Opacité des décisions

Les compagnies s’appuient sur les lois foncières

L’achat – ou l’accaparement, suivant les points de vue – de terres est facilité par le système foncier local (que ce soit en Asie du sud-est ou en Afrique), régi par le droit coutumier  : les terres appartiennent à l’Etat qui est libre d’en disposer. Le gouvernement laisse les tribus autochtones vivre et gérer leurs terres jusqu’au moment où le domaine devient intéressant économiquement, par exemple suite à une demande d’achat de la part d’une compagnie. La primatologue E. Grundmann* l’indique en ces termes : le gouvernement reconnaît le droit coutumier « tant qu’il n’a pas défini d’usage pour ces dernières. Ainsi, selon la politique choisie, l’Etat fera valoir son droit  »régalien » et pourra le cas échéant récupérer des terres et les allouer à des plantations. » [1]. Les populations n’ayant aucun droit de possession sur les terres, elles ne peuvent que plier lorsque l’Etat revendique celles-ci.

 

Des arrestations justes ou injustes

Au-delà des lois concernant la propriété foncière, les ONG mettent en lumière les nombreuses arrestations de personnes ayant manifesté contre l’établissement de plantations. Selon elles, il s’agit de museler les protestataires. Ce seraient les compagnies qui feraient appel au gouvernement pour maintenir des accords passés dans l’ombre. Greenpeace* dénonce une collusion : « Les négociations entre les gouvernements africains et les investisseurs manquent souvent de transparence. » [2]. Herakles Farms répond indirectement à ces accusations à l’occasion d’explications sur la manifestation contre son implantation au Cameroun : « Although the company did not have any influence over local law enforcement officials, four villagers were arrested following the incident since Cameroonian law requires a permit to demonstrate, which the group did not have. » (Bien que la compagnie n’ait eu aucune influence sur le renforcement des lois par les officiels locaux, quatre villageois ont été arrêtés après l’incident, parce que la législation camerounaise impose la possession d’un permis pour pouvoir manifester, permis que le groupe de manifestants n’avait pas) [3].
Les agronomes A. Rival* et P. Levang*, auteurs du livre La palme des controverses, déplorent eux aussi les rapprochements hâtifs faits par les ONG. La « justice à deux vitesses » que celles-ci croient dénoncer n’est que le résultat normal des procédures judiciaires. La justice est évidemment plus lente lorsqu’il s’agit d’un dossier complexe concernant les agissements d’une compagnie que lorsqu’il s’agit de traiter le cas de casseurs, puisque casseurs il y a lors des manifestations de protestation « qui se terminent immanquablement par des dégradations de biens publics, des véhicules et des bureaux incendiés. » [4]

 

Les ONG dénoncent l’opacité des décisions gouvernementales

Si ces opérations des compagnies s’appuient sur un cadre légal, les ONG reprochent aux gouvernements et aux compagnies de ne pas tenir compte de toutes les parties prenantes. : « Les populations qui exploitent les terres sont rarement impliquées dans la signature des concessions accordées aux entreprises étrangères pour établir des plantations » [2]. L’ONG humanitaire Survival* se fait quant à elle le porte-parole d’autochtones : « Je suis allé rencontrer les ouvriers la semaine dernière pour leur demander d’arrêter de détruire notre forêt. Ils m’ont répondu : « Il s’agit d’un projet gouvernemental. Si vous vous y opposez, nous vous tuerons. » » leur a confié un Penan (peuple vivant dans la forêt indonésienne) [5]. Sur le site de l’association, on trouve d’autres témoignages :

 

 

Les Amis de la Terre*, dans leur rapport Greasy Palms, relaie un autre témoignage recueilli par le bimensuel Down To Earth* afin de souligner la nécessité de modifier la législation en vigueur : « The main problem is that our land rights are not being recognised. Although the government recognises indigenous peoples’ rights under some regulations or laws, these have never been implemented. [...] Sometimes indigenous communities are forced by the military or the police to give their land to the company. The most important thing is not compensation, but recognition of our rights. Companies have a lot of money to offer indigenous communities as compensation, but they’re never frank about the impact of oil palm plantations. » (Le principal problème est que nos droits fonciers ne sont pas reconnus. Même si le gouvernement reconnaît les droits des peuples via des régulations ou des lois, celles-ci n’ont jamais été appliquées. Parfois, des communautés indigènes sont contraintes par l’armée ou la police de donner leur terre à la compagnie. Le plus important n’est pas la compensation mais la reconnaissance de nos droits. Les compagnies ont beaucoup d’argent à offrir aux communautés indigènes en compensation, mais elles ne sont jamais honnêtes lorsqu’il s’agit de l’impact des plantations de palmier à huile) [6].

 

En savoir plus sur les déplacements de population dus au palmier.

 

En savoir plus sur l’implication des populations locales dans les décisions.

 

 

*Emmanuelle Grundmann : Biologiste, primatologue et naturaliste. Ce sont ses travaux sur l’orang-outan, en Indonésie, qui l’ont d’abord conduite à s’intéresser à la question du palmier à huile.

*Greenpeace : ONG environnementaliste luttant dans des domaines aussi variés que la déforestation, le nucléaire ou la protection des océans, d’abord par l’enquête et la concertation, puis l’alerte au grand public via des actions, souvent médiatiques – et médiatisées – qui visent à faire pression sur les industriels.

*Alain Rival : Agronome, correspondant pour la filière « Palmier à huile » au sein du CIRAD (Centre de coopération Internationale en Recherche Agronomique pour le Développement).

*Patrice Levang : Agronome et économiste, directeur de recherche à l’IRD (Institut de Recherche pour le Développement).

*Survival International : ONG humanitaire visant à la sauvegarde des derniers peuples indigènes de la planète.

*Les Amis de la Terre – Friends of the Earth : ONG environnementaliste cherchant à réparer les dégâts causés par l’homme sur la nature et promouvant en particulier la participation de la société civile dans la prise de décision autour de la gestion des ressources naturelles.

*Down to Earth : magazine indien recensant les menaces liées aux problèmes écologiques dans le monde.

 

 

 

[1] GRUNDMANN E., Un Fléau si Rentable – Vérités et mensonges sur l’huile de palme (2013)

[2] GREENPEACE, La dernière frontière de l’huile de palme en Afrique : Comment l’expansion des plantations industrielles menace les forêts tropicales en Afrique (2012)

[3] HERAKLES FARMS, Herakles Farms Frequently Asked Questions (FAQs) by General Public (2013)

[4] RIVAL A. et LEVANG P., La Palme des Controverses – Palmier à huile et enjeux de développement (2013)

[5] SURVIVAL, Les Penans

[6] WAKKER E. (Les Amis de la Terre), Greasy Palm :The social and economical aspect of large scale oil palm plantation (2005)