Le tiers temps

Une faute majeure : c'est ainsi que de nombreux partis qualifieraient l'attitude consistant à se borner au temps scolaire, représentant uniquement le quart d'une journée en primaire. Le tiers-temps tel qu'organisé à l'heure actuelle mépriserait gravement le problème des inégalités sociales ; on ne contribue qu'à les accentuer en privant l'école de moyens suffisants.

La journée scolaire ne peut se résumer au temps scolaire au sens strict, c'est-à-dire aux heures de cours. Ce qui rend le problème d'autant plus complexe est le devoir du débat de se pencher sur tous les temps qui régissent la journée scolaire et qui s'articulent autour d'elle. C'est ce que nous appellerons ici le !!tiers-temps !!.

Dès 2000, l'inspection générale de l’Éducation Nationale explicite son importance en tant que problème à part entière des rythmes scolaires :

Lorsqu’on traite de l’aménagement des rythmes scolaires, on fait porter l’expertise sur le temps de l’obligation scolaire et lorsqu’on se penche sur l’aménagement des rythmes de vie, on s’intéresse plus directement aux temps périscolaires de la journée d’école. Il est évident que les deux périodes de temps interagissent et que la distinction est surtout utile pour savoir de quoi l’on s’occupe, dans quel cadre et qui est plus directement responsable.
Lorsqu’on dit que la journée d’école est trop longue et trop fatigante, on s’exprime sur le temps de l’obligation scolaire et sur les temps périscolaires qui l’entourent, y compris les transports scolaires, sans qu’on perçoive bien leur part respective dans l’appréciation portée.1

Partant de là, le temps d'acheminement jusqu'à l'école par les transports influe sur la fatigue et la disponibilité des élèves, de manière différente d'ailleurs s'ils habitent près de leur établissement ou non.

I) Transport scolaire, source de disparité ?

Dès lors que l'on travaille sur un nouvel emploi du temps de la journée, il faut être capable d'inscrire cet emploi du temps dans son contexte : ainsi, l'heure et les conditions de l'accueil des enfants le matin est étroitement lié avec les possibilités offertes par les transports aux élèves domiciliés loin de leur école. L'idée d'emploi du temps de la journée évoquée par les chronobiologistes semble d'ailleurs tenir compte de cet aspect, en proposant l'idée reprise par les associations de parents de réserver la première heure le matin (entre 8 heures et 9 heures, usuellement) à un accueil informel des enfants : outre la possibilité de s'éveiller progressivement ou de faire des activités qui les sollicitent peu, cela permet aux élèves contraints par la longueur de leur trajet de ne pas être pénalisé.

Pour autant, les transports ne sont absolument pas (ou plus) la priorité d'un débat longtemps régi par des intérêts économiques avant tout, mais se recentrant désormais sur « l'intérêt de l'enfant », et si les syndicats de transports demandent2 que le débat soit coordonné en tenant compte de leurs propres contraintes, la conférence de 2011 est bien plus propice à prendre ces considérations comme totalement secondaires.

(Extrait de notre entretien avec Hubert Montagner, ancien directeur de recherche de l'INSERM, spécialiste de la chronobiologie)

Et ce qui inquiète les parents et les élèves notamment, c'est que dans un débat intitulé « rythmes scolaires », on en vienne finalement à oublier qu'il n'y a en aucun lieu possibilité de définir un rythme unique censé convenir à tous les élèves. A l'heure actuelle, comme les rapports des syndicats de transport le montrent2, une grande disparité existe entre les élèves relativement au temps passé dans les transports chaque jour, notamment dans l'enseignement secondaire. Crainte qui constitue d'ailleurs davantage une déception, le système actuel étant parfois profondément discriminatoire sur le plan social.

(Extrait de notre entretien avec Corinne Tapiero, vice-présidente de la PEEP)

(Extrait de notre entretien avec Quentin Delorme, délégué UNL)

En réalité, c'est l'ensemble du tiers-temps qui est pointé du doigt sur le terrain des inégalités sociales : les enfants sont inégaux devant l'ensemble des activités scolaires.

II) Les activités périscolaires

Avec la contribution d'associations culturelles ou sportives, les collectivités locales ont à charge d'organiser des activités en dehors du temps scolaire pour les écoliers.

Malgré différentes initiatives depuis plusieurs années pour répondre à cette attente (l'inspection générale fait mention par exemple de la circulaire du 11 Février 1987 1), la question n'a jusqu'ici pas trouvé de conclusion.

Encore une fois, une forte majorité se dégage pourtant, dénonçant des périodes chômées par les plus jeunes qui ne peuvent pendant lesdites périodes être pris en charge par personne. La semaine de 4 jours est à ce titre largement critiquée en tant que les Samedi libérés livrent les enfants à eux-mêmes, comme le faisaient déjà les fins d'après-midi quand les parents sont encore au travail ; mais de manière globale, tous les temps de congés sont mis en cause.

Ce rythme creuse les inégalités entre ceux qui sont livrés à eux-mêmes en dehors de l'école et les autres.

  François Testu 3

La durée des vacances d’été est source de disparité : vacances familiales, culturelles, activités enrichissantes pour les uns, vacuité d’un temps non mobilisé, télévision et ennui pour les autres, livrés à eux-mêmes. 4

Les enfants étant libérés l'après-midi, cette pratique est considérée comme discriminante pour les familles modestes dont les enfants sont livrés à eux-mêmes. [à propos du modèle allemand] 5

Un tel consensus se dégageant déjà depuis plusieurs années, comment a-t-on pu arriver en 2010 avec un débat sur le tiers-temps au coeur de la polémique ?

Il faut dire que le tiers-temps est pourtant très bien réparti parmi les autorités compétentes : les activités extra-scolaires sont organisées conjointement par les associations et les collectivités locales ; celles-ci peuvent être appuyées financièrement par l’Éducation Nationale.

Le système de mise en place d'activités culturelles et sportives durant le tiers-temps nécessitent que les collectivités locales soient accompagnées par l’Éducation Nationale.

Mais dans un système décrié en tant qu'il met en relief les inégalités sociales entre les enfants, on ne sait pas toujours dire dans quel camp est la balle. Les collectivités locales (par exemple les municipalités) sont généralement en charge des activités scolaires et des transports, mais ne peuvent pas toujours à elles seules garantir des activités riches et variées pour tous, comme le revendiquent par exemple l'UNL.

Une des illustrations de ces problèmes est le soutien scolaire. Il aggrave en effet les inégalités sociales selon deux points de vue à ne pas confondre :

-En le laissant hors des heures de cours (il peut donc toujours être intégré dans un temps scolaire alors élargi), il stigmatise les élèves en situation d'échec, en leur faisant pratiquement subir des heures de plus dont les élèves rapides sont dispensés.

(Extrait de notre entretien avec Hubert Montagner, ancien directeur de recherche de l'INSERM, spécialiste de la chronobiologie)

-En le laissant dans le tiers-temps, il accentue les inégalités en faisant payer l'enseignement, qui devient alors un marché, le marché des cours particuliers.

(Extrait de notre entretien avec Quentin Delorme, délégué UNL)

Sur le fond, l'UNL qui propose un soutien scolaire après les cours, et les chronobiologistes (ici Hubert Montagner) qui préconisent l'intégration du soutien au temps des cours à proprement parler, ne sont pas en parfait accord. Mais sur la forme, existe une revendication commune : que les élèves ne soient pas dans l'obligation de chercher une aide scolaire par eux-mêmes, mais que cette aide, en vertu du devoir de l'école, soit fournie par l'école elle-même.

De manière générale, cette nécessité de donner les moyens à l'école pour avancer est le point de blocage dans la controverse.

III) « Donner les moyens » à l'école : l'impossible nécessité ?

16 000 postes d'enseignants supprimés à la rentrée 2010, 5 postes de conseillers d'orientation sur 6 non remplacés6, et surtout une baisse significative du budget accordé à l'éducation : la crise économique n'a pas épargné l'école, et nombre de protestations s'élèvent contre le manque de moyens accordés, d'autant plus relativement à l'ambition affichée du gouvernement.

(d'après S.Huet sur le site sciences.blogs.liberation.fr, consulté le 8 Mai 2011)

Organiser le temps scolaire en général, et le tiers-temps en particulier (avec les questions de transports, de soutien scolaire ou d'activités culturelles et sportives qu'il comprend) a un coût, qui doit être pris en compte malgré une volonté affichée de tout faire dans l' « intérêt de l'enfant ». Il n'y a aucun mal à concevoir qu'une réflexion émancipée de toute considération économique ait lieu d'être en ce qui concerne le temps scolaire : on conçoit qu'un emploi du temps puisse convenir davantage aux élèves tout en étant moins coûteux que les autres ; en revanche, des ressources sans limites assureront toujours une mise à disposition plus large d'activités et de services pour les élèves.

En d'autres termes, le tiers-temps et l'économie sont profondément intriqués, et ce qui fait barrage actuellement dans le débat du tiers-temps relève avant tout des moyens que l'Education Nationale sera prête à mettre à disposition :

(extrait de notre entretien avec Jeanne Bot, Chef de cabinet de Colombe BROSSEL, Adjointe au Maire de Paris chargée de la Vie scolaire et de la Réussite éducative)

le SNUipp demande la création d'un fond de péréquation abondé par l'état qui viendrait aider les communes dans le besoin afin que celles-ci puissent mettre en oeuvre une offre éducative de qualité. Trouver les bons rythmes, c'est donc aussi s'en donner les moyens matériels (qualité des locaux scolaires et extrascolaires). 7

et nous renvoyons également aux extraits de notre entretien avec Quentin Delorme, délégué de l'UNL, revendiquant de nombreuses nécessités matérielles pour faire fonctionner les rythmes scolaires.

Pourtant, si l'on se concentre sur la masse financière accordée à l'éducation, la France ne devrait pas avoir à rougir face aux autres pays. La Finlande, citée en exemple et encensée par les évaluations PISA consacre une part de son PIB à l'éducation voisine de celle de la France (autour de 7%). Cependant, le corps administratif autour de l'école est beaucoup moins dense en Scandinavie.

L’absence de « vie scolaire » et de corps d’inspection et le poids beaucoup moins lourd de l’administration centrale en raison d’une décentralisation poussée pourraient être des éléments de réponse. En tout cas il est certain que les moyens, s’ils sont réellement identiques, sont distribués de façon beaucoup plus efficiente pour le plus grand bénéfice des élèves. 8

la France ne souffre pas d'une insuffisance d'investissement public dans l'éducation. C'est plutôt l'organisation, la manière d'enseigner qui font la différence. Sachant qu'en Finlande les élèves sont bien encadrés, le professeur disposant souvent d'un assistant au primaire et au collège, et les classes ne sont pas surchargées. Par contre, il n'y a pas de corps d'inspecteurs. 9

Ainsi, des moyens davantage orientés pour le financement de matériel et de personnel pédagogiques sembleraient pouvoir jouer en faveur de la France.

Le tiers-temps fait partie intégrante de la journée scolaire. Mais contrairement à l'horaire journalier de cours, son organisation est étroitement liée à des intérêts tiers. En fin de compte, contrairement au temps scolaire sensu stricto, ce ne sont pas les horaires qui constituent le point de débat du tiers-temps : on relèvera seulement à ce niveau des préconisations du placement du soutien scolaire dans la journée, sur lequel il n'y a d'ailleurs pas consensus, ainsi qu'un Mercredi après-midi immuable pour les associations (sportives notamment) qui privilégient ce moment de la semaine pour leur activité.

Le débat a profondément évolué ces vingt dernières années pour se recentrer progressivement sur les besoins de l'enfant ; pour autant, on n'utilise peut-être pas suffisamment bien les moyens à notre disposition pour faire de l'école un lieu d'épanouissement et d'apprentissage accessible et profitable à tous au même niveau. C'est encore au sein de ce tiers-temps que s'emmêlent les différents intérêts tiers, qui en constituent le débat.



1 Inspection générale de l’Éducation Nationale. L'aménagement des rythmes scolaires à l'école primaire, consulté le 7 Mai 2011 (lien)
2 Contribution de la FNTV à la conférence nationale sur les rythmes scolaires, consulté le 7 Mai 2011 (lien)
3 Interview de François Testu pour le site vosquestiondeparents, consulté le 7 Mai 2011 (lien)
4 Résumé du rapport de synthèse de la conférence nationale, consulté le 7 Mai 2011 (lien)
5 Julie Verdier. La rentrée des rythmes scolaires : débats et expérimentations, consulté le 7 Mai 2011 (lien)
6 Site du SNES, consulté le 8 Mai 2011 (lien)
7 Contribution du SNUipp à la conférence nationale, consulté le 8 Mai 2011 (lien)
8 Philippe Meirieu. L'éducation en Finlande : les secrets d'une étonnante réussite, consulté le 8 Mai 2011 (lien)
9 Vladimir Vodarevski. Education : les chiffres et commentaires, consulté le 8 Mai 2011 (lien)

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