Entretiens effectués

Lors de notre étude de la polémique portant sur les œuvres orphelines, nous avons eu plusieurs entretiens pour mieux cerner les tenants et aboutissants de cette question. Nous tenons à remercier les personnes qui nous ont reçues pour le temps qu’ils ont bien voulu nous accorder.

Les différentes personnes rencontrées :

Arnaud Beaufort : Directeur des Services et des Réseaux de la BnF.

Françoise Bourdon : Directrice adjointe au département Information Bibliograhique et Numérique.

Harold Codant : Directeur adjoint au Département des Affaires Juridiques de la BnF.

Bernard Lang : Directeur de recherche à l’INRIA, ancien membre du Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique.

Florence-Marie Piriou : Sous-directrice de la SOFIA, Société Française des Intérêts des Auteurs de l’écrit.

Nous avons été orientés relativement intuitivement vers ces différentes personnes. Il paraissait essentiel de rencontrer des membres de la BnF puisque la BnF est gestionnaire de la base ReLIRE sur laquelle se fonde la loi du 1er mars 2012. De plus, c’est la bibliothèque française qui centralise le plus de données, d’où l’intérêt de connaître leur position vis à vis des œuvres orphelines et indisponibles. De même, la SOFIA s’est révélée omniprésente dans la gestion collective des livres indisponibles, il était donc intéressant de recueillir sa position à travers sa sous-directrice Mme Piriou. Enfin, Bernard Lang nous est apparu aux travers nos recherches documentaires comme un acteur essentiel de cette controverse : il a écrit de nombreux articles sur la question et le fait qu’il ait été membre du Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique permettait d’avoir un point de vue différents de celui d’institutions privées ou de structure comme la BnF.

 Extraits des entretiens

Bernard Lang

« Quand vous recherchez quelque chose, si vous le trouvez, vous avez la preuve qu’il existe. Sinon, vous n’avez pas non plus de preuve qu’il n’aurait pas pu être trouvé. Les recherches sérieuses et avérées que souhaitaient faire ces gens-là sont de la même nature. Elles peuvent prendre un temps arbitrairement long. On peut prouver qu’un auteur est accessible en trouvant l’accès, on ne peut pas prouver qu’il est inaccessible. Prouver qu’une œuvre est orpheline est donc a priori quelque chose qui n’a pas de sens. »

« L’intérêt public c’est que le patrimoine soit entretenu, que ce qui a été créé soit préservé pour pouvoir encore servir. Dans la mesure où le propriétaire légitime ne s’en occupe pas, il est bon que d’autres s’en occupent. »

« Il faut voir que cette loi pour les œuvres indisponibles est une loi qui autorise les éditeurs, et les éditeurs seulement, à exploiter des œuvres non exploitées du XXème siècle. Alors que si elles ne sont plus exploitées, le premier fautif est l’éditeur qui a tous les droits d’exploitation sur papier. »

« Lorsqu’un éditeur n’exploite plus une œuvre, elle devrait retourner à son auteur. Hors d’après la loi, il faut que l’auteur demande à récupérer ses droits. La plupart des auteurs ne le font pas, ils n’ont pas envie de se battre : il faut qu’ils fournissent la preuve que l’éditeur ne fait rien, et le livre souvent ne se vend plus et est donc abandonné. »

« Qui porte un jugement sur ce qu’est une valeur patrimoniale ? Moi, je ne m’y risquerai pas. Ce que je sais, c’est que lorsque cette loi a été discuté, il y a eu des amendements [qui ont été refusés] proposés pour que le droit d’exploiter les œuvres ne se limitent pas aux œuvres qui ont été exploitées commercialement mais concernent toutes les œuvres, éventuellement pour une exploitation numérique dans les mêmes conditions que l’auraient été l’exploitation papier. [...] Il y a eu des amendements pour dire : puisqu’on veut rendre le patrimoine disponible, faisons-le pour l’intégralité du patrimoine et non pas seulement pour ce qui est commercial. »

« J’ai regardé le nombre d’œuvres indisponibles du XXème siècle : c’est évalué entre 500 000 et 700 000 œuvres. Le nombre d’œuvres actuellement sur le marché est de 500 000 œuvres. Donc si on met ces œuvres indisponibles sur le marché, le marché de l’édition en prendra un coup. On double la quantité d’œuvres. »

« La question c’est qu’est-ce que sera un éditeur dans 20 ou 30 ans ? Quel rôle va-t-il jouer ? Tout cela n’a rien à voir avec ce que l’on a connu jusqu’alors. »

« Il y a deux choses dans un système de droit : il y a le fait d’avoir le droit et le fait de faire respecter le droit. [...] Le droit d’auteur est un droit de propriété sur l’exploitation d’une œuvre mais si personne ne le fait respecter, c’est comme si vous ne l’aviez pas. Lorsque la Convention de Berne dit que vous avez des droits sur une œuvre dès que vous l’avez créée, ça ne vous a pas apporté grand-chose. [...] . En admettant les États-Unis dans la Convention de Berne, l’article 5.2 de la convention perd son sens et devient vide de son contenu. »

« Il faut que puissent exploiter l’œuvre les gens qui la feront vivre. »

Florence-Marie Piriou

« Parfois les auteurs ne veulent pas que certains de leurs textes soient publiés mais que ceux-ci fassent partie de leurs archives. Ils ne le contrôlent pas, sauf s’ils l’ont précisé dans leur prescription testamentaire. On protège le droit moral des auteurs en ne visant que les « œuvres divulguées ». Sinon on risque de publier des documents inédits, des archives : des photos de familles, des manuscrits, des lettres, des correspondances… La publication peut devenir une atteinte à la vie privée rapidement. »

« Nous n’avons pas porté atteinte aux droits de propriétés, nous avons exercé un droit de propriété d’auteurs qui peuvent avoir eu connaissance du dispositif [ReLIRE] ou non, mais qui peuvent dans tous les cas se retirer et avoir une indemnité. »

« La société des gens de lettre en France a souhaité avoir un registre. Elle voudrait bien que les notaires communiquent à chaque fois qu’un auteur est mort les coordonnées des héritiers et que ce soit rendu obligatoire. On dit que le droit d’auteur est automatique. Aujourd’hui, on est au XXIème siècle, on enregistre, on identifie les choses. »

« Lorsque vous étudiez la directive européenne, vous vous rendez compte que ce n’est pas une atteinte aux droits de propriétés, c’est une négation de celui-ci puisque, après quelques recherches, vous avez le droit de numériser l’œuvre considérée orpheline. Il n’y a pas de garde-fous. La gestion collective permet de préserver, de mutualiser les droits de façon à permettre qu’il y ait un titulaire qui soit identifié. »