Entretien avec un employé de Syngenta

Syngenta est une société productrices de produits phytosanitaires, dont le Cruiser, qui est le pesticide le plus controversé ces dernières années. Nous avons réussi à contacter le responsable stewardship de cette entreprise, chargé de l’accompagnement des produits. Voici la retranscription de l’entretien que nous avons eu avec lui:

  • Elèves
  • Syngenta


  • Merci beaucoup de nous avoir permis de vous rencontrer. Si vous pouviez commencer par vous présenter.
  • Je suis responsable Stewardship chez Syngenta, je m’occupe donc de l’accompagnement et l’utilisation des produits. Ça concerne tout ce qui est après l’autorisation de vente en fait. Je suis chargé de communiquer toutes les recommandations qui accompagnent l’utilisation par les agriculteurs de façon à éviter au maximum un impact néfaste sur l’environnement, etc…
  • Lorsqu’un produit est délivré à un agriculteur quelles sont les mesures prisent par votre entreprise pour encadrer son utilisation ?
  • L’autorisation est donnée par un organisme d’étude qui s’appelle l’ANSES qui est une agence d’évaluation. L’ANSES suite à l’examen du dossier, de ses aspects physiques, chimiques, environnement, santé humaine, efficacité …  L’ANSES émet un avis qui s’accompagne d’un certain nombre de recommandation. Ensuite c’est le ministère qui décide finalement de délivrer ou non une autorisation de vente du produit avec ses conditions d’utilisation. La décision du ministère est en générale cohérente avec celle de l’ANSES mais il peut y avoir des cas ou les recommandations sont trop compliquées à respecter dans la pratique agricole et le ministère peut refuser l’autorisation. Les recommandations d’emploi donne la dose, les périodes d’application, le type de culture concerné, comment faire avec des cultures en rotation, quels types de sols sont compatibles, etc… Globalement pour délivrer une autorisation il faut compter deux ans pour l’étude du dossier.
  • Et vous pensez qu’il s’agit d’une période trop longue, trop courte pour permettre de rendre un verdict fiable sur un tel genre de produit ? Pour le Cruiser par exemple le compte rendu de l’autorisation certifie qu’il est nécessaire de poursuivre les recherches même si l’autorisation a déjà été délivrée.
  • Pour ce qui est du Cruiser toutes les études ont maintenant été menées à terme et le verdict final a été rendu. Il y a plusieurs produits sous l’appellation CRUISER, actuellement c’est celui destiné au colza qui est au centre de la controverse. Ce qui a été demandé au niveau des abeilles à Syngenta c’est de prouver l’innocuité pour les abeilles. Il fallait montrer que dans les conditions de la pratique il n’y avait pas de risques inacceptables pour les abeilles. C’est le sujet de toutes les études menées par Syngenta dans ce domaine. Ce dossier d’étude est fournit à l’ANSES qui fait l’évaluation des études et délivre un avis au ministère.
  • Et les études sont financées par Syngenta ?
  • Forcément c’est le demandeur qui finance.
  • Et il n’y a pas d’études complémentaires menées en parallèle par les pouvoirs publiques ?
  • Non et c’est justifié je pense car les fonds publiques ne sont pas fait pour ce genre d’utilisation. C’est un bien qui va être commercialisé et il est à la charge du producteur durant toute la phase de conception. En fait ce qu’il s’est passé pour le Cruiser et qu’il y avait déjà avant avec le Gaucho c’est que le produit ou du moins sa molécule active a été accepté dans un premier temps à un niveau européen mais il a fallut soumettre un dossier en France et dans les autres pays concernés qui réévaluent le produit. Avec la polémique grandissante en France c’est au moment de réévaluer le produit que l’état a demandé des études supplémentaires que Syngenta a du lui fournir pour évaluer si oui ou non le produit serait finalement utilisé en France.
  • Et pensez vous que le fait de faire faire les tests par le demandeur soit une chose acceptable, que cela n’engendre pas forcément de conflits d’intérêts ?
  • La question peut se poser mais c’est de toute façon le seul moyen de faire ces tests. Personne d’autre ne pourrait les prendre à sa charge et il n’y a donc aucune autre façon de faire. Les études sont faites par des organismes financés par les producteurs de pesticides certes mais qui font des études selon des procédures bien établies et une méthodologie officielle très réglementée. A la suite de leurs études ils font un rapport qui est directement transmit dans le dossier pour l’ANSES. Pour moi ce sont des études complètement impartiales, elles ne sont pas menées en interne mais par un organisme contractuel. D’autres études sont parfois menées en parallèle par des organismes agricoles qui testent le produit sur de petites parcelles et fournissent des jugements supplémentaires sur l’efficacité mais aussi sur la dangerosité du produit. Ça fait longtemps qu’on demande à ce que l’institut technique de l’agriculture puisse faire ce genre d’évaluation. Cet institut est encore très jeune mais à long terme c’est un des buts de sa création. A condition qu’ils respectent les conditions d’expérimentations qui sont très exigeantes pour le moment. A vrai dire il n’y a que très peu de structures qui sont capables de faire tous les tests et les études demandées. Ils travaillent avec tout le monde et c’est un point de plus qui montre que ces organismes ne sont pas influencés.
  • Comment cela se fait-il, alors, que la controverse ait émergé autour de ces produits en particulier s’ils ont suivi un règlement qui vous semble a priori incontestable? Comment les apiculteurs ou autres ont ils visé ces produits en particulier ?

  • Il y a quand même des critères qu’ils utilisent, qui sont pertinents, je ne critique pas, c’est le DL 50, la dose létale pour 50% de la colonie. Il y a toujours un risque pour les abeilles lorsqu’on parle d’insecticides, c’est fait pour combattre les insectes. Après c’est une question de doses, d’exposition. Ils partent de ces DL 50, cela vous donne une gamme de valeurs donnant si le pesticide est nocif intrinsèquement par les abeilles, de par ses propriétés. Après, il y a tout le travail d’évaluation. Les officiels regardent quelle dose on va utiliser, est ce qu’il y a un risque de contact de ces insecticides avec les abeilles ? Est ce qu’elles vont en ingérer ? Est ce qu’elles sont susceptibles d’en ramener dans la ruche ? Est ce que c’est quantité ramenée pose un problème à la ruche ? C’est ça tout l’objet de l’étude. A partir de là ils ont décrété que toute une famille de pesticide, les néocotinoides sont responsables de la mort des pollinisateurs. En vérité ce n’est pas si facile parce qu’il y a des différences importantes entre les pesticides d’une même famille. Ils se sont focalisés sur cette famille là. Il y a autre chose, c’est qu’en 1995, les apiculteurs notamment de L’ouest de la France ont remarqué une chute de leur production de miel de tournesol, associée à une diminution de leurs colonies. Et ils ont associé ça avec le Gaucho qui commençait à être utilisé dans la région sur le tournesol. C’est comme ça que le Gaucho a été mis en cause. Il y a eu une polémique, j’ai suivi ça de très loin parce que ça ne me concernait pas directement. C’est monté beaucoup en pression. C’est un sujet qui a été pris très largement par les médias, il est devenu très émotionnel alors qu’il était très technique au départ. C’est devenu très médiatique.

  • Et politique même.

  • Oui politique également. C’est devenu médiatique, politique et même grand public. C’est quand même assez étonnant, si on demande au grand public des noms de produits phytosanitaires, personne n’en connaît. Par contre le Gaucho tout le monde connaît. Il y a eu tout un phénomène médiatique et politique autour de ça. Il y a autre chose également qui favorise ce débat, c’est que les produits phytosanitaires ça n’intéresse pas le grand public, il n’en a pas besoin. Les pesticides ils ne connaissent pas. Ils ne gèrent pas bien la notion de bénéfices et risques. Ce n’est pas comme pour le téléphone portable où tout le monde est près à prendre le risque de téléphoner. Ils trouvent ça tellement pratique qu’ils sont prêts à prendre le risque d’un potentiel cancer du cerveau selon les médias. Les gens ne sont pas directement concernés par les pesticides, ils ne veulent pas pendre le risque. C’est pour ça que cette polémique a pris une ampleur aussi importante.

  • Vous avez souvent à gérer des gens qui viennent vous voir, sans compétences techniques, pour se plaindre de la toxicité de vos pesticides ? Des gens qui se manifestent pour essayer de sauver les abeilles. Une grande partie du public est en faveur des abeilles.

  • Nous aussi on est en faveur des abeilles  hein !

  • J’entends bien mais arrivez vous à discuter de cette polémique avec des gens sans connaissances techniques

  • Dans la discussion on a du mal, on en arrive vite à des considérations techniques. C’est difficile pour un public qui n’est pas spécialisé de suivre ce genre de conversation. Par exemple sur l’informatique et le nucléaire, je manque de connaissances. Lorsqu’il y a un débat sur l’informatique, je ne comprends rien. Je rate des informations très importantes. J’ai du mal à me faire une opinion sur le nucléaire par exemple. C’est un des problèmes qu’on a. Et puis c’est une des rares espèces d’insectes qui a une très bonne image pour le grand public. Bon ça pique un peu mais ça a globalement une très bonne image environnementale. Il est difficile de faire passer des informations techniques au grand public, et c’est d’autant plus important pour nous que la plupart des apiculteurs sont des amateurs très proches du grand public. Quand on leur parle des homologations, des agences d’évaluations, des AMM, ils ne comprennent pas. On a du mal à faire passer des messages, expliquer qu’il y a des procédures, qu’on ne fait pas ça n’importe comment.

  • Il y a également beaucoup d’apiculteurs qui se posent des questions sur les synergies possibles entre différents pesticides, des effets qui seraient démultipliés en présence d’autres produits. On se doute bien que les entreprises contractuelles que vous contactez pour l’homologation font des analyses sur le produit et ils ne cherchent pas à savoir s’ils sont néfastes associés avec d’autres pesticides déjà sur le marché. Qu’en pensez vous ?

  • Oui il y a un cas malheureux de ce côté là, une interaction entre un pesticide et un fongicide qui augmentait les risque pour les abeilles. C’est reconnu de tous, indépendamment ils ne sont pas dangereux mais mis ensemble, mais ensemble, on augmente le risque. Ca c’est connu, ce sont les apiculteurs d’ailleurs qui ont tiré la sonnette d’alarme. Ils ont dit « il se passe des trucs bizarres sur nos abeilles ». L’INRA a lancé une étude complémentaire et a établi des synergies néfastes sur les abeilles. Il y a eu ce cas malheureux. Maintenant l’effet cocktail général, personne ne sait le mesurer déjà, mais bon il y a beaucoup d’études sur les abeilles et ce que je remarque moi c’est que les niveaux restent extrêmement faibles. Très honnêtement, moi j’ai un peu des doutes. Par exemple on a eu un cas de ce qui a été attribué à des intoxications sur les colzas en 2010, à l’Ouest de la France. Les apiculteurs ont signalés des mortalités anormales, et une étude a été lancée. On a trouvé des traces de tout un tas de substances qui sont utilisés, vous savez en analyse on détecte tout. Ils n’ont pas trouvé de pathologies particulièrement importantes, et les apiculteurs ont dit « voilà c’est le cocktail de produits qui a fait ça ». Là où j’ai un doute c’est qu’on avait les mêmes produits et les mêmes analyses à certains autres endroits et on ne constatait aucune augmentation de la mortalité. Je ne connais pas toutes les conclusions de l’étude mais bon, ce n’est pas si net que ça.

  • Le côté multifactoriel peut s’étendre au-delà du cocktail de pesticides. Il y a aussi les causes environnementales, etc… C’est beaucoup plus complexe que ce qu’imaginent les apiculteurs de par les précédents qu’il y a pu avoir

  • C’est très compliqué effectivement.

  • Est-ce que vous recevez des plaintes d’apiculteurs qui se plaignent que le mélange de tel et tel pesticide provoque une mortalité accrue des abeilles ? Ou bien sont-elles envoyées directement au gouvernement ?

  • Nous on a ce genre de contacts avec des apiculteurs avec lesquels on a l’habitude de travailler. Après, la procédure normal lorsqu’un apiculteur remarque qu’il y a quelque chose d’anormal sur des ruches (car cela ne veut rien dire sur une ruche) c’est de faire appel à la brigade vétérinaire nationale. Celle-ci intervient directement ou bien elle délègue les instructions aux brigades départementales des services vétérinaires pour faire des prélèvements. Ces prélèvements sont envoyés à un laboratoire, à noter qu’en France il y a deux gros laboratoires d’analyse d’abeilles ; il y a l’ANSES à Sophia Antipolis et il y a le GIRPA dans la région d’Angers qui sont des laboratoires officiels. Donc ceux-ci reçoivent les échantillons d’abeilles qui ont été prélevés par les services vétérinaires, que ce soit par la brigade nationale ou par les services départementaux. Ils réalisent les tests pathologiques et chimiques et à partir de là, la cause de la mort  peut être due une pathologie dominante qui se manifeste par la présence en grandes quantités d’un virus, ou bien à un certain nombre de molécules qui sont à des seuils anormaux. Ensuite ils réalisent un compte rendu qu’ils envoient à l’apiculteur, dans lequel ils expliquent les causes de la mort des abeilles.

  • Suite à ces analyse, est ce que cela peut arriver (et j’imagine que cela doit arriver souvent) que l’on détecte un mauvais usage des pesticides (et donc de vos produits) de la part des agriculteurs, comme par exemple suite à un épandage trop important ou à une dose trop forte ?

  • Oui cela arrive, néanmoins on a constaté une amélioration à ce niveau là, de la part des agriculteurs qui font de plus en plus attention. Souvent les apiculteurs me disent que les agriculteurs sont tout le temps en train de traiter. J’y crois pas du tout, car c’est une telle procédure très lourde pour un agriculteur, de mettre en place un traitement ; il faut qu’il ait le produit, il faut qu’il prépare les cuves, il faut traiter sous certaines conditions : vous ne pouvez pas avoir trop de vent par exemple … Donc les agriculteurs qui traitent pour le plaisir, honnêtement, j’y crois pas. De plus, le coût moyen d’un traitement en France c’est 30€/hectare, ce qui fait pour un agriculteur qui possède 100 hectares, plus de 3000 €, on ne s’amuse pas à mettre 3000 € comme cela. Je dirais donc que les agriculteurs font de plus en plus attention, cependant comme dans toutes les autres professions, il n’est pas exclu que quelqu’un fasse une ânerie. C’est d’ailleurs notre rôle d’éviter ce genre de situations en faisant attention qu’ils aient les bonnes recommandations, les bons outils pour mettre en œuvre l’épandage correctement. L’inverse existe aussi, les apiculteurs font des traitements dans leurs ruches de manière très folklorique. Les deux situations existent ; dans toutes les professions, il y a des gens qui sont plus ou moins techniques.

  • Avez-vous une opinion personnelle, quant à ce qui provoque le syndrome de disparition des ruches ? Si par exemple, il y a un autre facteur important que les produits phytosanitaires.Car en France on a vu que les pesticides étaient pointés du doigt. Alors qu’en Belgique on dénonce plus un parasite.

  • Le varroa ? Pour moi le varroa c’est le numéro 1, et j’en suis de plus en plus convaincu. Il faut savoir que le varroa est un acarien qui se fixe sur les larves d’abeilles et qui pompe les lymphes , pour s’en nourrir. Ainsi, il affaiblit la larve, et ensuite il transmet des virus à l’abeille. Pour vous donner une idée, la taille de varroa par rapport à celle de l’abeille, c’est comme si vous posiez une assiette sur un cochon.  En France, pour les apiculteurs qui sont consciencieux, il se traite par le biais de 2 insecticides principalement : l’amitraz et le tofuvalinat. Ceci dit, il n’y a que 40% des apiculteurs qui utilisent des produits homologués pour le varroa, les 60% restant font, si je puis dire, leur bricolage et ce sont des choses qui sont autorisées. Par exemple, on parlait de formulations, de doses, etc… Dans la lutte contre le varoa, on insère des bandelettes de plastique imprégnées de ces deux insecticides, dans les ruches après la miellée, cela se passe donc entre Août et  Novembre. Ainsi, lorsque les abeilles passent dessus, elles s’imprègnent de ces insecticides, ainsi, le varroa se décolle. A notre connaissance, ce produit n’a jamais eu d’effet connu sur les abeilles. Ceci dit, vous trouvez les mêmes matières actives dans des élevages bovins, elles sont vendues en bidons de liquide qui content moins cher que les languettes. Il y a donc beaucoup d’apiculteurs qui achètent les bidons et qui se font leurs propres languettes eux-mêmes. Au niveau des doses c’est donc n’importe quoi. On constate alors beaucoup d’échec dans la lutte contre le varroa, quand ce n’est pas la colonie qui décide littéralement de quitter la ruche car les doses utilisées sont trop importantes il se produit une sorte d’affolement de la ruche en réponse à ces doses trop élevées. Donc pour moi le facteur numéro un c’est le varroa, une fois qu’on aura réglé ce problème, on pourra s’intéresser à la lutte contre les pesticides et aux autres maladies.
  • Mais le varroa existe depuis longtemps, comment se fait-il que l’on ne le remarque que maintenant ?
  • Il est apparu dans les années 80. Il provient d’Europe de l’Est et il est entré en France par l’Alsace. Depuis, il s’est étendu dans toute la France. De plus la présence du varroa est couplée à un problème de résistance aux pesticides, car les deux insecticides contre le varroa que j’ai cités précédemment ont commencé à être utilisés vers 1985. Le varroa a donc développé une certaine résistance à ces produits, ce qui est normal car les acariens ont toujours cette tendance à développer cette résistance. Les produits sont donc actuellement un peu moins efficaces. On commence donc à chercher de nouvelles solutions car ces produits qui sont utilisés depuis 30 ans déjà, commencent à perdre en efficacité. Le varroa c’est donc le numéro un, si vous regardez en Belgique, c’est ce qu’ils disent, en Allemagne également : sur leur étude pluriannuelle sur les ruches, la seule cause de mortalité des ruches qu’ils ont réussi à mettre en évidence est le varroa, et ils sont catégoriques là-dessus. De plus, un autre constat qui nous fait dire que le varroa est la cause numéro un est que les insecticides néonicotinoides sont très largement utilisés dans le monde entier et que dans l’hémisphère sud, on ne constate pas de disparition d’abeilles, mis à part quelques accidents ponctuels. Une des raisons à cela est que le varrroa n’y existe pas, ou du moins pas encore. Une autre est que dans tout le sud de l’Afrique et de l’Amérique du Sud, les abeilles sont dites Africanisées ; elles savent s’épouiller et donc se débarrasser du varroa. C’est pour cela qu’il y a des travaux qui sont menés notamment à l’INRA d’Avignon, et on attend beaucoup de ces travaux, pour mettre au point des races d’abeilles qui savent se débarrasser du varroa. A long terme je pense que c’est la bonne solution. Mais bon, pour l’instant, les apiculteurs n’ont pas encore ces abeilles.

  • Bon pour l’instant je vais un peu oublier le varroa, comment cela se fait-il que l’on constate que le miel qui est fait en ville et parfois meilleur que le miel fait en campagne ? Ce qui peut sembler paradoxal pour des raisons évidentes de pollution.
  • D’abord, j’aimerais bien voir de vraies statistiques.
  • Je ne sais pas qui a fait l’étude, mais j’imagine que cela est aussi sérieux que …

  • C’est l’Unaf qui défend cette position. L’Unaf mène une grosse opération sur l’abeille en ville, j’aimerais néanmoins bien voir de vraies statistiques concernant les ruches en ville. Ceci dit, il y a quand même des explications en ville. Si vous comparez en région Parisienne, d’ailleurs l’Unaf a fait faire des études là-dessus à des étudiants de l’agro sur ce thème-là, une des explications est que vous avez un mois et demi de plus d’activité pour les abeilles par rapport à la campagne, car il fait en moyenne 2 à 3 degrés de plus en ville ; les abeilles démarrent donc plus tôt et finissent plus tard. Une deuxième explication, dont je ne suis pas sur étant donné que je ne travaille pas sur l’abeille en ville, est que le nombre de pollens en ville est plus important qu’à la campagne, la richesse floristique est plus importante. Dans l’étude menée par les étudiants de l’agro, c’est 146 pollens en ville, alors que nous en campagne, nous sommes contents lorsque l’on arrive à en avoir 30. Le dernier point est qu’en ville la densité des ruches est très faible, alors qu’à la campagne, on peut avoir des concentrations de ruches dans des secteurs donnés qui sont très importantes. Comme par exemple pour la lavande, considérée comme très lucrative par les apiculteurs, beaucoup d’apiculteurs amènent leurs ruches. On a alors des effets de densité qui peuvent favoriser des maladies. Ce n’est donc pas du tout le même style de production. Je ne sais pas combien il y a d’abeilles en ville en France au total, mais …

  • Nous on en a juste à côté de chez nous, on en a au jardin du Luxembourg, il suffit d’aller leur rendre visite.

  • Demandez-leur l’étude des étudiants de l’agro, parce que vous verrez que c’est assez bien fait, et que ce sont des explications possibles. Moi la seule préoccupation que j’ai, c’est que si l’on prend toute la population de ruches en ville en France, supposons par exemple qu’il y en ait 10000, ce qui est déjà pas mal. On a 1 million de ruches en France, on ne va donc pas mettre 1 million de ruches en ville, donc ce n’est pas la solution.

  • C’est peut-être pas la solution, mais ça amène à se poser des questions sur l’influence des pesticides…

  • Ouais, ouais… Enfin, c’est ce qu’ils disent. Ceci dit, nous on fait un suivi sur des ruches en montagne, et des ruches en plaine agricole. Donc on fait ça avec un apiculteur professionnel, et on a les mêmes niveaux de mortalité en montagne et en plaine agricole. Donc en montagne, on peut se dire qu’à priori les pesticides n’ont pas pu les affecter. Les ruches que l’on suit sont à 50 mètres de la première parcelle agricole, donc il n’y a pas d’échange. Ce qui fait dire à l’apiculteur avec qui on travaille : il y a vraiment autre chose. Il n’y a pas que ça. Même si il peut y avoir des accidents, je le reconnais. Mais globalement, moi je ne pense pas que ce soit l’explication majeure.

  • C’est une explication mineure ?

  • Oui. Je ne dis pas qu’il n’y a pas d’accidents dont il faut prendre compte avec les apiculteurs, mais c’est pas le phénomène général. Et vous, qu’est-ce que vous en pensez finalement ?

  • Nous nous efforçons de conserver le maximum d’impartialité. Nous cherchons à être des observateurs candides. On nous a demandé de ne pas avoir de préjugés. Et ce, même si notre coordinateur est très pro-protection des abeilles, et avait déjà des idées préconçues sur le sujet. Il a découvert pas mal de choses depuis…

  • Je suis archi-protecteur des abeilles aussi. Parce qu’on les utilise ! Non seulement on fait des produits de traitement, mais on fait aussi des produits de semence. Et pour produire des semences on loue des ruches, et on a besoin d’environ 9000 ruches par an. Donc on en a absolument besoin pour notre production. Je suis un grand défenseur des abeilles. Autre point : on commercialise des insectes auxiliaires, essentiellement pour les producteurs de (inaudible), et pour stigmatiser : ce sont des coccinelles. Et pour les nourrir on a besoin de pollen, donc on en achète aux apiculteurs pour nourrir nos élevages d’insectes.

  • Des stocks de pollen ?

  • Il y a des apiculteurs qui sont spécialisés dans la production de pollen. Il mettent des trappes à l’entrée des ruches, avec des espèces de grilles, et quand les abeilles entrent, elles perdent leur pelote de pollen dans ces grilles. Et donc on achète trois tonnes de pollen (par an ?). Donc on a absolument besoin des abeilles.

  • Le point de vue que vous nous avez donné sur le varroa est intéressant.

  • Alors après, il y a d’autres maladies sur lesquelles malheureusement on ne sait pas grand-chose. C’est pourquoi tout le monde est un peu dans l’expectative : il y a beaucoup de maladies virales sur les abeilles, il y a de nouvelles qui viennent d’être découvertes… Étaient-elles là avant ? On ne sait pas trop, on se pose beaucoup de questions sur les virus des abeilles. Autant le varroa est facile à voir, mais pour les autres il faut des analyses, à l’œil nu c’est un peu compliqué. Et il y a une autre maladie intestinale des abeilles qui s’appelle Nosema, c’est une maladie qui vient d’Asie du sud-est, répandue parmi les espèces d’abeilles en Asie. Ces espèces supportent assez bien le virus Nosema, contrairement à nos espèces européennes  d’abeilles. Ce qui est sûr, c’est que Nosema supprime les défenses immunitaires des abeilles. Cela a des effets sur la fécondité des reines, et surtout, cela détruit complètement l’intestin de l’abeille. Or les effets sont difficiles à déceler. On ne connaît pas bien le rôle de cette maladie actuellement. Est-elle important, ou non ? Elle n’est peut-être pas importante. Ce qui a également beaucoup changé quand on discute avec les apiculteurs, c’est la nutrition des abeilles. Quand on discute avec des apiculteurs qui sont un peu anciens, ils vous disent qu’il y a 20 ans, on donnait un peu de sucre aux abeilles en fin d’hiver quand elles arrivaient au bout de leurs réserves. Certains, même, ne donnaient rien du tout. Maintenant, la moyenne d’utilisation du sucre par ruche, c’est 15 kg. Ce qui est quand même énorme. La façon de gérer les abeilles a donc changé complètement. On se pose donc beaucoup de questions : « est-ce que le mode d’élevage des abeilles que l’on a maintenant a une influence sur ces disparitions. Dernier point, c’est la disparition des apiculteurs. Les apiculteurs étaient 69 000 en 2005 au dernier recensement, ils sont maintenant 41 500.

  • Ça suit la disparition des abeilles ?

  • Oui, mais c’est aussi dû au fait que l’apiculture est plus compliqué qu’avant. Il y a le varroa, le fait qu’il faille renouveler plus souvent le cheptel… C’est plus lourd. Alors beaucoup ont abandonné. De manière générale ce sont les activités de ce type là sont menacées.

  • Une dernière question, on est allés sur le site de l’UIPP, et on se demandait qui le gérait. C’est donc une union ; il y a plusieurs sociétés dont la vôtre, et l’objectif de ce site, c’est la communication pour les personnes profanes.

  • Oui

  • Donc pour les gens qui ont des questions, c’est un peu le pendant de l’UNAF ?

  • Oui, c’est un peu ça, c’est des sites d’information grand public. Il y a aussi un espace des espaces adhérent, i.e. plus professionnel, mais la plus grande partie est effectivement dédiée aux questions que se pose le grand public sur les problèmes de protection des plantes : sur l’alimentation, les effets, la santé humaine…

  • Et c’est fait par qui le site internet ? Qui l’écrit ?

  • C’est l’UIPP qui rédige le gros du contenu, ils ont un certain nombre de permanents. En fait cette union interprofessionnelle rassemble la plupart des sociétés qui commercialisent les produits de protection des plantes en France. Et ils ont un petit groupe de permanents qui doivent être une dizaine, qui font tout le contenu du site. Après la gestion informatique du site, je ne sais pas…. Si vous voulez rencontrer le directeur, c’est Jean-Charles Bocquet. Je pense qu’il sera tout à fait ouvert à vous répondre. Ou Claire Morin qui s’occupe de la communication. Vous avez interviewé des apiculteurs professionnels ?

  • Oui, certains nous ont donné des idées un peu plus précises, en relatant des faits particuliers auxquels ils ont assisté. Ils avaient l’air très engagés. Ils étaient déçus des réponses que leurs fournissent les autorités. Un de ces apiculteurs a soulevé le problème plusieurs fois, et la brigade responsable, qui doit être très sollicitée, et il se plaignait du temps de réaction très long. Ils n’étaient pas persuadés que ce soit…

  • Oui, alors on a toujours des critiques à faire sur les gens qu’on sollicite… Je trouve qu’ils sont souvent très exigeants, plus vis-à-vis de l’extérieur que vis-à-vis d’eux-mêmes, mais bon… Dans cette brigade vétérinaire, celui qui est spécialisé sur les abeilles, il est tout seul. Donc il intervient sur les gros cas. Il ne peut pas intervenir sur tout. Il y a des trucs hallucinants. Il y a une telle paranoïa, que des gens téléphonaient parce qu’ils avaient vu des abeilles mortes dans leur jardin. Déjà on n’est pas sûr que ce soit des abeilles, mais en plus elles peuvent mourir de tas d’autres choses : des coups de froid… il peut y avoir beaucoup de choses. Donc ils appelaient la brigade vétérinaire, et c’est sûr qu’il ne peut pas se déplacer. Après, il y a une deuxième phase sur laquelle effectivement je pense qu’on a une faiblesse en France, c’est qu’on manque de laboratoires d’analyses de routine. C’est-à-dire que le deux gros laboratoires dont je vous ai parlé, non seulement ils ne sont que deux, mais si en plus vous envoyez des tas d’échantillons à analyser… Et ils ne font pas que les abeilles, ils font aussi la viande, le pâté… Ils ont des tas d’activités, donc il y a forcément un goulot d’étranglement sur les abeilles.