Le financement actuel de l'enseignement supérieur est-il juste ?

Parler de justice, même à propos de ressources économiques, nécessite l'utilisation de normes qu'il s'agit de préciser lorsque l'on qualifie un financement de « juste », « d'injuste », de « bon » ou de « mauvais ». Ces normes sont de nature politique voire idéologique. On peut en effet considérer qu'une réforme sur les financements est juste si elle améliore le sort des plus défavorisés, si elle améliore le sort moyen, ou si elle améliore le sort d'au moins un étudiant sans dégrader celui des autres.

Fin 2011, le ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche -Laurent Wauquiez- déclarait :

"Je suis très attaché à notre modèle, car il s’inscrit dans une démarche d’équité sociale. D’ailleurs, des économistes qu’on ne peut pas soupçonner de libéralisme et cités par Le Monde rappellent que notre système assure une bonne redistribution si on prend en compte l’ensemble des aides et transferts."

Il répondait aux propositions de Terra Nova, un think tank de gauche, qui proposait notamment l'augmentation des frais de scolarité dans le supérieur, propositions aussi défendues par des think tank de droite comme l'Institut Montaigne. Pour lui, le financement de l'enseignement supérieur est juste, ou du moins plus juste qu'il ne le serait si on appliquait les recommandations de Terra Nova. Malgré ce point de vue, nombre d'acteurs -syndicalistes étudiants, économistes, chercheurs- ne considèrent pas le système de l'enseignement supérieur en France comme un modèle de justice sociale et beaucoup s'en plaignent, citant plusieurs de ses défauts.

Premièrement, la participation de l'état au financement des études supérieures dépend fortement de la filière. C'est un argument brandi par Ecolinks, un groupe d'économistes, enseignants et chercheurs de gauche qui considèrent que l'écart entre les investissements annuels réalisés par l'Etat pour un élève à l'université (8000€) et un élève en classe prépa (14500€) est injuste, vecteur d'inégalités et responsable de la stagnation sociale. Or il en est de même pour bien d'autres filière (cf tableau ci-dessous), les filières universitaires sont celles où l'état paie le moins par étudiant.

Droits d'inscription annuels

(rentrée 2011)

Coût annuel pour l'Etat

(rentrée 2008)

Université

Licence 177€

Master 245€

Doctorat 359€

8790€

IUT (DUT)

Comme une licence : 177€

9020€

STS (BTS)

De 200€ à 4500€ selon qu'il est dispensé par un lycée public, un établissement privé sous contrat ou hors contrat.

13360€

Classes préparatoires

Public : <100€

Privé : de 2000€ et 6000€

13880€

Cependant, certains chercheurs relativisent les conclusions trop hâtives qu'on pourrait tirer d'une telle comparaison. C'est le cas de Shin et Milton, qui, dans Student response to tuition increase by academic majors : empirical grounds for cost related tuition policy, poursuivent le raisonnement. Si l'on considère que la situation est injuste parce que certains étudiants paient les mêmes droits que d'autres pour des études valant beaucoup plus que d'autres (l'état payant la différence), on pourrait être mené à augmenter les droits d'inscription des filières qui ont un coût réel pour l'état plus important. Or cela risquerait d'éliminer de filière déjà pauvres en étudiants défavorisés tous ces derniers, mesure assez injuste. Il est donc nécessaire selon ces deux économistes de ne pas traiter toutes les filières sur le même pied en considérant que l'état doit toutes les financer aveuglément de la même manière. Il faut plutôt étudier la « tuition elasticity » de chaque filière pour déterminer quelle dose d'augmentation de frais de scolarité elle peut encaisser sans que l'origine sociale de ses étudiants change.

Deuxièmement, beaucoup de syndicats étudiants soulèvent le fait que les études supérieures -massivement financées par l'état- le sont donc par l'impôt. Or l'impôt serait principalement la TVA supportée par la totalité de la population. On en arrive à dire que les études supérieures qui ne profitent -selon des statistiques- majoritairement qu'à une catégrie aisée de la population sont payées par tous donc principalement par les classes moyennes dont les enfants ne sont pas ceux qui tirent le plus profit du supérieur. Tel est l'argumentaire que nous fit Bruno Julliard (cf entretien). Le système serait donc injuste. Il faut là encore être prudent car ces arguments peuvent être contestés. En effet, premièrement, il n'y a pas d'allocation de l'impôt, c'est-à-dire qu'il n'y a pas un impôt "pour le supérieur". Deuxièmement, les catégories les plus aisées qui profitent le plus des études supérieures sont aussi celles qui payent le plus l'état via l'impôt sur la fortune.

Quoi qu'il en soit, d'après Flacher, Kermadec et Moulin dans Contributory Education Scheme : theorical basis and application, la proportion d'étudiants défavorisés dans les études prestigieuses est passée de 39% à 9% en 40ans mettant en évidence que le système actuel ne garantie plus l'équité sociale.

Une augmentation des frais de scolarité est-elle possible sans que le système devienne injuste ?

Un première prise de position est de décréter que toute augmentation des frais de scolarité réduit l'accès du supérieur aux plus démunis, serait donc injuste et n'aurait pas lieu d'être. C'est celle prise généralement par les syndicats étudiants qui refusent d'entendre parler d'une hausse des droits de scolarité, visant au contraire l'instauration de nouvelles bourses. Par soucis de justice, ils rejettent toute idée allant dans ce sens. Il est cependant intéressant de noter que d'autres acteurs de cette controverses défendent fermement l'augmentation de droits d'inscription dans le supérieur pour cette même idée de justice. Ils partent de deux constats simples :

- en décidant de rester gratuite, l'université manque de moyens et ne peut plus espérer rivaliser avec les filières parallèles que sont les prépas / grandes écoles et les établissements privés. Il y a donc une injustice entre l'université et ces autres filières, un manque de moyens.

- à l'université même, la situation est injuste car des étudiants payant les mêmes frais d'inscription ont droits à des études n'ayant pas la même valeur, l'état payant la différence.

Pour résoudre la première injustice ces acteurs considèrent donc qu'il faut augmenter les frais de scolarité, seule manière certaine d'augmenter les ressources des établissements, l'état ne remplissant plus son rôle (cf entretien R. Descoing). Et cela ne serait pas forcément injuste comme le clament maints syndicats étudiants, cette hausse des frais n'a nul besoin de se faire aveuglément ce qui serait une manière certaine d'accroître les inégalités. Elle pourrait dépendre de la situation financière de chaque étudiant. Ceci serait pour certain une situation plus juste que la situation actuelle sachant que plus on serait riche plus on paierait.

Pour la seconde injustice, beaucoup ces acteurs pensent que les étudiants devraient payer un prix en relation avec la valeur du coût de leurs études. C'est ce qu'exprime Alain Trannoy lorsqu'il nous dit dans un entretien :

« Ça serait bien que les étudiants paient entre 20% et 30% du coût de leur scolarité. »

Enfin, la nécessité reconnue par la plupart d'augmenter les ressources des universités impliquant la hausse des frais d'inscription, d'autres types de solutions ont été proposées afin que tous paient plus : aisés comme moins défavorisés. Cela répond à une autre conception de la justice : une hausse des frais serait juste si elle était supportée par tous et non seulement par les plus riches qui paient après tous déjà plus d'impôts. Une des solutions proposées est la mise en place de prêts à remboursements conditionnels qui permettraient à tous les étudiants de payer plus chers leurs études et qui seraient remboursés en début de vie active sous condition d'avoir une certaine situation professionnelle. Cette proposition faite par Terra Nova, s'inspirant du modèle australien et étant une des plus avancées en terme de justice sociale ne fait cependant pas l'unanimité car en réalité, derrière toutes ces propositions de hausses des frais résident des questions de fonds :

L'enseignement supérieur peut-il être marchandé ? (cf notamment entretien avec R. Descoings)

Les études faites sont-elles avant tout une plus value pour celui qui les fait ou pour la société qui augmente le savoir de ses membres ? (cf notamment entretien avec B. Julliard)

Noeuds de la controverse :

Wednesday the 18th. Mines ParisTech