L’influence des gouvernments sur les politiques d’investissements

Les deux principaux pays producteurs d’huile sont l’Indonésie et la Malaisie : ils représentent à eux deux près de 80 % de la masse totale produite par an. Comment les gouvernements respectifs contribuent-ils à cet état de fait, et quels rôles jouent-ils ?

 

L’influence des acteurs politiques de premier plan – c’est-à-dire de l’administration nationale – passe d’abord et avant tout par le contrôle des capitalisations boursières d’une partie des entreprises liées à l’huile de palme. Plusieurs grandes compagnies opérant sur le sol malaisien ont ainsi plus d’un tiers de leur capital entre les mains de la Bumiputera Investment Foundation – institution financière mise en place par l’État en 1970 pour réaliser la New Economic Policy (« Nouvelle politique économique »), et ainsi accroître la capacité de l’État fédéral à générer des richesses. [1]. En amont de toute démarche judiciaire et légale, ou de toute définition de politique économique nationale, les gouvernements des pays producteurs ont ainsi leur mot à dire à propos du rôle que les compagnies productrices vont jouer. Par ailleurs, leur influence n’est pas toujours exercée de manière ostensible. Cela tient au fait que la chaîne de sous-traitance est longue. Ainsi, même si un des états malaisien ou indonésien ne détient aucune part d’un grand groupe, il peut avoir un contrôle partiel sur un des sous-traitants directs de ce même groupe, et ainsi garder une influence pratique sur son activité.

 

Les états producteurs disposent par ailleurs de tout un arsenal de mesures destinées à optimiser le développement de leur industrie et ainsi à assurer la pérennité de leur politique d’intensification de la production d’huile de palme. Cela passe notamment par la promotion d’une région par rapport à une autre par l’établissement de zones franches ou par l’établissement de politiques de taxations favorables.

 

Enfin, le dernier levier politique est bureaucratique : l’état a en effet le dernier mot pour valider ou au contraire refuser tout nouveau projet d’investissement. En d’autres termes, l’ultime décisionnaire n’est autre que l’état, quel que soit les pressions de la part des investisseurs, des compagnies, des travailleurs, des populations indigènes ou des ONG. La lourdeur bureaucratique en elle-même joue ainsi un rôle important, et permet ainsi de filtrer, volontairement ou non, la remontée des informations concernant les problèmes sociaux.

 

S’impose alors la nécessité de maintenir un état d’équilibre, et de répartir à la fois les contraintes économiques, sociales et écologiques qui s’opposent : il s’agit en théorie d’établir un compromis permettant de répondre à un certain nombre des attentes de chaque partie. Mais l’état et par extension tous les niveaux administratifs – qu’ils soient locaux (chef de village), régionaux (district) ou nationaux (gouvernement) ont leur mot à dire, en tant qu’interlocuteur privilégié et/ou décisionnaire, dépassent souvent ce simple rôle d’arbitre, notamment lorsque les interactions sortent du cadre officiel : la frontière est ainsi vague à définir entre d’une part le simple suivi d’une politique nationale conjuguée à la satisfaction d’intérêts publiques, et d’autre part la satisfaction d’intérêts privés qui se trouvent être en partie en accord avec la politique économique de l’état.

 

Des « écarts » sont ainsi très souvent dénoncés, sous plusieurs formes et à plusieurs échelles. La presse laisse ainsi entendre l’existence de pots-de-vin colossaux destinés à faire pencher la balance en faveur de projets représentant plusieurs milliards de dollars d’investissement [2], tandis que les ONG dénoncent une réelle corruption omniprésente à l’échelle.

 

Il faut en effet garder à l’esprit que sur le terrain, les compagnies ne traitent pas avec tous les acteurs, mais « centralisent » la gestion en s’adressant à un interlocuteur privilégié, qui sera souvent le chef du village où résident les travailleurs de la plantation. Ce mode de fonctionnement ouvre la porte à tous les arrangements entre le pouvoir local et la compagnie. Tout ceci s’accommode d’un cadre légal, car le droit indonésien n’est pas clair sur certains points – la propriété est un droit fondamental, mais l’état est libre d’agir comme il le souhaite lorsqu’il s’agit de ses propres ressources, tandis que les villageois et les travailleurs sont souvent en manque de preuves formelles attestant de leur propriété.

 

 

[1] Les cahiers d’Outre-mer n°241-24

[2] Special Reports How Indonesia hurts its climate change project