Appels à la prudence


      Afin d’intégrer une nouvelle technique dans le système de preuves, il convient qu’elle soit acceptée par la société elle-même. Pour comprendre ce processus, nous étudierons à l’aide d’exemples historiques comment cela s’est déjà déroulé par le passé, puis quelles peuvent être les réticences de chacun vis-à-vis de l’utilisation de l’imagerie cérébraleEnsemble des techniques issues de l’imagerie médicale permettant d’observer le cerveau dans un cadre judiciaire.

 

Évolution des systèmes de preuves

      On peut définir un système de preuves par l’ensemble des méthodes qui sont référencées dans le code pénalRecueil organisé de textes juridiques dans le champ du droit pénal pour permettre de prouver des affirmations au tribunal. Ce qu’il est important de noter, c’est qu’un système de preuves est voué à évoluer au cours du temps. Ainsi, sous l’ancien régime, la torture, dite « question préalable », était de mise dans les affaires criminelles, et, comme nous l’explique M. Christian Byk - magistrat et secrétaire général de l'Association internationale droit, éthique et science - dès le « XVIème, XVIIème, XVIIIème, plus on avance dans le temps, moins il y a d’aveux sous la torture. Alors ça veut dire que les gens sont plus résistants ? Non, ce n’est pas ça du tout. Ça veut dire qu’on emploie de moins en moins la torture ou qu’on l’emploie de plus en plus formellement, c’est-à-dire qu’on se contentera, alors que la codification écrite par le parlement de paris, la fameuse question de l’eau permet de faire ingurgiter un certain nombre, on se contentera de faire ingurgiter la moitié d’un broc et puis on s’arrêtera là. […] Déjà à l’époque on ne croyait plus à la fiabilité d’un témoigne obtenu ainsi. Donc le système de preuves était en train de basculer. » On assiste donc à des changements progressifs au cours de l’histoire du système de preuves en lui-même, et c’est la société elle-même qui, en évoluant, favorise ces modifications.

      L’autorisation d’une nouvelle technique va donc modifier ce système de preuves. Cette fois-ci ce ne sera pas la lente évolution de la société qui en sera à l’origine, c’est la réaction de la société qui nous intéresse. Puisqu’il est ardu d’énoncer des généralités sur les réactions de la société, nous partirons d’un exemple : celui de l’utilisation de la recherche de filiation naturelle.

      Au début du XIXème siècle le code pénal a fixé les 5 cas, dits « cas d’ouverture », dans lesquels ce type d’affaire pouvait être instruit en justice. En dehors de ces cas-là, il n’était pas possible de présenter ses preuves au juge. Après la deuxième guerre mondiale, les preuves biologiques ont commencé à être de plus en plus pratiquées et, à mesure que les techniques devenaient de plus en plus fiables, des juristes se sont demandés ce qu’il allait advenir de ce principe du Code Pénal. M. Byk nous explique alors « qu’il a fallu six ans pour faire tomber deux siècles de code civilCompilation de lois et règles censées régir les matières du Droit civil, c’est-à-dire qu’en 1993 une loi est intervenue pour supprimer les cas d’ouverture de recherche de paternité naturelle donc on pouvait y aller si j’ose dire directement et la cour de cassation avait rendu obligatoire la preuve biologique qui est une preuve génétique et même d’office ». Une technique nouvelle peut donc apporter des modifications très importantes dans le système de preuves à mesure qu’elle est acceptée par la société. Souvent, cette technique nouvelle est alors introduite petit à petit : son utilisation se fait d’abord uniquement dans des cas très précis et ciblés, par précaution ; puis elle est peu à peu étendue si son utilisation s’avère pertinente.


Les réticences des différents partis

      Quelles sont les objections émises aujourd’hui à l’introduction de l’imagerie cérébrale dans le cadre judiciaire ?

      Il convient tout d’abord de noter que, de prime abord, peu de gens se prononcent directement contre l’idée. Catherine Vidal résume très bien cette idée ainsi : « Pour un large public, la démarche est plutôt séduisante, puisqu’elle se réclame de toutes sciences ». Cette confiance des gens en la science est donc contrebalancée par la communauté scientifique qui reconnaît les limites de son savoir. Jacques Gasser l’évoque lorsqu’il déclare : « Il est d’ailleurs intéressant que les appels à la prudence viennent souvent de l’intérieur même du milieu des chercheurs en neurosciencesEtude scientifique du système nerveux, du point de vu structurel ou fonctionnel ». La prudence des chercheurs n’est donc pas le seul facteur à prendre en compte.

      Au-delà des questions éthiques et sur le droit des personnes se pose le problème de confidentialité des données recueillies puisqu’elles sont, bien entendu, hautement sensibles et pourraient intéresser bien des gens. Ce problème est identifié dans la Note de Veille du Centre d’analyse stratégique de mars 2009 : « La protection des données issues des recherches en neurosciences, en particulier en neuroimagerieEnsemble des techniques issues de l’imagerie médicale permettant d’observer le cerveau et en neuroinformatique, est également un enjeu très sensible. En effet, la collecte, le traitement, la conservation et les utilisations potentielles de celles-ci soulèvent de nombreuses questions en termes de consentement, de confidentialité, de non-discrimination, de droit à l’information et au conseil. Des cabinets de recrutement ou des sociétés d’assurance pourraient par exemple chercher à obtenir ces données à des fins de sélection ». M. Byk se montre plutôt serein sur ce point : « Ce qui appartient au dossier judiciaire reste dans les dossiers judiciaires. Donc c’est archivé judiciairement et accessible en fonction très tardivement, je crois que c’est près d’un siècle, de l’accès aux archives judiciaires. », mais il reconnaît que c’est une question importante et qu’on ne peut pas considérer les images cérébrales comme des éléments de dossier judiciaire classique.

      Enfin, il faudrait être attentif au fait que les jurés sont souvent sensibles à l’utilisation de moyens techniques qui peuvent donner ce qui semble être une preuve objective. Le Dr Sicard, président d’honneur du CCNE, souligne cette remarque importante : « les jurés n’aiment pas les incertitudes et pourraient être tentés d’avoir recours aux neurosciences mécaniquement » (propos tenus lors de l’audition publique portant sur l’exploration du cerveau, neurosciences : avancées scientifiques, enjeux éthiques).


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