de quatre jours.

La semaine de 4,5 jours devrait organiser les cours du lundi au vendredi afin que les enfants bénéficient d’un WE de deux jours pleins. Ce dispositif permet de favoriser les départs en week-end et la fréquentation des stations de ski par la clientèle de proximité. 1

2)Les vacances

Les agences de tourismes comptent sur les vacances d'été et sur le principe des zones. C'est d'ailleurs ce tourisme qui est la cause du zonage des vacances de février et de Pâques. La CNT a donc proposé d'élargir ce concept et de mettre les zones durant les vacances d'été. Ceci pose évidemment le problème des examens de fin d'année, notamment baccalauréat et brevet des collèges, qui devront donc être adaptés pour ce système.

Le zonage de tous les congés scolaires, y compris en été, avec une révision des périodes d'examens, et d'inscription dans le cadre des études supérieures, qui, à ce jour, représentent un obstacle à toute modification. 1

II) Les intérêts pratiques

De nombreux différents points de vue interviennent en ce qui concerne la semaine de quatre jours. Tout d'abord, il y a la position des professeurs. La décision des emplois du temps, et donc de la période durant laquelle est posée l'aide individualisée leur revient. Ils ont la possibilité de la mettre le mercredi matin, mais ne le font pas en général.

(Extrait de notre entretien avec Jeanne Bot, travaillant dans le cabinet de Colombe Brossel, adjointe au maire de Paris chargée de l'éducation)

Cette aide est donc souvent pendant la pause du midi, ce qui alourdit les journées des élèves en difficultés, et maintient une semaine de quatre jours. De plus, lorsqu'ils sont sondés, une grande majorité se disent en faveur de la semaine de quatre jours 2. Ceci a été dénoncé par François Testu, qui estime que ces opinions ne sont absolument pas en accords avec l'intérêt de l'enfant. 3

En général, les intérêts tiers sont tels que beaucoup sont en faveur du retrait du samedi matin des emplois du temps des élèves. Mais, un argument insolite s'y oppose. Pour certains parents, le fait que les enfants aient cours le samedi était bénéfique, car ils pouvaient profiter de leur début de week-end pour entretenir leur vie couple... Cet argument est évidemment assez difficile à trouver dans une conversation sérieuse, mais certaines idées proches sont défendues : pour certains, le samedi matin permet aux parents qui sont souvent occupés pendant la semaine de rencontrer les professeurs, ce qui n'est pas forcément possible à un autre moment. Néanmoins, ces idées n'ont que peu de poids dans le débat.

Le chemin parcouru jusqu'à la conférence sur les rythmes scolaires ne peut pourtant se résumer à une série de prises de position qui nous amènent, en prenant en compte les intérêts économiques et pratiques, à la situation dans laquelle nous sommes. Celle-ci est aussi caractérisée par les obstacles du « retour en arrière » : revenir sur des réformes récentes présente son lot de difficultés.

III) Les intérêts politiques

La conférence nationale a pour but de poser, « sans tabou » selon le discours du ministre de l’Éducation Nationale Luc Chatel, les problèmes liés aux rythmes scolaires, et d'envisager les possibilités pour résoudre ces problèmes ; mais en plus des intérêts précédemment évoqué, la politique, au travers du discours de nombreux acteurs, se voit profondément lié au débat.

En soi, on ne peut pas en être surpris. Un bref regard par-dessus l'épaule nous renvoie immédiatement à la suppression de 16 000 postes d'enseignants à la rentrée 2010, à la réforme des lycées ou encore à la réforme de la carte scolaire. Et quand il est question de remettre en cause ces récents changements, certains estiment que l'on évoque trop facilement, comme c'est le cas avec le semaine de 4 jours, leur remise en cause alors qu'ils n'ont pas eu le temps de faire leurs preuves.

(Extrait de notre entretien avec Quentin Delorme, délégué UNL)

C'est l'ensemble des réformes imposées ces 3 dernières années qui ne va pas dans le bon sens ! Avec du recul et sur fond de politique éducative tout entière tendue vers les suppressions massives de postes, chacun sait qu'au delà de la suppression du samedi matin, ce sont les nouveaux programmes, l'introduction de l'aide personnalisée (qui alourdit encore la journée des élèves les plus fragiles), le nouveau protocole d'évaluation, qui ont déstabilisé notre métier. 4

Dans ce contexte difficile, Luc Chatel ne commente pourtant pas les critiques de la politique récente, et réaffirme que seul l'intérêt des enfants doit primer dans le débat. Faut-il entendre par là que les intérêts tiers ne régissent plus, comme durant le 20ème siècle, le rythme de l'école ? Il faut analyser ce qu'il y a derrière cet "intérêt de l'enfant" pour le savoir.

C'est donc principalement du à ce que l'on peut appeler les intérêts tiers que la suppression des cours le samedi matin a été décidé. Mais cette réforme est maintenant très fortement critiquée. Faut-il toujours les prendre en compte, ou centrer le débat sur l'intérêt de l'enfant?




1CRT. Rythmes et calendrier scolaire, consulté le 13 Mai 2011 (lien)
2 Rapport ministériel, « Organisation du temps scolaire dans le premier degré : Les effets de la semaine de quatre jours. », page 6, consulté le 13 Mai 2011 (lien)
3 François Testu. Dans le futur débat sur l’école, le problème des rythmes scolaires, (lien)
4 Contribution à la conférence nationale du SNUipp, consulté le 14 Mai 2011 (lien)

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