Le constat des apiculteurs

Naissance de la controverse par une constatation des apiculteurs et des défenseurs de l’environnement

Dès les années 1970, les apiculteurs constatent une surmortalité au sein de leurs ruches d’abeilles domestiques. Ainsi apparaît le « syndrome d’effondrement des colonies », aussi appelé « Colony Collapse Disorder » (CCD) aux Etats-Unis. Si l’existence d’une surmortalité est admise par la quasi-totalité des acteurs, les causes de celle ci restent très largement controversées. Toutefois, les pesticides émergent parmi les principaux suspects. Ceux-ci pourraient même avoir des effets particulièrement néfastes sur l’abeille lorsqu’ils sont plusieurs à se mélanger. C’est en tout cas la thèse que soutiennent certains apiculteurs et qui commence juste à être partiellement confirmée par la communauté scientifique. Comment les interactions entre pesticides s’intègrent-elles dans les causes de la surmortalité des abeilles en France ? Comment les apiculteurs en sont-ils venus à ces conclusions, et quels sont leurs arguments ?

Apparition d’une controverse sur la synergie entre pesticides

Cette hypothèse est portée pour la première fois en 2006 sur la scène internationale lors d’une recherche conduite aux Etats-Unis sur une grande partie du territoire (la moitié des Etats) et au Canada. Cette étude publiée dans Public Library of Science a montré l’existence de plus de cent pesticides différents présents dans les différents éléments observables d’une ruche: dans la cire, le pollen accumulé par les butineuses et même sur les abeilles elles-mêmes.  »La variété des éléments que nous voyons dans le pollen et les abeilles elles-mêmes est préoccupant« , déclare Jeff Pettis, co-auteur de la recherche, même si selon lui aucune des concentrations des pesticides pris seuls n’est suffisante pour entraîner la mortalité des abeilles. « Ce n’est peut-être pas la seule cause du CCD mais c’est un facteur qui y contribue« , estime-t-il.

En France, il faut attendre 2011 pour qu’un groupe de l’INRA Paca dirigé par Luc Belzunces développe scientifiquement la question. Les conclusions sont alors très claires : la concentration de pesticides qui devient nocive pour les abeilles dans le cas d’un mélange est très inférieure aux seuils respectifs de chaque pesticide. Gilles Lanio, apiculteur du Morbihan affirme qu’une expérience a été réalisée en 2010 montrant très clairement cet effet de synergie :

Sur un champ A de la deltamétrine a été épandue à une concentration 50 fois moins forte que la dose légale.
Sur un champ B du procloran a été épandu à une concentration 10 fois moins forte que la dose légale.
Sur un champ C, on mélange les deux substances précédentes aux mêmes concentrations avant de les épandre.

   Champ A 

    Aucune mortalité anormale.

 

 

 

   Champ B 

   Aucune mortalité anormale.

                                                         

     

                                              

   Champ C

    75% de mortalité

C’est donc à partir de telles expériences que les apiculteurs, représentés par l’Union National de l’Apiculture Française, affirment que les croisements entre pesticides constituent un réel danger.

Or c’est là que la controverse s’intensifie. Tout d’abord cela signifie qu’un protocole de test de toxicité d’un pesticide sur la santé des abeilles doit prendre en compte les interactions de ce pesticide avec tous les autres existants. Non seulement il est difficile de conduire de telles études, mais selon Gérard Arnold : quand on sait qu’un seul test de ce type « se chiffre entre 100 à 200€ » et qu’on multiplie cela par le nombre de produits phytosanitaires existants, « on comprend les sommes colossales requises pour effectuer correctement ces tests. » Or les apiculteurs ne sont pas en mesure, seuls, de subventionner de telles études. Luc Belzunces, directeur de recherche au laboratoire de toxicologie environnementale de l’INRA d’Avignon : « Je ne vois pas comment les pesticides, qui sont capables d’altérer tous les écosystèmes et quasiment tous les organismes des écosystèmes, puissent ne pas altérer l’abeille. Cela voudrait dire que l’abeille est le seul organisme qui ne serait pas atteint par les pesticides. Le défaut des tests est que l’on n’est pas capable à l’heure actuelle de pouvoir envisager, et même d’étudier dans un dossier d’homologation, tous les effets possibles que peu vent entraîner les molécules mises sur le marché ». Voilà une première source de controverse. M. Arnold ajoute : « Derrière il a quand même l’agriculture française (lien vers les enjeux économiquesqui est surtout intensive et ça remet trop en cause les méthodes agricoles utilisées depuis de nombreuses années. »

De plus, ce n’est pas parce qu’un pesticide passe ces tests qu’il est épandu correctement. L’agriculteur est un acteur que l’on ne peut pas négliger, car c’est lui  est chargé de respecter les mélanges légaux, les zones géographiques et les périodes d’épandage autorisées.

Ainsi les problèmes d’expertise et de multiplicité des acteurs et des facteurs s’accumulent pour donner à la controverse toute son ampleur.

Quels sont alors les recours d’un apiculteur qui constate une surmortalité de ses ruches pour se faire entendre ?

Pour dénoncer des mésusages ou des déviances, les apiculteurs demandent une première fois au ministère de réagir, ce qui a généralement peu d’effet, selon M. Arnold: « C’est finalement le conseil d’état qui leur donne raison, pour n’arriver à rien de concret. »

Pour le Cruiser, le conseil d’état a toujours donné raison aux apiculteurs, mais le ministère a systématiquement prolongé d’un an l’autorisation dans l’attente d’une expérimentation suffisante pour prouver efficacement l’effet néfaste du produit.  Depuis deux ans, c’est le colza qui pose des problèmes aux apiculteurs, mais l’hétérogénéité géographique des effets sur les abeilles rend le phénomène difficile à cerner. De plus, les répercutions ne sont pas forcément brutales. Parfois ce ne sont que des décolonisations qui affaiblissent les colonies. Ainsi, comme le confirme Gilles Lanio dans son entretien, il est difficile pour un apiculteur de se faire entendre.