Quelle relation entre qualité et moyens financiers ?

L’UNEF prend position en mettant en doute le présupposé suivant, auquel nombre de partisans de la hausse des droits de scolarité font allusion dans leur plaidoyer : plus on paye cher pour ses études, plus larges sont les ressources de l’établissement et meilleure est la qualité des enseignements dispensés. A ce titre, l’exemple du MIT, qui cumule les podiums dans les divers classements et où les droits de scolarité annuels s’élèvent à près de 41 000 $ pour l’année 2011-2012, est souvent cité par ces mêmes acteurs qui y voient la manifestation mécanique de la relation entre ressources et qualité. Compte tenu de la situation budgétaire française, certains de ces acteurs considèrent la hausse des droits de scolarité (éventuellement assortie d’un accroissement de la participation des entreprises ou d’un relèvement de l’impôt sur le revenu) comme une réponse inévitable à la modeste performance académique française.

Ainsi, la qualité de l’éducation ou la valeur des diplômes serait menacée par le prétendu sous-financement. Hausser les frais de scolarité serait donc la façon d’assurer une meilleure formation. Suivant cette logique, on pourrait mesurer la qualité d’une formation au prix qu’elle coûte.

Existe-t-il vraiment une simple relation de proportionnalité entre la renommée d’une formation, sa qualité et son coût (pour l’étudiant) ?


Réputation et droits de scolarité, source : Times Higher Education


Telle est la position de Terra Nova, think tank réputé proche du Parti socialiste, qui déplore la “ quasi-gratuité des études supérieures - classes préparatoires incluses”. Terra Nova propose ainsi de tripler les droits d’inscription en licence et de les quadrupler en master, mesure qui permettrait, selon la fondation, de dégager 1 milliard d’euros « utiles à une meilleure formation des étudiants ». Cette conception pragmatique de la relation entre ressources et qualité était partagée par Richard Descoings, directeur de Sciences Po Paris de 1996 jusqu’à son décès en avril 2012. Préoccupé par la qualité de la formation reçue par ses étudiants et justifiant ainsi la hausse des droits de scolarité dans son établissement, il mêlait qualité et financement dans le postulat suivant, présenté sous la forme d’une question rhétorique :


« Vous dîtes : « faut-il augmenter... », moi je n'ai pas de convictions idéologiques ou religieuses, la question est : avons-nous d'autres sources de financement qui assurent le niveau idéal permettant de donner aux étudiants les meilleurs professeurs, les meilleures conditions d'étude, les meilleures conditions de mobilité internationale et les meilleures conditions d'insertion professionnelle ? »


Au-delà de l’évidente tentative de persuasion qu’elle véhicule, cette interrogation a le mérite d’en appeler d’autres et de flécher notre réflexion vers le cœur de la controverse : les ressources allouées à la construction d’infrastructures, à l’achat de matériel à la pointe de la technologie et au règlement des salaires du corps enseignant constituent-elles un paramètre directement liée au niveau d’un établissement ?

M. Descoings proposait une réponse en qualifiant le système universitaire actuel de propice à « l’appauvrissement systématique des professeurs » incompatible avec la mobilisation effective de ces derniers autour d’un but commun : fournir un enseignement de qualité :


« Avec 4.500€ vous ne vivez pas dans Paris, donc il faut qu'ils [les professeurs] travaillent à côté : ça, ça s'appelle la privatisation de l'université. Moi, mes profs, je les paie mieux et je leur dis : vous avez un boulot et vous y êtes, vous sortez des papiers de recherche, vous rencontrez des étudiants, vos cours vous les préparez : les amphis sont pleins. »


Contre cet argument de la surenchère des salaires, de la recherche à tout prix des professeurs les plus renommés au profit de l’investissement de ceux-ci dans leur mission éducative et de l’image véhiculée par l’établissement, Marc Champesme, membre du SNESUP, s’inquiète de la pérennité d’un tel système. Il met en doute l’engagement des enseignants qui ont été recrutés « à des hauts salaires et qui vont, un an plus tard, aller à l’autre bout de la planète pour toucher deux fois plus ».

Quels sont les effets attendus d'une augmentation des moyens? Augmentation de la qualité de l'enseignement (notamment de l'encadrement?) Augmentation du nombre des effectifs des étudiants?

L’augmentation du nombre de diplômés et donc du nombre d’élèves accueillis - notamment dans le but d’atteindre les objectifs européens de la stratégie de Lisbonne et d’Europe 2020 stipulant, qu’à terme, les états membres permettent à 50% d’une classe d’âge d’être diplômés de l’enseignement supérieur - a pour condition un accroissement du financement des établissements selon l’Institut Montaigne. Ce dernier se montrant favorable à une hausse hétérogène des droits de scolarité.

Certaines études font appel au cas québécois - où les projets d’augmentation des droits de scolarité pour se diriger vers une réplique du modèle canadien s’accompagnent actuellement d’une forte mobilisation étudiante et contredisent l’affirmation précédente. La comparaison des données des systèmes québécois et canadien d’enseignement supérieur révèle, d’après ces rapports, que la hausse des droits de scolarité aurait un effet négatif sur la fréquentation universitaire.

Dans ce cas, peut-on toujours affirmer que l’augmentation des droits de scolarité se place dans la perspective de la stratégie de Lisbonne, c’est-à-dire de création d’une société de la connaissance?

Pour Bruno Julliard, l'enseignement supérieur est un service public, on ne peut donc pas le modéliser par une relation service – client, ce que sous-entendent les augmentations des frais de scolarité. En outre, celles-ci auraient pour effet de faire baisser la demande d’enseignement supérieur. Il soutient, de plus, qu’assurer un niveau d'étude convenable à une population ne relève pas simplement des préoccupations étudiantes mais est dans l’intérêt économique et social de la nation. A ce titre, l’argument de qualité ne doit pas s’arrêter à la seule considération du parcours de l’étudiant mais doit prendre en compte l’accessibilité des formations.

Voir également : Quelles conséquences ont les droits de scolarité sur l'accessibilité de l'enseignement supérieur ?

Qu’en est-il du lien entre une éventuelle hausse des droits de scolarité et l’évolution de la compétitivité française et de la relance économique?

Hugo Harari-Kermadec signale que la massification de l’enseignement supérieur en France n’a jusqu’à lors pas résulté de luttes lycéennes mais découle de choix gouvernementaux – dont on trouve la traduction dans la faiblesse (voire la nullité) des droits d’inscription aux établissements publics. Abordant le thème de la situation économique, l’économiste fait remarquer qu’une telle structure de l’enseignement supérieur public et une telle grille tarifaire « correspond[ent] aussi à une période de chômage élevé, où maintenir une partie de la population dans le monde des études est une façon d’avoir moins de concurrence sur le marché du travail, d’avoir des chiffres sur le chômage qui n’augmentent pas trop. Je ne suis vraiment pas sûr que l’on puisse se passer de ça en ce moment. »




Dessin de Ranson



Annie Vinokur, professeur de sciences économiques à Paris X-Nanterre, convoque les données issues de l’expérience américaine pour mettre en évidence les effets économiques d’une augmentation des frais de scolarité dans l’enseignement supérieur. A l’instar de M. Harari-Kermadec, l’économiste établit le lien entre inflation du coût des études et risque collectif entraîné par un recours à un endettement massif d’étudiants dépourvus de garanties collatérales dans la lignée de la crise des subprimes. En outre, Annie Vinokur s’oppose à la hausse des droits de scolarité en brandissant le spectre de la fuite des cerveaux des pays où la dette est trop coûteuse ou les salaires trop faibles - pour assurer le remboursement des prêts - vers les pays offreurs de salaires plus élevés. A. Vinokur évoque également le renversement de l’ordre des générations qui interviendrait si les droits de scolarité venaient à augmenter dans des proportions telles que les étudiants soient contraints à l’endettement. Ainsi, la première génération endettée qui arrive sur le marché du travail subirait une triple peine : rembourser le coût de ses études, épargner pour celles de ses enfants et financer les retraites. L’effet économique déflationniste et des conséquences sociales néfastes (impossibilité d’emprunter pour l’acquisition d’un logement, retard de la décohabitation et du mariage, etc.) en découleraient, auxquels pourraient s’ajouter la baisse des revenus du travail et une fiscalité alourdie par les déficits publics.


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