Liens entre CO2 et palmier à huile

Des chiffres encourageants

Le MPOC*, via son site promotionnel, réfute les chiffres proposés par les occidentaux : « The EU and the US have both attributed inaccurate and discriminatory GHG savings values (19 percent and 17 percent, respectively) to palm oil, thereby denying access to both countries’ biofuels markets. » (L’UE et les Etats-Unis ont tous deux attribué des chiffres inexacts et discriminatoires concernant les quantités de gaz à effet de serre évitées grâce au palmier à huile (respectivement 19% et 17%), niant par là son entrée dans leurs deux marchés des biocarburants). Les valeurs sont en fait bien plus hautes, révèle le site, car les émissions dues à la déforestation ont été surestimées : « According to research by Winrock International, a US consultancy, emissions from deforestation are between 50 and 25 percent of previous estimates. » (Selon une étude menée par Winrock International*, un bureau de consultants américain, les émissions dues à la déforestation se situent entre 50 et 25% en dessous des estimations antérieures) [1].

On constate donc que deux faits entrent en ligne de compte : la déforestation causée par l’expansion des plantations qui rejette du CO2 en quantités moindres que les estimations initiales, et les palmiers eux-mêmes, qui en tant que plante, retiennent le carbone. Selon des chercheurs malaisiens, les zones plantées le retiennent même mieux que la forêt primaire : « the net assimilation of carbone dioxide is also higher for oil palm plantation compared to rainforest, which are 64,5 and 42,2 tonnes of CO2 per hectare per year respectively. » (l’assimilation nette de CO2 est de plus plus élevée pour une plantation de palmiers à huile que pour la forêt primaire, avec les chiffres respectifs de 64,5 et 42,2 tonnes de CO2 assimilées par hectares et par an) [2].

 

En savoir plus sur le marché du carbone.

 

Un puits de carbone… sous certaines conditions

Le palmier retenant le carbone, les zones plantées peuvent servir de puits de carbone (« carbon sinks »). A titre d’exemple, le président du MPOC donne les chiffres de la région de Sarawak (Malaisie) : « In 2012, Sarawak removed 106 million tones of CO2 and emitted 30 million tones of CO2 » (En 2010, le Sarawak a absorbé 106 millions de tonnes de CO2 et en a émis 30 millions de tonnes).

Ce bilan négatif permet à cette région d’absorber le carbone, qui est produit par les pays industrialisés ayant coupé leurs propres forêts. « Considering that Sarawak has been a CO2 remover by larger amounts in the past, it has essentially been cleaning up the emission of net emitter countries which have industrialized their economies and developed their agriculture during the past 2 centuries. » (Considérant que le Sarawak a absorbé de grosses quantités de carbone dans le passé, cette région a essentiellement compensé les émissions des pays émetteurs nets, qui ont industrialisé leur économie et développé leur agriculture au cours des deux derniers siècles) [1].

 

Le Sarawak, un puits de carbone - MPOC

Le Sarawak, un puits de carbone – MPOC

 

Il faut toutefois rester prudents, car l’appellation peut être trompeuse, voire fallacieuse si l’on ne fait pas attention au sol sur lequel a été établie la plantation. Selon les chercheurs en sciences environnementales Fitzherbert et al., on ne peut affirmer qu’une plantation de palmier est un puits de carbone qu’à la condition que ladite plantation ait été établie sur une prairie dégradée, possédant de faibles quantités de carbone à l’origine. Les arbres plantés joueront alors effectivement le rôle d’absorbeurs de carbone, et limiteront également l’érosion du sol mieux qu’une ancienne zone non forestière. Si au contraire les palmiers ont été plantés sur une zone préalablement déboisée, il est absurde de dire que la plantation a permis d’éviter des émissions [3].

 
Le vecteur d’une déforestation lourdement émettrice

Fitzherbert et al. rapportent que l’établissement de plantations soit sur des zones de tourbière, soit en remplacement de forêts contribue à des émissions substantielles de gaz à effet de serre (« Establishment of plantations on peat soils and where they replace forest contributes substantially to greenhouse gas emissions ») [3]. On trouve le chiffre de 120 millions de tonnes de CO2 par an pour l’Indonésie et la Malaisie seules, selon R. A. Butler, créateur et rédacteur en chef du site de veille environnementale mongabay.com [4]. L’émission dans les zones de tourbières a lieu pendant leur drainage, étape nécessaire entre l’abattage des arbres présents et la mise en place de plantations. En effet, les tourbières asséchées et exposées à l’air subissent une oxydation et relâchent le dioxyde de carbone qu’elles recèlent [5].

Par ailleurs, ces chiffres ne tiennent pas compte des quantités émises lors des feux de forêt utilisés pour le défrichement. On prévoit ainsi, toutes sources confondues, 558 millions de tonnes de CO2 relâchées dans l’atmosphère d’ici 2020 et directement imputables au palmier à huile en Indonésie. [5] Greenpeace* tire également la sonnette d’alarme pour l’Afrique, car les compagnies se tournent à présent vers cette zone géographique, ayant presque épuisé les terres disponibles en Asie du Sud-Est. Or, « dans une plantation indonésienne de palmiers à huile, la quantité de carbone stockée dans la biomasse aérienne est d’environ 39 tonnes par hectare ; dans la forêt tropicale africaine, elle avoisine 150 tonnes par hectare » [6]. La déforestation en Afrique serait donc vectrice d’émissions encore plus conséquentes que celles d’Asie.

 

Un enjeu majeur pour la RSPO

Dans un communiqué, le WWF* indique que la RSPO* commence à prendre en compte les émissions et à intégrer leur réduction dans les critères imposés aux membres de la Table Ronde. « As of 2013, new developments have to be planned in ways that minimize their emissions – including by avoiding highcarbon areas like forests and peatlands and by building mills that eliminate methane emissions. » (Concernant 2013, de nouveaux développements sont à planifier afin de réduire les émissions [des plantations existantes] – comme éviter les zones recelant beaucoup de carbone, par exemple les forêts et les tourbières, et construire des moulins qui n’émettent plus de méthane). Toutefois, les mesures actuelles ne sont pas encore suffisantes et n’imposent aucun maximum d’émissions [7], ce que reproche Greenpeace : « La RSPO doit donc renforcer ses standards, en particulier en ce qui concerne les émissions de gaz à effet de serre et la protection des tourbières, et continuer le travail entamé afin de mettre en œuvre avec plus de rigueur ses principes et critères. » [6].

 

En savoir plus sur la régulation.

 

 

*MPOC – Malaysian Palm Oil Council : L’objectif de cette entreprise est d’améliorer l’image de l’huile de palme, en particulier malaisienne, en faisant la publicité de ses qualités.

*Winrock International : Organisation américaine à but non lucratif recherchant des solutions pour le maintien des ressources naturelles.

*Greenpeace : ONG environnementaliste luttant dans des domaines aussi variés que la déforestation, le nucléaire ou la protection des océans, d’abord par l’enquête et la concertation, puis l’alerte au grand public via des actions, souvent médiatiques – et médiatisées – qui visent à faire pression sur les industriels.

*WWF – World Wild Fund (Fonds mondial pour la nature) : ONG environnementaliste œuvrant pour la protection des espèces en danger, la préservation des ressources naturelles et des écosystèmes, ainsi que la promotion d’une transition énergétique respectueuse de l’environnement.

*RSPO – Roundtable on Sustainable Palm Oil (Table ronde pour une huile de palme durable ) : organisme réunissant des ONG, des producteurs, des investisseurs et des consommateurs d’huile de palme. Ils cherchent à améliorer la filière et à la rendre durable, notamment grâce au label CSPO.

 

 

[1] MPOC, theoilpalm.org

[2] TAN, K.T. et al., Palm Oil : Addressing issues and towards sustainable development (2009)

[3] FITZHERBERT E. B. et al., How will oil palm extension affect biodiversity (2008)

[4] BUTLER A. R., mongabay.com

[5] GRUNDMANN E., Un Fléau si Rentable – Vérités et mensonges sur l’huile de palme (2013)

[6] GREENPEACE, La dernière frontière de l’huile de palme en Afrique (2012)

[7] WWF, Palm Oil Buyers Scorecard – Measuring the progress of palm oil buyers (2013)