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Sous quelles conditions le dessalement de l'eau de mer est-il acceptable ?

 
    

    A partir de 1950, le dessalement connaît un vif intérêt avec les investissements des Etats. Ce procédé d’obtention d’eau douce devient la solution miracle qui assurera l’approvisionnement en eau des pays de toute la planète. Pourtant le dessalement est loin d'être une technologie efficace et les ingénieurs doivent developper les solutions de demain.

    

    Bien lancé techniquement, le dessalement passe dans la main des entreprises privées. Celles qui ont émergé hier sont aujourd’hui à la pointe du domaine.

    

    Depuis une dizaine d’années, la capacité de production d’eau douce dessalée explose tant le secteur est porteur financièrement. Mais des pays moins riches sont mis à l’écart du progrès.

    

    Description de la problématique de Belle-Île-en-Mer, et présentation des différents acteurs impliqués dans la controverse. Évolution de la situation au cours du temps, et présentation générale des problèmes liés à la construction d’une centrale de dessalement.

    

    Les retombées écologiques : malgré son utilité, le dessalement a de nombreux désavantages, il est entre autres à l'origine de rejets d'eaux saumâtres et polluées dans le milieu marin.

    

    L'aspect économique jour un rôle primordial dans la compréhension de la controverse du dessalement. Il aborde les thèmes du coût de construction mais aussi de l’énergie, le tout lié à la situation géographique de la zone considérée.

    

    L’eau peut aussi devenir un véritable sujet politique. Le dessalement prend place aussi bien dans les espoirs électoraux que dans certaines rivalités, voire guerres.

    

    Cette problématique conduit à une réflexion sur notre manière de concevoir l’eau et de la gérer. Est-il plus pertinent de fournir de l’eau coûte que coûte ou essayer de résoudre ce problème en s’attaquant à son origine ?

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L'essor du dessalement

Dans ce journal de bord seront rassemblés tous les éléments qui m’aideront dans mon enquête. Je dédie mes découvertes à ma famille restée dans mon pays natal.

Ce travail d’investigation représente l’occasion rêvée d’étudier de manière exhaustive le dessalement. C’est un sujet qui me tenait à cœur, depuis le jour où a été installée une usine pour répondre à la demande croissante en eau de ma région natale. Peu le considèrent ainsi, mais je suis convaincu que cette usine est la preuve incontestable que le dessalement sera la solution universelle de demain.

Le dessalement va sans aucun doute résoudre beaucoup de problèmes. Reste à savoir pourquoi il connaît un tel engouement depuis seulement une dizaine d’années. C’est avec la rigueur que j’ai acquise en école de journalisme que j’ai décidé de consacrer la première partie de mon enquête à comprendre comment le dessalement a conquis toutes les mers.

Le principe du dessalement était déjà bien connu avant que celui-ci ne soit réalisé technologiquement. Dessaler l’eau de mer pour en extraire de l’eau douce et potable a été envisagé dès la seconde moitié du 19è siècle. Le seul procédé dont disposaient alors les techniciens, consistait à chauffer l’eau salée et à condenser les vapeurs dans un récipient à part. Cette idée élémentaire pour séparer l’eau des sels est à la base des procédés par distillation dont la complexité n’a cessé d’évoluer jusqu’à aujourd’hui.

En cette seconde moitié du 19è siècle, le dessalement n’est cantonné qu’à quelques niches, comme l’approvisionnement des bateaux sur mer en eau potable. Ce sont les techniciens qui possèdent la maîtrise du dessalement. Une déclaration du président américain Johnson vient confirmer la nécessité d’étendre l’utilisation du dessalement à un approvisionnement en eau généralisé, d’après cet article [3] : “Three of our cities, ships at seas, the oil fields of other lands already depend upon desalting plants. We have only to learn before this decade ends. I have faith that we will succeed and I have a vision that such success will be one of history's most vital contributions to cause of peace among nations” (traduction). Le dessalement n’a donc longtemps été que la solution à un approvisionnement ponctuel ce que mon entretien avec M. Marc est venu confirmer. D’après cet ancien ingénieur de la Sidem - consortium européen leader du dessalement vers les années 1980 - c’est la maîtrise de la vapeur qui a permis l’émergence des premiers approvisionnements en eau dessalée en particulier sur les bateaux à vapeur.

Avant les années 1950, les seuls acteurs impliqués dans le dessalement sont donc les techniciens qui mettent au point des modules de dessalement pour des besoins ponctuels dont bénéficient des entités bien spécifiques. A partir de cette date, il faut désormais prendre en compte les États dont le souhait exprimé est de généraliser le dessalement à la planète entière. Dans la même déclaration, Johnson assure : ”What we can and must do now is to free mankind from nature's tyranny by setting out to produce water when and where we need it at a price we can afford. Desalting is not a dream” (traduction). Ces propos suggèrent un basculement de la place accordée au dessalement, liée à l’implication inédite des États. Les gouvernements veulent voir passer cette technique de son statut de substitut à un approvisionnement local, à celui de solution globale et universelle. En envisageant le dessalement comme la solution qui fournira l’eau potable partout où elle manque, l’intérêt pour ce procédé a pu réellement prendre son essor. Un livre édité en 1969 par un technicien français [25] reprend les propos du président américain Kennedy tenus dans un discours sur la nécessité d’investissements supplémentaires : “Aucun programme touchant les eaux n’a autant d’importance à long terme - non seulement pour les régions arides dans le monde - que celui par lequel nous nous efforçons de trouver un moyen efficace et économique de convertir l’eau des océans en eau propre à l’usage domestique et industriel”. Les acteurs du dessalement moderne sont donc unanimes et coordonnent leurs efforts pour faire progresser le dessalement sur le plan technologique. Les États investissent dans la recherche et ces investissements bénéficient aux ingénieurs et chercheurs qui font progresser les procédés d’obtention d’eau douce ainsi que les connaissances théoriques dans le domaine.

Ces déclarations optimistes prennent place dans un contexte d’après-guerre. Le dessalement doit participer à une consolidation de la paix dans les régions où l’accès en eau est limitée, argumentent les pays riches. Plus qu’un simple composé chimique, l’eau est une ressource universelle indispensable à toute société moderne.

Tournons vers les scientifiques et techniciens du dessalement. La lecture d’articles sur cette période de l’époque moderne du dessalement suggère un optimisme ambiant au sein de la communauté scientifique. Les spécialistes placent beaucoup d’espoirs dans le dessalement. A l’ouverture d’un symposium international sur le dessalement à Athènes en 1957, le directeur de l’OSW déclare : “All of you who are gathered in Athens to study the problem of extracting fresh water from the sea are serving the cause of humanity. I hope that desalination you are about to enter will mark the initiation of cooperative effort to solve a problem that does not recongnize national boundaries. Please accept my best wishes for a most succesful symposium” (traduction). On retrouve dans cette déclaration la volonté des gouvernements de faire du dessalement un procédé utilisable par toutes les nations. Les avancées de nature technique sont le fruit de coopérations et d’échanges entre des scientifiques américains et européens. Le problème de la faisabilité du dessalement se traite donc à une échelle globale et non plus locale depuis les années 1950.

La position des acteurs susmentionnés évolue cependant à partir des années 1970. En une vingtaine d’années le dessalement a beaucoup progressé grâce aux investissements des États et aux efforts des ingénieurs. Jugeant le progrès technique satisfaisant, les États ne s'intéressent désormais plus autant au dessalement. Une crise économique est également passée par là... Les procédés d’obtention d’eau douce sont devenus suffisamment rentables économiquemen. Un signe de ce basculement est la dissolution par les États-Unis de l’OSW. Pour reprendre toujours le même article [3] : “In 1976 the US Government recognized that desalination was advanced enough, so that the industry could undertake any farther development and the American Government closed the OSW”.

C’est la fin d’une époque...



L'essor du secteur industriel et ses retombées

J’ai eu accès aujourd’hui à des sources supplémentaires qui m’ont aidé à mieux comprendre la situation du dessalement à partie des années 1980.

Un recherche sue l’outil Google NGgram m’a permis de retracer l’évolution dans le temps du nombre de publications liées au dessalement entre 1950 et 2008. Le graphique met en évidence un intérêt fort pour le dessalement dans les années 1960 et 1970 bien supérieur à celui des années 1980.

Comme mes recherches de la veille l’ont suggéré, ce sont les entreprises qui ont pris la place des États. Bien que l’objectif commun annoncé des gouvernements et des entreprises privées soit d’internationaliser le dessalement, ces deux acteurs ne partagent pas la même vision du dessalement “international”. Leur approche est radicalement différente. D’un côté, les États par leurs investissements avaient pour objectif de faire du dessalement un procédé rentable. Les spécialistes ont développé de multiples approches pour extraire de l’eau douce à partir d’eau de mer salée. De l’autre, les entreprises ont pour objectif essentiel de pérenniser le dessalement. Parmi tous les procédés de dessalement qui avaient fait l’objet de recherches, seuls l’osmose inverse et la distillation multi-flash ont été retenus pour leur coût économique plus faible.

À qui s’adresse le dessalement proposé par les entreprises privées? Contrairement aux États pour qui le dessalement doit être une solution accessible à tous les pays de la planète, les entreprises s’adressent en ces années 1980 à des pays suffisamment riches pour acheter des usines. Inversement, si un essor des entreprises spécialisées dans la conception d’usines de dessalement est bel et bien à noter, il faut compter sur ces pays et ces villes qui connaissent un besoin pour cette source d’eau supplémentaire. Les meilleurs représentants de ces pays clients sont les pays pétroliers. De par leur situation géographique - climat chaud et sec - ces pays ont un accès limité à une eau douce naturelle. Avec le développement économique des pays pétroliers dans les années 1980, les réserves d’eau souterraines se révèlent de plus en plus insuffisantes et il faut recourir au dessalement. Ces pays brûlent leur pétrole pour alimenter en énergie leurs usines de dessalement majoritairement basées sur la technologie de distillation multi-flash très gourmande en énergie.

Les îles ont été également confrontées à la problématique de l’approvisionnement en eau. Quel meilleur exemple que les Canaries, cet archipel espagnol où les touristes affluent? Pour répondre aux demandes en eau du secteur touristique, les autorités ont été contraintes de se tourner vers le dessalement. Une aubaine pour les entreprises espagnoles du secteur qui ont pu se lancer pour de bon : "La presque totalité de ces entreprises ont fait leurs débuts avec les eaux du littoral des îles Canaries", selon un dossier de Spain Business [24]. Ces entreprises, qui ont émergé il y a plus de 30 ans pour répondre aux demandes de pays clients, sont aujourd’hui très compétitives et bénéficient de leur expérience passée.

A partir des années 1980, les États ne forment donc plus un bloc uniforme. Parmi les acteurs à inclure dans la sphère du dessalement, il faut distinguer d’un part les pays qui ont ont recours au dessalement et d’autre part les pays développés moins concernés par le dessalement car pas forcément indispensable pour eux. Cependant les connaissances techniques sont la propriété de ces derniers et les entreprises spécialisées dans le dessalement sont généralement américaines ou européennes. Un rapide survol d’articles de presse européens sur le dessalement m’a confirmé que la majorité de ces articles avaient pour sujet la prochaine construction d’une usine dans tel pays par une entreprise européenne. Ainsi les deux catégories de pays interagissent au sein de la sphère du dessalement sur un plan économique.

Cependant ces interactions ne supplantent pas les interactions originelles entre pays développés cherchant à faire progresser le dessalement. Les progrès techniques réalisés par les ingénieurs continuent à circuler. La recherche se concentre notamment sur la conception de membranes plus performantes dans le procédé par osmose inverse. Des conférences ont lieu pour permettre la diffusion des connaissances et à la suite de l’International Desalination Association (IDA), plusieurs nouvelles organisations sont créées [3]: “One more cooperative Symposium took place, in Kuwait, in 1989, shortly before the break of the Gulf War. In the mean time, the European Desalination Association (EDA) was created originally as an IDA affiliate" (traduction). Les ingénieurs ont donc encore bien leur place dans la sphère du dessalement.

Il est temps de se tourner vers le 21è siècle...



Le dessalement de nos jours

Le dessalement connaît aujourd’hui un regain d’intérêt sur toute la planète. Après les pays pétroliers et les îles touristiques, de nombreux États se lancent à leur tour dans la construction d’usines de dessalement de capacités très diverses. Non seulement les pays à climat chaud, comme l’Espagne ou les pays pétroliers du Moyen-Orient, continuent à construire de nouvelles usines dans le cadre de plans nationaux pour l’approvisionnement en eau, mais d’autres puissances comme les États-Unis, l’Australie ou la Chine cherchent grâce au dessalement à stabiliser la demande en eau de leur population [2] : "USA recognizes that by year 2020, desalination and water recycling will be a major contributor to the stability of an adequate water supply" (traduction).

La source précédente mentionne également la capacité mondiale de production journalière d’eau dessalée en 2010 : "The total capacity of desalination plants around the globe is 59.9 million m³/d" (traduction). Cette production, déjà importante, devrait s'accroître de plus en plus vite dans les années à venir. Le graphique ci-contre tiré toujours de la même source nous apprend que la capacité des usines installées chaque année va en s’accroissant.

On constate donc aujourd’hui qu’il y a de plus en plus de pays ayant recours au dessalement y compris des pays qui ne possédait pas ou peu d’usines il y a une vingtaine d’années, à commencer par la Chine. Si l’émergence de ces nouveaux acteurs est à relever, il faut la replacer dans son contexte. Certains pays qui étaient encore considérés hier comme en voie de développement sont aujourd’hui devenus des pays à forte croissance économique comme la Chine ou l’Inde. Les besoins de leur population sont plus importants qu’auparavant notamment en ce qui concerne les besoins en eau. Le dessalement est une des solutions qui va leur permettre de relever le défi d’un approvisionnement pour tous. Cependant cette solution ne saurait être suffisante selon certaines prédictions [2] . Ainsi le graphique suivant compare les capacités en production d’eau dans les Émirats Arabes Unis majoritairement basées sur le dessalement aux besoins réels de la population. Ce graphique indique que le dessalement ne devrait pas suffire.

Le nombre d’usines de dessalement installées sur la planète allant en augmentant, de plus en plus personnes dans le monde sont alimentées en eau provenant d’usines de dessalement. Ces populations sont à inclure dans la liste des acteurs qui font évoluer le dessalement. En effet ce sont leurs besoins qui commandent aux pays de se munir d’usines. D’autre part en s’organisant en associations, comme Food and water Watch [27], ces populations ont le moyen de faire entendre leurs positions sur le dessalement. N’est-il pas par exemple trop cher, pas assez écologique? Ces questions là seront à approfondir plus tard dans mon enquête.

Bien que l’élaboration d’un dessalement rentable se fasse à l’échelle globale, les entreprises doivent adapter la technologie et la taille de leurs usines aux besoins locaux des populations. On observe concrètement une grande diversité de ces usines. Ainsi les capacités de production d’eau varient de 1000 m³/jour à une production de 600000 m³/jour pour les plus grandes usines. Ces usines de grande envergure reposent sur le procédé d’osmose inverse, car c’est la technologie qui est la moins chère à l’usage, mais pas forcément à la construction comme me l’a appris M. Marc. Seuls quelques pays riches construisent de telles usines. Il s’agit essentiellement des pays du Moyen-Orient, comme les Émirats Arabes Unis, première nation au monde en production d’eau dessalée, et Israël. Pendant un certain temps, l’Australie s’était engagée dans cette course à la démesure mais le pays a dû récemment abandonner des projets de dessalement à très grande échelle à cause du prix des installations.

On peut comparer à présent la situation actuelle à celle qui avait été prédite par les spécialistes du dessalement dans les années 1960. Certains scientifiques jugeaient qu’à l’horizon 2000, les usines les plus performantes atteindraient des capacités dépassant le million de m³ d’eau produite. La prédiction était optimiste et ne s’est pas réalisée mais elle illustre assez bien la confiance qui avait été placée dans le dessalement. Quand les États ont commencé à investir dans la conception d’unités de dessalement performantes, il s’agissait à terme d’un moyen de régler le problème de l’approvisionnement de l’eau dans le monde, notamment dans les pays les plus exposés aux sécheresses. Malheureusement, 50 ans après, je constate que seuls les pays disposant de suffisamment d’argent ont eu accès au dessalement, à partir du moment où la technologie est passée aux mains des entreprises privées. En effet, bien que de plus en plus de pays aient recours au dessalement cela ne concerne finalement que des pays suffisamment développés. Les autres pays trop pauvres ont été mis à l’écart du progrès, faute de moyens financiers.

L’essor actuel du dessalement est donc le reflet des inégalités économiques à l’échelle mondiale. Le dessalement n’est plus considéré comme la solution miracle, elle est même parfois contestée d’après certains passages de mes sources. Il est temps de m’intéresser aux raisons qui poussent les populations en remettre en question le dessalement. J’ai trouvé en surfant sur le web qu’une polémique a eu lieu à Belle-Île-en-Mer, lié à la possible implantation d’une usine de dessalement d’eau de mer. Je pense qu’il serait grand temps que j’aille rendre visite à mon cousin qui habite à Lorient!



Premier contact avec Belle-Île-en-Mer

Je viens de contacter mon cousin : il peut m’accueillir quelques jours chez lui. C’est l’occasion de découvrir Belle-Île-en-Mer et comprendre les problèmes liés à l’implantation de cette usine de dessalement. Je n’en reviens toujours pas d’avoir trouvé un endroit en France mettant en scène des problèmes liés au dessalement ; moi qui pensais que tout se passait dans d’autres pays !

Pour m’occuper durant mon voyage, j’ai décidé de me renseigner plus précisément sur le cas de Belle Île en mer. C’est une île située dans l’Atlantique, juste en dessous de la Bretagne, c’est aussi la plus grande des îles du Ponant avec une superficie totale d’environ 85km². Elle compte environ 5000 habitants en hiver, mais avec l’afflux de touristes en été, sa population avoisine davantage les 25000 habitants. La consommation d’eau s’en trouve d’ailleurs significativement augmentée. Durant l’été 2005, les barrages de l’île n’avaient apparemment pas suffi à alimenter l’île entière et des bouteilles d’eau avaient dû être importées par bateau pour subvenir aux besoins de la population. Pour éviter que cette situation ne se reproduise à l’avenir, la communauté de commune de Belle-Île-en-Mer (CCBI) a élaboré en 2007 un plan de gestion de l’eau. Ce dernier prévoit la construction d’une usine de dessalement pour fournir l’eau potable en cas de pénurie. Cette construction est le nœud du problème, de nombreuses personnes étant contre cette centrale, elles ont participé à la création de l’association Eaux Douces en 2010. En me renseignant sur le site de l’association j’ai vu que cette dernière a été créée dans le but de faire ajourner la construction de la centrale ainsi que pour promouvoir leur propre vision de la gestion de l’eau. L’association a effectué différentes actions pour s’opposer au projet de la CCBI: elle a dans un premier temps mobilisé la population via la signature de pétitions. Elle a aussi organisé différentes rencontres avec des membres de la CCBI pour essayer de reformuler le plan de gestion de l’eau élaboré en 2007. Finalement le projet de construction de la centrale de dessalement a été abandonné en mai 2010.

Dans des régions du monde comme le Moyen-Orient, le dessalement apparaît comme l’unique solution pour s'approvisionner en eau. C’est par exemple le cas dans la bande de Gaza qui a un réel besoin en eau pour subvenir au moyens de la population. En France par contre, la construction d’usines de dessalement reste soumis à polémique, tant le besoin ne s’en fait pas ressentir dans l’immédiat, ce qui explique pourquoi elle n’est pas facilitée.

Ayant une vision plus claire de la situation, j’ai décidé de contacter la CCBI dès mon arrivée, ce qui me permettrait d’avoir une première idée du problème qu’il y a eu quelques années auparavant. J’ai donc tenté d’appeler un des représentants de l’institution : je suis tombé sur des personnes me disant qu’un entretien était possible, mais pas dans l’immédiat. Après plusieurs réponses de ce type, j’en ai déduit que la CCBI ne voulait probablement pas parler de ce sujet. Cette première journée d’enquête commence bien : même si je n’ai pas réussi à obtenir directement des informations de la part de la communauté de commune, j’ai au moins pu me rendre compte de la difficulté d’obtenir des informations de leur part.



L’impact environnemental du dessalement

Après l’échec de la veille concernant Belle Île en mer, j’ai contacté des membres de l’association Eaux Douces en espérant être un peu plus chanceux. J’ai réussi à joindre Mme Lané, qui a accepté de me rencontrer l’après-midi. En attendant cet entretien, j’ai effectué quelques recherches pour en apprendre un peu plus sur le rôle des ONG dans les conflits liés au dessalement de l’eau de mer. On peut en effet penser que cette situation n’est pas isolée et qu’il existe des cas analogues à travers le monde. J’ai ainsi pu constater que de nombreuses ONG luttent contre le dessalement, avec des raisons diverses, qui dépendent en partie du contexte de leur situation. J’ai par exemple pu relever une ONG américaine, Food and Water Watch, qui ne se consacre pas exclusivement à la problématique du dessalement de l’eau de mer mais plus généralement à la préservation de la qualité de la nourriture et de l’eau que consomment les hommes. La position de cette ONG va contre le dessalement. Elle le considère en effet comme un choix risqué et coûteux, d’autant plus que des alternatives plus économiques et sûres existent. D’autre part, cette ONG s’inquiète de l’impact environnemental des usines, des diverses répercutions sur la faune et la flore marines, et par conséquent sur le marché de la pêche avec un manque à gagner de plus de deux cents millions de dollars par ans aux États-Unis.

On voit ainsi que le cas d’une association qui s’oppose aux usines de dessalement d’eau de mer n’est pas spécifique à la situation de Belle-Île-en-Mer. Cependant, on peut constater que ce type de structure n’est finalement présent que dans des pays ayant des solutions de remplacement. Dans le cas des pays où le dessalement est vraiment indispensable, il est rare que des associations soient formées pour lutter contre ce choix. On remarque dans ces pays un décalage entre le ressenti des populations vis-à-vis du dessalement de l’eau de mer et les critiques qu’en font des organisations internationales. C’est dans ce point que réside un des principaux problèmes de la controverse liée au dessalement: ceux qui critiquent le dessalement de l’eau de mer ne sont souvent pas ceux qui sont directement touchés par ses conséquences, il en résulte une certaine distance vis-à-vis de la localisation de la controverse et donc un avis forcément extérieur sur la question. Ce n’est pas le cas dans la commune où je suis mais elle n’est pas représentative de la majorité des cas dans le monde car les pénuries d’eau restent minimes et l’eau est globalement présente en abondance.

Après avoir vu les différents arguments proposés par ces ONG, j’ai remarqué que l’un d’entre eux ressortait assez souvent : celui de l’impact sur l’environnement. Comme je venais de recevoir un appel me disant que mon rendez-vous de l’après-midi était finalement reporté au lendemain, j’ai eu tout le temps de me consacrer à ce point pour le reste de la journée. J’ai commencé par regarder plus précisément les préoccupations d’Eaux Douces vis-à-vis de ce problème, et j’ai vu que les principales interrogations concernait le rejet des saumures. En effet, lors de la filtration de l’eau de mer par osmose inverse, on obtient en sortie de l’eau purifiée ainsi qu’une eau avec une forte concentration en sel : la saumure. En plus d’être à une concentration très élevée, elle contient aussi différents constituants chimiques polluants qui une fois rejetés dans la nature perturbent l’équilibre de l’écosystème sous-marin. Le rejet des saumures peut aussi polluer des nappes phréatiques, comme c’est le cas dans la bande de Gaza. Dès lors, pourquoi dessaler de l’eau de mer si c’est pour en parallèle polluer une autre source d’eau douce ?

Après avoir considéré l’impact environnemental direct, il m’est apparu utile de pousser un peu plus loin la réflexion et de m’intéresser à des aspects annexes, comme les énergies mises en jeu pour faire fonctionner une usine de dessalement d’eau de mer. J’ai rencontré dans la journée des habitants qui m’ont assuré craindre pour leur propre approvisionnement en électricité si une usine venait à être construite. En effet, pendant la haute saison, si l’eau est beaucoup utilisée l’électricité aussi, et l’implantation de cette centrale aurait dû aller de pair avec un remaniement de la production en électricité de l’île. L’isolement énergétique de l’île fait qu’elle ne peut pas compter sur l’aide du réseau français pour s’alimenter en électricité, et doit donc être couplée à une source d’énergie pour fonctionner. À travers le globe, de nombreuses possibilités existent pour alimenter les centrales de dessalement en électricité. La plus courante est l’utilisation de centrales thermiques, qui sont massivement présentes dans les pays du Golf où le pétrole est présent en abondance. D’autres expériences ont aussi été tentées avec des centrales nucléaires, qui permettent de fournir une puissance importante et surtout régulière, essentielle pour un dessalement de l’eau de mer en continu. Cependant dans le cadre d’une île, et plus particulièrement celle de Belle-Île-en-Mer, ces solutions ne sont pas adaptées à la faible production de l’usine qui devait être construite (250m3 par jour). Un couplage intéressant qui peut être mis en évidence concerne celui des énergies renouvelables, qui permettent de s’affranchir des problèmes de pollution liés à l’utilisation des énergies fossiles ou nucléaire, tout en gardant l’indépendance énergétique dont l’île a besoin. J’ai ainsi trouvé l’exemple d’une centrale de dessalement qui fonctionne à l’énergie solaire. Même si cette eau sert dans ce cas à la culture de micro algues, cette technologie peut aussi être utilisée pour faire fonctionner de petites centrales de dessalement.



Le facteur économique

J’ai finalement réussi à rencontrer Mme Lané d’Eaux Douces, ce qui m’a permis de mieux comprendre le déroulement de leur lutte contre le projet de la CCBI mais surtout de saisir quels étaient précisément leurs arguments. Je pensais naïvement que la source du conflit était liée à l’environnement. Cependant, elle m’a rapidement expliqué, qu’outre les quelques problèmes sur le milieu marin que l’usine aurait provoqués, le véritable enjeu était plutôt politico-économique. J’ai d’ailleurs pris le temps de retranscrire l’entretien. L’un des points qui m’a le plus frappé est le refus de la construction de l’usine de dessalement non pas parce qu’elle pouvait détériorer le milieu marin mais parce qu’elle n’était pas nécessaire et n’arrangeait pas la population. En effet, l’un des arguments phares de l’association portait sur le coût de l’installation. Pour une petite commune comme celle de Belle-Île-en-Mer, de nouvelles dépenses liées à la construction de l’usine et à son approvisionnement en électricité pouvaient peser lourd sur les impôts des riverains. L’eau dessalée était alors vue comme une dépense supplémentaire. J’ai compris que le financement des usines de dessalement était un aspect clef de la prise de décision concernant l’implantation d’une usine.

Il est intéressant de noter que ce problème ne se posait pas jusqu’alors, car les régions sur lesquelles je m’étais penché (pays du Proche-Orient et du Moyen-Orient) disposaient d’une alimentation importante et bon marché en électricité, grâce à leurs exploitations pétrolières. Cet aspect, plus d’ordre géographique, ne doit pas être négligé. Il montre bien qu’un même problème est abordé d’une manière totalement différente en fonction de la région où il apparaît.

Un autre point s’éloignait aussi des situations classiques, visibles dans la presse. La mairie avait fait appel à une petite société pour construire l’usine de dessalement, alors que ces missions sont le plus souvent confiées à de grands consortiums comme Veolia ou Degrémont, filiale de Suez Environnement. Il en était de même pour l’étude préliminaire qui devait statuer sur la viabilité d’une telle démarche. Cette analyse a d’ailleurs été vivement remise ne cause par l’association Eaux Douces. Il y a donc eu une confrontation sur une étude scientifique. D’un côté, la mairie s’y reportait pour légitimer leur projet, de l’autre, Eaux Douces essayait de convaincre la population de l'irrationalité de la prospection. Cette dimension semble manquer dans la plupart des autres cas que j’ai pu rencontrer. Les journaux faisaient juste mention de la volonté étatique d’installer un centre de dessalement, et certaines associations de lutte pour l’environnement, telles que Food and Water Watch ou WWF s’y opposaient : toute de la controverse ne se déroulait qu’à un niveau national, voire international, d’où l’intéret de la situation de Belle-Île-en-Mer, qui met en relief une controverse localisée dans une région en particulier d’un pays où les grands projets de dessalement ne sont pas à l’ordre du jour.

L’aspect économique, fortement lié à la géographie de la zone considérée a donc un impact très important sur le recours ou non au dessalement. Cette technique est connue pour engendrer de lourds coûts et consommer une quantité non négligeable d’énergie. Ces points sensibles sont d’ailleurs souvent repris par les acteurs du milieu pour mettre en avant tel ou tel argument. Comme M. Marc me l’avait signalé, lors du développement des méthodes de dessalement, un conflit avait éclaté entre les entreprises du milieu pour savoir quelle technique, dessalement thermique (aussi appelé dessalement par distillation) ou osmose inverse, allait prendre le dessus. Même s’il était profondément pour la première, il m’avait quand même expliqué que le choix s’était basé sur le coût, soit à long terme, soit à court terme de ces deux types d’installation. Il m’apprit que l’osmose inverse ne coûtait pas très cher à la construction par opposition au traitement thermique qui impliquait un investissement important. Cependant la tendance s’inversait à long terme. Cette considération avait amené les entreprises à proposer les deux, tout en se concentrant sur l’osmose inverse, plus attrayante pour les pays en voie de développement, qui n’avaient pas les liquidités nécessaires pour payer le dessalement par voie thermique. Selon lui, d’autres considérations, plus liées à l’avancée des pays, s’étaient rajoutées, comme la nécessité ou non de techniciens spécialisés pour l’entretien et la réparations de la machinerie.



Quand la politique s’y mêle

En repensant à ce que j’ai entendu hier, je viens de remarquer un nouvel aspect de cette situation assez déroutant. Je m’étais intéressé jusqu’à présent à des cas où la population avait besoin de cette eau de manière permanente, comme dans les pays du Golfe. En effet, pour les habitants de ces régions, l’eau issue du dessalement était une nécessité car ils en manquaient tout au long de l’année. Dans cette optique, l’opinion publique semblait toujours favorable à de tels projets. Or ici, à l’inverse, l’eau pouvait être trouvée ailleurs, et était présente, pas jusqu’à l’abondance, mais tout de même dans des proportions non négligeables. Comme l’a mentionné Mme Lané, Belle-Île-en-Mer est l’un des lieux de France où il tombe le plus de pluie. Il ne manque donc pas d’eau douce, même si elle doit être stockée et traitée. L’eau dessalée n’était donc plus vue par la population comme un bien incontournable, qui s’imposait, mais plus comme l’une des possibilités pour résoudre un problème, certes urgent, mais localisé à certaines périodes de l’année, par exemple lors des pics estivaux. De ce fait, le rapport avec le représentant de l’État, ici le maire, qui était responsable du projet, avait pris une toute autre dimension. Les habitants de Belle-Île-en-Mer étaient en attente d’une solution avantageuse pour tous, à la différence des pays où l’eau manque réellement et où toute initiative est accueillie chaleureusement. Cette usine de dessalement n’était donc plus juste un moyen parmi d’autres pour résoudre un manque d’eau mais aussi un sujet politique et public, qui appelait à des négociations et à de la transparence de la part des autorités. Mme Lané n’était-elle pas d’ailleurs une ancienne élue ? J’ai pu moi-même faire l’expérience de l’opacité de l’affaire du côté de l’organe administrative responsable du projet, la CCBI (Communauté des Communes de Belle-Île) car à ce jour, je n’ai toujours pas eu de réponse à ma demande d’entretien et de documentation.

L’eau n’est plus vue comme une manne vitale mais comme un levier politique et cette discordance de statut entre les acteurs ne peut qu’alimenter la controverse. Même si ses propos sont influencés par son positionnement politique, Mme Lané m’avait signalé, durant l’entretien, que le maire avait été totalement décrédibilisé suite à cette histoire.

Comme il me reste un peu de temps avant de repartir à Paris, j’ai décidé de chercher d’autres occurrences de ce phénomène et j’ai trouvé un document assez intéressant sur la situation de la bande de Gaza. Il explique que là-bas, la situation prend une toute autre tournure. Due à son contexte difficile, la zone est souvent sujette à des conflits armés et les ressources en eau deviennent souvent des enjeux stratégiques. Là l’eau a une importance capitale car de plus en plus de nappes phréatiques se tarissent, entraînant un manque progressif. Conscientes de cette situation, les autorités ont cherché à la résoudre en se penchant sur le dessalement de l’eau de mer. Il est en effet impensable pour eux d’être dépendants d’un autre pays. Ce trait est d’ailleurs partagé avec les habitants de Belle-Île-en-Mer qui ne veulent pas devoir s’appuyer sur le continent français. Cependant les dépenses nécessaires pour mener à bien un tel projet dépassaient leurs capacités, d’où le déplacement du Premier Ministre Israélien en Union Européenne pour demander des aides. La question du dessalement était donc complètement politisée, passant d’un problème local, à une question nationale jusqu’à un sujet débattu au niveau européen. On peut même la voir comme un outil de pression, la nation qui a cette source d’eau ayant un “avantage” sur l’autre.



Le bilan de mon séjour

Mon enquête touche à sa fin et pourtant, pour bien comprendre ce que j’ai fait jusqu’à maintenant, il me faut revenir au début de mon investigation. Je cherchais à comprendre sous quelles conditions le dessalement pouvait être acceptable. Il est évident que dans certain cas, comme au Moyen Orient, c’est la seule solution viable et au point disponible aux états, mais dans toutes les autres situations, la question se pose. Bien au-delà de cette problématique qui peut paraître, à la lumière de mes nombreuses recherches, naïve, deux grandes lignes se dessinent. Il y a tout d’abord une confrontation indéniable sur la question du statut de l’eau. Certains la voient comme une ressource vitale, d’autres comme un milieu à protéger ou même comme un outil de pression politique. Cette divergence est au cœur de la controverse et explique bien souvent les malentendus qui émergent entre les acteurs. Le second point concerne l’ambiguïté résidant entre les acteurs globaux, les géants industriels ou les ONG internationales, et la situation de manque locale, qui comme nous l’avons vu, est une autre source d’incompréhension. Mais où réside vraiment le problème ? Je commence à me rendre compte qu’il ne se situe pas directement dans le dessalement, qui n’est rien d’autre qu’un moyen de pallier au manque d’eau. Ce questionnement me semble plus profond : comme l’a souligné Mme Lané pour qui le dessalement semblait une fuite en avant de la part du maire, une sorte de manque de courage pour affronter un problème bien moins visible mais pourtant bien plus central: la gestion des eaux. Dans le même esprit, M. Marc m’avait confié que pour solutionner ce problème il fallait revenir à sa source et se poser les questions “Comment consommons-nous ?” et “Comment valorisons-nous l’eau ?”, il faut accepter son coût et revoir nos habitudes car cette ressource se rarifie.

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