Les crédits carbones en compétition avec l’huile de palme

Les profits financiers engrangés par l’industrie de l’huile de palme se sont accompagnés d’une déforestation massive dans les principaux pays producteurs, à savoir l’Indonésie et la Malaisie. Selon Lian P. Koh* [1] en effet : « Conservation scientists have shown that oil palm expansion over the past few decades has led to the destruction of large swaths of tropical rainforest » (Les scientifiques ont montré que l’expansion de l(a culture d)’huile de palme pendant ces dernières décennies a consuit à la destruction de vastes superficies de forêt tropicale).

 

En comptant les émissions de CO2, l’Indonésie est ainsi devenue le troisième plus gros pays émetteur de gaz à effet de serre, juste derrière la Chine et les Etats-Unis. La déforestation, qui n’est pas seulement liée à la production d’huile de palme, mais aussi à la production de café, au développement d’une agriculture de subsistance où à la simple urbanisation du pays, est la cause essentielle de ce classement.

 

“The forest loss led to the emission of 0.41 gigatons of carbon, more than Indonesia’s total industrial emissions produced in a year » [2] (la déforestation représente une émission de 0.41 milliards de tonnes de carbone, soit plus l’émission totale des industries indonésiennes en une année).

 

Ces dernières années, l’accélération de la prise de conscience globale de l’urgence écologique due au réchauffement climatique a conduit à la complexification du réseau des acteurs liés à l’huile de palme. Ainsi, la prise en conscience de l’impact écologique, légitimée entres autres par le protocole de Kyoto et plus par particulièrement par le programme REDD+ – Reducing Emissions from Deforestation and Forest Degradation in Developing countries – des Nations Unies, a conduit à la mise en place d’un marché du carbone, de façon à donner de la valeur financière aux actions écologiquement profitables.

REDD a été proposé initialement en 2003, puis a été sujet à diverses négociations onusiennes sur le climat, notamment la 13e Conférence des Parties (CdP) de 2007 à Bali. Depuis, REDD a évolué et tente de se structurer au fil des conférences. Ce mécanisme a vu le champ de ses activités s’élargir, et est devenu REDD+ lors de la 15e CdP à Copenhague (2009). Il s’intéresse désormais aux problématiques de reboisement, à la gestion forestière et à la conservation des forêts, ce qui marque la prééminence d’un agenda «carbone» sur l’agenda «biodiversité». De même, la mention explicite de la gestion forestière, c’est-à-dire l’exploitation du bois, a conduit plusieurs ONG à rejeter le mécanisme dans sa forme REDD «plus». La 16e CdP, qui a eu lieu à Cancún en 2010, a marqué l’adoption formelle de cette nouvelle version REDD+ dont l’ambition politique est d’impliquer les pays forestiers du Sud dans un mécanisme incitant à réduire la déforestation.

 

Le mécanisme n’est pas encore pleinement fonctionnel – il en est à sa première phase de mise en œuvre -, tandis que les certifications carbones volontaires sont quant à elle opérationnelles.

 

Par conséquent, chaque source de gaz à effet de serre a une valeur attribuée en termes de tonne équivalent CO2 – unité correspondant au coût de l’émission d’une tonne de dioxyde de carbone. Il est possible d’échanger des crédits carbones, donnant le droit A terme, l’objectif est de donner une productivité financière à une forêt vierge supérieure à celle d’une plantation de surface équivalente.

Ce système a conduit à l’arrivée de nouveaux acteurs qui n’ont a priori aucun lien directe avec l’industrie de l’huile de palme, comme des investisseurs indépendants ou des géants industriels soucieux d’obtenir des permis d’émissions, et de nouveau modes d’interactions, notamment entre ces investisseurs et l’état.

 

En savoir plus (liens externes) :

La compensation carbone

Projet Rima Raya

 

Malgré tout, le système des crédits carbones n’est que partiellement fonctionnel, puisqu’il se heurte à deux obstacles majeurs : d’une part, il est presque toujours plus rentable sur le moyen et le long terme d’investir dans une plantation que d’investir dans les crédits carbones. Par ailleurs, les pays producteurs tendent à faciliter les investissements sur les plantations. C’est ce que montre l’étude de cas réalisée dans l’article Special report [3]: In July 2010, U.S. investor Todd Lemons and Russian energy giant Gazprom believed they were just weeks from winning final approval for a landmark forest preservation project in Indonesia. A year later, the project is close to collapse, a casualty of labyrinthine Indonesian bureaucracy, opaque laws and a secretive palm oil company.” (En juillet 2012, l’investisseur américain Todd Lemons et le géant russe de l’énergie Gazprom pensaient qu’ils n’étaient qu’à quelques semaines d’obtenir l’accord final pour un projet capital concernant la préservation de la forêt en Indonésie. Un an plus tard, le projet est presque abandonné, une victime de la labyrinthique bureaucratie indonésienne, des lois opaques et d’un marché peu transparent de l’huile de palme).

 

 

*L. P. Koh : Maître de conférences associé à la Chaire Applied Ecology and Conservation (Ecologie Appliquée et Conservation) de l’Environmental Institute et de la School of Earth and Environmental Sciences (Australie).

 

[1] KOH L. P. & BUTTLER R.A., Can REDD make natural forests competitive with oil Palm (2010)

[2] HANCE J., 90 percent of oil palm plantations came at expense of forest in Kalimantan (2012)

[3] FOGARTY D., Special Report: How Indonesia hurt its climate change project, Reuters, Singapore (2011)