L’étudiant, client ou acteur de sa formation ?


Si l’on s’est attaché à sonder les points de vue au sujet de la qualité de l’enseignement dans une perspective d’augmentation des droits de scolarité, une facette a jusqu’à maintenant été occultée : l’attitude du principal bénéficiaire de l’enseignement supérieur à savoir l’étudiant.



La motivation de l’élève, au cœur du problème ?


C’est le constat que dresse Alain Trannoy à propos du comportement passif de certains élèves dans leurs études.

« Un certain nombre d’efforts ont été mis en place dans le premier cycle à destination des étudiants en difficulté et on se rend compte que c’est plutôt les meilleurs étudiants qui suivent ces cours supplémentaires [de suivi et de soutien] et non pas les étudiants qui sont les plus en difficulté. Cela interroge donc malgré tout sur la véritable motivation d’un certain nombre d’étudiants en premier cycle et je pense que le fait de faire payer des droits d’inscription raisonnés pourrait permettre de résoudre en partie ce problème. »


On pourrait donc voir dans l’augmentation des frais de scolarité un moyen de responsabiliser l’étudiant, lui faire prendre conscience du coût de sa formation afin de focaliser son attention sur l’objet de ses études.


Telle est la promesse formulée dans une étude italienne, relayée par Etienne Wasmer, professeur d’économie à Sciences Po Paris, démontrant qu’une augmentation des frais de scolarité de 1000 euros fait baisser le taux de retard dans l’obtention du diplôme de premier cycle universitaire de 6.1%. Yves Lichtenberger, professeur à l'université Paris-Est et co-rapporteur de la note publiée par Terra Nova sur le sujet, appelle l’argument de la rationalisation des inscriptions en renfort des résultats de l’étude italienne : « ceux qui ont le plus de mal à l'université sont ceux qui sont le moins sûrs de ce qu'ils y font ». Ainsi, une augmentation des frais d’inscription « de poser à chacun la question de savoir ce qu'ils font à l'université et pour qui ils le font ».

Hugo Harari-Kermadec prend le contre-pied de cet argument en s’appuyant sur le cas des étudiants de l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Cachan, où il enseigne l’économie. Il souligne que la plupart de ses élèves ont fréquenté une classe préparatoire du secteur public et y ont travaillé extrêmement dur pour préparer les concours, sans pour autant avoir converti la pression financière des droits d’inscription (puisque nuls) en motivation scolaire. Il complète en outre son argument en ajoutant qu’une fois à l’ENS, ses étudiants, tout aussi exigeants, suivent une trentaine d’heure de cours hebdomadaires auxquelles s’ajoutent de nombreuses heures de travaux personnels donc fournissent un travail important bien qu’ils soient non seulement dispensés de frais de scolarité mais qu’ils perçoivent également un salaire. L’économiste livre son interprétation de la motivation étudiante :

« Ils ne travaillent pas plus parce qu’ils payent plus, ils travaillent plus parce qu’ils sont contents d’être là, c’est un peu prestigieux, ils ont confiance où ils vont, ils ont l’impression de faire un truc intéressant. »


L’argument de l’attention d’autant plus grande que les élèves sont engagés dans un cursus onéreux ne convainc pas M. Harari-Kermadec pour une deuxième raison : tout comme M. Champesme, il y voit un risque pour les populations défavorisées (et une mesure inefficace pour les étudiants issus de milieux aisés) et préfère attribuer la concentration et la réussite d’un étudiant au confort de son environnement de travail, à son encadrement ainsi qu’à la capacité de ce dernier de le motiver autour d’un sujet susceptible de l’intéresser. L’économiste abandonne dès lors l’argument de l’ENS, trop élitiste, pour en venir aux IUT. Sandrine Garcia, maître de conférence en sociologie à Paris-Dauphine, et Bruno Julliard rejoignent son analyse et soulignent, eux aussi, que ces établissements (auxquels ils ajoutent les classes préparatoires) pourtant quasi-gratuits mais mieux dotés par l’état, ne sont pas connus pour avoir des taux d’échec élevés. Ce que M. Harari-Kermadec attribue à un encadrement correctement dimensionné et aux perspectives de travail présentées.

Le postulat indiquant qu’un étudiant client (i.e. payant des droits d’inscription élevés) sera plus exigeant et imposera ainsi une meilleure prise en charge du suivi pédagogique - se concrétisant dans une mobilisation accrue des professeurs comme des étudiants – est rejeté par les deux enseignants.

Bruno Julliard réfute lui aussi l’argument car celui-ci ne serait défendable que dans l’hypothèse où tous les élèves jouissaient de conditions favorables à leur réussite scolaire. Il y voit une proposition absurde destiné à un Etat dont les décisions en matière de structure et d’encadrement de l’enseignement supérieur le rendent lui-même responsable de l’échec de ses étudiants.

« “ Toi, tu ne réussis pas à l’université alors on dépense de l’argent pour toi parce que t’es en première année à l’université de Paris XIII mais quand même on va tripler les frais d’inscription pour que tu te responsabilises.” Mais qui l’a amené à cette situation d’échec ? »

L’Institut Montaigne, quant à lui, ne nie pas l’importance d’un facteur responsabilisation mais met en garde devant l’effet de seuil définissant le niveau à partir duquel l’Etat doit mutualiser l’effort. Précisant que le rôle de l’Etat est de déterminer à quel moment le fait de payer permet la responsabilisation de l’élève sans l’empêcher de poursuivre sa scolarité, le cercle de réflexion se montre favorable à une hausse progressive (en fonction des revenus de la famille) des droits de scolarité effectivement payés afin d’accroître l’attention de l’élève et donc sa probabilité de réussite.


Comment se répercuteraient de telles mesures sur le comportement extra-scolaire des étudiants ?


Dessin de Jul



Benjamin Cowan, économiste américain a analysé statistiquement et sociologiquement l’influence (aux Etats-Unis mais le mode de vie des jeunes Européens et des jeunes Américains étant très proches, appliquer les mêmes tendances au cas français paraît légitime) des droits d'inscriptions sur les comportements à risques des adolescents et propose une réponse. Il montre que diminuer les droits d'inscription à l'université a pour effet de réduire le nombre de pratiques dangereuses chez les jeunes. Celles-ci menaceraient leurs opportunités de carrier en supposant que des frais de scolarité faibles contribuent à faire de l'enseignement supérieur un choix d’autant plus probable pour certains adolescents. L’économiste y voit un effort des adolescents pour ajuster leur comportement à leurs attentes et ambitions :


« Specifically, a $1,000 reduction in tuition and fees at two-year colleges […] is associated with a decline in the number of sexual partners the youth had in the past year (by 26%), the number of days in the past month the youth smoked (by 14%), and the number of days in the past month the youth used marijuana (by 23%). »


Forward-thinking teens,: the effects of college costs on adolescent risky behavior, Benjamin W. Cowan, March 2011.


Quelles conséquences sur les relations entre étudiants et enseignants ?


Si Robert Gary-Bobo Robert et Alain Trannoy soutiennent que « l'étudiant qui paye, attend, comme tout consommateur, une certaine qualité de service et exerce une pression bienfaisante sur l'offreur pour qu'il relève, le cas échéant, son niveau de service », ils ne disent rien du devenir des relations entre élèves et enseignants, pourtant déterminantes dans le succès d’une formation.


Selon Marc Champesme, en réponse à une augmentation significative des frais d’inscription, l’étudiant se sent passer du statut d’usager (d’un service public) à celui de client. Par suite, il souhaite éviter cette éventualité car serait synonyme de privilèges induits pour les formations qui rapportent et coûtent le plus, renforçant notamment l’importance accordée par les universités aux masters, au détriment des licences. L’égalité de traitement dans un service public est donc, pour M. Champesme, un argument supplémentaire pour rejeter une hausse des droits de scolarité.


Angèle Malâtre, directrice des études à l’Institut Montaigne, opère une légère translation sémantique en préférant l’expression d’étudiant « acteur de sa scolarité » au terme « client » tout en insistant sur la nécessité d’activer tous les leviers susceptibles d’encourager la responsabilisation et le côté acteur de l’étudiant. Pour étayer son discours, elle recourt à l’exemple de Sciences Po qu’elle décrit comme un environnement (faisant écho à celui de M. Harari-Kermadec mais ne menant pas aux mêmes conclusions) où les élèves peuvent communiquer de façon privilégiée avec leurs professeurs, solliciter des services annexes (emploi, recherche de stage) absents à l’université. Le paiement de droits de scolarité élevés instaurerait donc une nouvelle relation profitable à la réussite des étudiants:

« Quand je paye quelque chose, j’attends, quelque part, un service plus fort et je me sens peut-être plus légitime aussi à solliciter de l’aide, à exiger certains services. »


Hugo Harari-Kermadec donne une traduction alternative de cette hausse pour l’étudiant : une incitation à « se vivre comme une marchandise » et de devoir se vendre, à la manière d’une micro-entreprise. Le rôle social de l’enseignement supérieur en serait par conséquent changé, les étudiants ayant le sentiment de devoir rentabiliser un investissement plutôt que d’approfondir un centre d’intérêt. « Ce n’est pas du tout la même approche. On n’aura plus d’enseignement supérieur, public en tout cas. »




Augmenter les droits de scolarité, un pas de plus vers la marchandisation du savoir ?


M. Descoings y répondait de façon décomplexée : oui !

D'après lui, prétendre que le savoir n'est pas un bien comme un autre reviendrait à prétendre que les professeurs ne sont pas des hommes comme les autres, désintéressés par l'argent. Au contraire, les professeurs sont des hommes normaux et s'ils sont sous-payés comme c'est –d’après lui– le cas dans le public, ils chercheront à cumuler les postes aux dépends de leur fonction à l’université où ils ne pourront pas s’investir aussi sérieusement que des professeurs du privé qui perçoivent un salaire leur assurant un train de vie confortable. Ils doivent donc être convenablement payés pour ce qu'ils font : transmettre leur savoir.

La marchandisation est donc présentée non comme un choix mais comme une nécessité au service de la qualité de l'enseignement par M. Descoings qui confessait : « Il y a des matins où je me réveille et où je préférerais l'autre option : la non-marchandisation du savoir : un savoir non transmis à des étudiants qui échouent dans leurs études, dans leur insertion professionnelle avec des professeurs qui ne veulent plus enseigner en premier cycle, qui s'intéressent un petit peu à leurs étudiants de master, pas beaucoup à leurs doctorants et qui travaillent à côté. Ça c'est le bonheur socialiste ! » Car d'après ce raisonnement, le niveau non satisfaisant des universités françaises vient en partie du salaire insuffisant des professeurs qui tentent de multiplier les activités pour gagner de l'argent en se désintéressant finalement de leur poste à l'université. La solution est donc une augmentation de leur salaire. Cette solution a été largement utilisée à Sciences-Po où la hausse des droits de scolarité a permis une progression des salaires du corps enseignant.


Cette vision de l’enseignement supérieur est partagée par l’Institut de l’entreprise, think tank proche du MEDEF. Ce think tank suggère de rompre avec cette logique hypocrite qui peine à placer l’enseignement supérieur comme un bien public, se prononçant en faveur de la mise en place de frais de scolarité élevés pour les étudiants issus de classes favorisés.

Monsieur Cheimanoff, directeur des études à l’Ecole Nationale Supérieure des Mines de Paris, tempère légèrement le discours de l’Institut de l’entreprise et précise qu'il demeure un « fervent défenseur du service public », tandis qu'il délivre un discours sur les études supérieures en tant que service rendu par un établissement prestataire de service. Ce dernier signale qu’il est important que l’étudiant paye le coût de sa formation et que l’établissement universitaire se développe grâce aux dons des anciens, faisant notamment référence au système américain et à la performance de grandes universités telles que le MIT.


La marchandisation du savoir s’accompagnerait probablement d’un transfert de responsabilités du public vers le privé donc de la perte du droit de regard de l’Etat sur le contenu et les méthodes d’enseignement selon M. Champesme. Processus, déjà entamé avec la LRU, qui signifierait, en l’absence d’un soutien fort de l’Etat, la disparition des enseignements jugés non rentables. Point qui s’oppose radicalement à la conception de l’enseignement supérieur défendu par le syndicaliste et pousse à se montrer hostile à toute hausse des droits de scolarité.

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