Import d’engrais organique

Forme organique, forme minérale : qu’est-ce que c’est ?

L’azote sous forme de nitrates nécessaire à la croissance de la plante peut être apporté sous différentes formes. En plus des nitrates naturellement présents dans le sol, il peut être apporté sous forme minérale avec des engrais chimiques. L’azote est alors disponible immédiatement ou presque pour la plante. Philippe Martin explique : « la forme la plus classique de l’azote dans les engrais c’est l’ammo-nitrates. Une partie qui est directement assimilable et une autre – l’ammonium – se transforme en nitrates grâce à des micro-organismes ». Cependant, une grosse partie de l’azote épandu par un agriculteur est apportée sous forme organique, c’est-à-dire qui vient d’organismes vivants – résidus de précédentes cultures, et surtout effluents d’élevage, qui représentent 90% des apports d’azote sous forme organique selon Philippe Eveillard. D’après Philippe Jannot, les effluents d’élevage représentent deux tiers des apports d’azote totaux pour les éleveurs ; il s’agit donc d’une part très importante de la fertilisation azotée.

La difficile gestion des engrais sous forme organique

800px-Cycle_azote_fr.svgCycle de l’azote. Source : fr.wikipédia.org

Lorsque l’azote est apporté sous forme organique, il n’est pas disponible immédiatement sous forme de nitrates pour la plante. En effet, des bactéries se chargent de décomposer le corps azoté sous forme organique en ammoniaque, de formule chimique NH4+. Ce processus est nommé ammonification : l’azote est alors sous forme minérale. Ensuite, d’autres bactéries réalisent la nitrification, qui transforme l’ammoniaque en nitrites (NO2-), puis finalement en nitrates, de formule chimique NO3-. Ce n’est qu’à ce moment là que l’azote est disponible pour la plante. Or, le processus de minéralisation puis de nitrification n’est pas instantané, et surtout, il n’a pas une durée déterminée car celle-ci dépend de l’état du sol. Ainsi, les engrais sous forme organique sont nettement plus difficiles à gérer dans le calcul du bilan azoté d’une parcelle que les engrais sous forme minérale : l’agriculteur ne sait pas quand l’azote va être disponible pour sa culture. Avant la mise en application de la directive « nitrates », les agriculteurs ne se préoccupaient pas de ce calcul. Philippe Jannot l’affirme : « dans les années 1980, quand la directive a été négociée, il y avait un problème majeur sur la gestion des effluents d’élevage : ils étaient extrêmement mal gérés. Et pour résumer, un agriculteur ne tenait pas compte de l’azote apporté pas les effluents d’élevage quand il devait calculer l’azote minéral qu’il devait apporter ». Cependant, avec toute la législation maintenant en vigueur, les agriculteurs ne peuvent plus simplement ignorer l’apport en azote des effluents d’élevage : le plafond des 170 kg/ha/an d’azote issu d’effluents d’élevage limite spécifiquement ce type de fertilisant azoté. Cette mesure peut sembler contre-productive, car elle touche les éleveurs et leurs engrais naturels, et non l’agriculture intensive qui utilise beaucou d’engrais chimiques. Cependant, les effluents d’élevage, malgré leur origine naturelle, sont plus susceptibles d’être lessivés dans les eaux, notamment lorsque l’azote devient disponible sous forme de nitrates à une période où les plantes n’en ont pas besoin (par exemple en période d’inter-culture). Ils sont donc particulièrement nocifs pour la qualité des eaux.

Le stockage des effluents d’élevage, une épine dans le pied de la France et des agriculteurs

Contrairement aux engrais chimiques, les effluents d’élevage sont obtenus par l’agriculteur lui-même, qui doit donc les stocker s’il ne les épand pas immédiatement. Les calendriers d’épandage des programmes d’action régionaux interdisent à l’agriculteur d’épandre des fertilisants à certaines périodes [1]: lors de ces périodes, il est donc dans l’obligation de les stocker pour pouvoir les épandre quand il en a le droit. C’est pourquoi le programme d’action national en vigueur impose pour les éleveurs d’avoir des capacités minimales de stockage des effluents d’élevage. Cette mesure se trouve même dans la directive « nitrates » elle-même : les agriculteurs doivent pouvoir stocker tous les effluents d’élevage produits pendant la plus longue période d’interdiction d’épandage de leur calendrier [2]. Les modalités exactes du dimensionnement des cuves de stockage sont définies dans le programme d’action national, sur la base du DEXEL. Or, ces cuves de stockage constituent un coût supplémentaire pour l’agriculteur, d’autant plus qu’elles ne lui apportent aucun bénéfice agricole. Néanmoins, la France n’est pas en mesure de faire des concessions sur ce point. En effet, l’insuffisance des capacités de stockage des effluents d’élevage est l’un des griefs de la Commission Européenne encore retenus aujourd’hui contre la France dans le contentieux qui les oppose actuellement sur la mauvaise application de la directive « nitrates » par la France [3]. Celle-ci avait pourtant augmenté ces capacités de stockage minimales lors du passage au 5ème programme d’action en 2013, ce qui avait déjà mis les agriculteurs sous pression. En effet, ces derniers mettent plusieurs années à se mettre aux normes sur les capacités de stockage : les changements de législation leur demandent beaucoup de temps et d’argent. La France se retrouve donc, comme souvent, tiraillée entre les exigences de la Commission Européenne et les protestations de la profession agricole.

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Références

[1] Arrêté du 19 décembre 2011 relatif au programme d’actions national à mettre en œuvre dans les zones vulnérables afin de réduire la pollution des eaux par les nitrates d’origine agricole. Lien internet : http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000025001662&dateTexte=&categorieLien=id

[2] Directive n° 91/676/CEE du 12/12/91 concernant la protection des eaux contre la pollution par les nitrates à partir de sources agricoles. Lien internet : http://www.ineris.fr/aida/consultation_document/1053

[3] « La directive nitrates pour protéger l’eau des nitrates agricoles », présentation pour FNE de Emma Dousset et Philippe Jannot, 11 avril 2014