Fiabilité de la méthode scientifique

 

Point de vue théorique

 

      Il s’agit ici de confronter la méthode scientifique aux problèmes liés à l’omniprésence de l’erreur d’une part mais aussi à la plasticité même du cerveau.


Comment définir la méthode scientifique ?

      Il convient dans un premier temps de définir ce qu’est la méthode scientifique. Celle-ci met en jeu un ensemble de démarches expérimentales et théoriques, afin de valider ou réfuter une hypothèse scientifique quelconque. Elle se veut objective en cherchant l’effacement du sujet et se doit d’être fiable. Toute méthode scientifique rigoureuse est par ailleurs basée sur la réfutabilité et la reproductibilité. Cette dernière caractéristique est ainsi mise en évidence par M. Hervé Chneiweiss - neurobiologiste et directeur du laboratoire « Plasticité gliale » à l’INSERM qui décrit l’imagerie cérébraleEnsemble des techniques issues de l’imagerie médicale permettant d’observer le cerveau comme étant « une très forte technicité auto-démonstratrice dans sa qualité technique parce que vous pouvez faire passer la même épreuve IRMDétection des zones cérébrales en activité grâce à l’aimantation de l’hémoglobine du sang qui afflue vers ces régions à dix personnes, et vous obtenez [à chaque fois] le même résultat.»

C’est principalement en raison de ce caractère supposé objectif que la technique scientifique est utilisée de plus en plus fréquemment dans les tribunaux, « surtout dans les affaires judiciaires complexes » comme le fait remarquer M. Christian Byk, magistrat et secrétaire général de l'Association internationale droit, éthique et science.


Peut-on parler d’erreur scientifique ?

      Il ne faut pas confondre vérité juridique et vérité scientifique. Alors que la première vise à trouver « une certitude relative à la responsabilité ou la culpabilité », la méthode scientifique, de part sa nature même, « progresse dans le questionnement et le doute. » C’est en distinguant les deux que M. Byk soulève le concept de l’illusion de la certitude. L’expertise scientifique étant basée sur ce que l’on appelle communément les « sciences exactes », on pourrait être tenté d’y attacher une trop grande confiance tout en oubliant la part d’erreur sous-jacente.

 

Qu’est-ce que la plasticité du cerveauDécrit les mécanismes par lesquels le cerveau est capable de se modifier lorsque le sujet acquiert de l’expérience ?

      Le 1er mai 2005 la Supreme Court- la Cour suprême des États-Unis - abolit la peine de mort pour les moins de 18 ans suite à des études montrant que leur cerveau continue à évoluer. Entre donc en jeu ici la notion de plasticité du cerveau, étudiée notamment par Catherine Vidal - neurobiologiste et directrice de recherche à l’Institut Pasteur - c'est-à-dire la capacité du cerveau à s’adapter à l’environnement qui l’entoure et à se développer sans cesse. Mme Vidal explique qu’on peut désormais, grâce à l’IRM, suivre l’évolution du cerveau et le « voir se modifier en fonction de l’apprentissage et de l’expérience vécue ». Ainsi, en prenant en compte la longueur et complexité des procédures judiciaires, on ne peut prétendre que la réaction de différentes zones d’un cerveau, six mois après un acte présumé, soit fidèle à celle au moment de l’acte même.

      Dans le même ordre d’idées, on ne peut non plus prétendre détecter des signes annonciateurs de récidive. L’interaction avec l’environnement et l’expérience vécue contribue à modifier les réseaux neuronaux tout au long de la vie. Comme dit Mme Vidal, « Le destin n’est pas inscrit dans notre cerveau ! »



Point de vue pratique

 

      La question de la légitimité de l’IRM en tant que méthode scientifique pour les tribunaux dépend de facteurs sociaux ainsi que de l’implication des intérêts personnels des différents partis. Il faut également prendre en compte les interprétations, parfois divergentes, des résultats.

Comment les intérêts personnels influent-ils sur la mise en place d’une méthode scientifique ?

      Steven Shapin, historien et sociologue américain, précise dans son ouvrage sur La politique des cerveaux : la querelle phrénologique au XIXe siècle a Édimbourg, l’ « appel à la nature reste [...] un instrument privilégié de stratégie sociale » (il entend par l’appel à la nature, le simple fait d’adopter des arguments tangibles, naturels, scientifiques). En effet, le sujet en question cherche à transformer sa démonstration en un compte rendu fiable de la réalité perçue, non seulement pour s’assurer une crédibilité aux yeux de la société mais aussi afin de défendre ses propres intérêts, intérêts qu’il tente de masquer au moyen d’un argumentaire qui se veut scientifique et du plus rigoureux.

      En ce qui concerne l’utilisation de l’imagerie cérébrale dans le cadre judiciaire, M. Chneiweiss parle de policiers qui veulent des preuves à tout prix, de compagnies qui veulent vendre leurs machines d’IRM et logiciels ou encore d’appareil judiciaire et politique qui s’alimentent de la démonstration de la preuve. A titre d’exemple, la note de veille sur L’impact des neurosciences : Quels enjeux éthiques pour quelles régulations ? cite deux sociétés américaines, No lie MRI et Cephos Corp, qui n’hésitent pas à « proposer leurs services afin de détecter le mensonge, grâce notamment à l’IRM, allant même jusqu’à utiliser comme slogan « Notre business est la vérité ». Pour preuve de leur sérieux, ces entreprises mettent en avant leurs experts scientifiques qui exercent dans des universités de renom ou pour le gouvernement américain. »

      Cette corrélation entre méthode scientifique et motivations individuelles justifie du moins l’intérêt premier porté par certains partis à l’égard d’une quelconque technique scientifique. D’autant plus que le lien entre intérêt social et découverte scientifique est toujours plus clair dans le cadre de connaissances nouvelles, naissantes ou comme Shapin écrit, de « connaissances déviantes ».


Peut-on s’affranchir de toute subjectivité ?

      En ce qui concerne l’utilisation de l’imagerie cérébrale dans le cadre judiciaire, on ne peut pas négliger la présence de sujet. Le tribunal s’apparente à une construction sociale et l’on ne peut passer sous silence la subjectivité. Il faut, comme l’explique M. Chneiweiss, savoir faire la différence entre « l’objectivité de la technique et la subjectivité d’un phénomène social ». L’imagerie cérébrale utilisée dans les tribunaux lie étroitement ces deux phénomènes. Le réel danger serait donc de lui attribuer toute l’objectivité à laquelle peut prétendre une technique scientifique. Ce serait, comme dit M. Chneiweiss, une « instrumentalisation au sens propre de la science, mais dans ce qu’elle n’est pas capable de dire ».

 

Comment la technique influence-t-elle l’interprétation des résultats ?

      Les problèmes liés à l’interprétation des données sont nombreux : il serait par exemple possible d’appeler à la barre deux scientifiques qui affirmeraient l’un que l’accusé est coupable, ou capable de récidive, et l’autre que ce dernier n’a rien à se reprocher. Il ne faut pas croire que l’imagerie cérébrale viendrait alors se substituer à l’expertise car l’attribution d’un sens aux images issues de l’IRM n’est pas chose évidente. Lionel Naccache, neurologue et spécialiste des propriétés psychologiques et cérébrales de la conscience, explique lors de l’audition publique «Exploration et traitement du cerveau : enjeux éthiques et juridiques » (cf. notes) que les résultats sont d’autant plus durs à interpréter que la qualité de l’image est bonne et la complexité technique élevée. Aussi, le développement de techniques scientifiques comme l’IRM est-il très rapide : ce que l’on déclare aujourd’hui peut devenir très rapidement caduc. Il convient alors de se méfier des interprétations trop hâtives.


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