Historique juridique / Quantification

Il existe un statut juridique pour les œuvres orphelines au Canada depuis 1985, l’existence de telles œuvres n’est évidemment pas un problème nouveau, mais ce problème était à une échelle très restreinte avant l’avènement de l’ère numérique. La mention « DR » était de rigueur, malgré ses insuffisances légales.

Historique juridique :

  • Décembre 2004 : Lancement de Google Books (naissance en 2003 du projet)
  • Dès 2005 : Les sénateurs américains se saisissent de la question.
  • Septembre 2005 : premières plaintes aux USA contre Google.
  • Janvier 2006 : Diffusion d’un rapport aux USA : « REPORT ON ORPHAN WORKS ». Le terme « œuvres orphelines » est donc présent dès ce rapport.
  • Début 2006 : début de la controverse en Europe : plainte contre Google. Début de réflexion sur les « œuvres orphelines ».
  • En 2008 en France : Rapport « Commission sur les œuvres orphelines » du Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique (CSPLA).
  •  Octobre 2008 : “A Bill to provide a limitation on judicial remedies in copyright infringement cases involving orphan works.” Projet de loi pour un système « qui supprimait toute pénalité prévue en cas de non-respect du copyright, quand l’auteur ou les ayants droit de l’œuvre, présumés introuvables après une recherche diligente effectuée par l’opérateur, venaient à revendiquer leurs droits. », selon F-M Piriou. Ce projet de loi a été dans un premier temps adopté puis abandonné. La question de l’abandon reste en suspens : manque de volonté politique (élections), ou autres.
  • 28 Octobre 2008 : Accord (class action) entre Google et les éditeurs américains, accord qui sera rejeté par le juge Chin le 22 mars 2011. Cet accord introduit le système « d’opt out », qui est assez semblable à la loi sur les livres indisponibles votée ultérieurement en France.
  • Dès 2011 : Proposition de directive européenne « sur certaines utilisations autorisées des œuvres orphelines ». Introduction d’une exception juridique au droit d’auteur pour permettre l’exploitation à des fins publiques des œuvres orphelines. Création de la base ARROW, registre d’œuvres orphelines.
  • 1er mars 2012 : En réaction à Google et à cette directive, vote de la loi en France « relative à l’exploitation numérique des livres indisponibles du XXe siècle », qui instaure la base ReLire et le système de gestion collective pour le livre « orphelin et indisponible ».
  •  25 Octobre 2012 : Directive du Parlement européen et du Conseil de l’UE sur certaines utilisations autorisées des œuvres orphelines. Le statut d’œuvres orphelines y trouve une définition, ainsi que le champ d’application. Instauration d’une exception juridique au droit d’auteur : une œuvre qui entre dans la classification après « des recherches avérées et sérieuses » pourra être utilisées sous certaines conditions (but non lucratif). Cette directive comporte une clause stipulant qu’elle ne doit pas modifier le droit existant sur ces œuvres (clause ayant une portée significative en France).
  •  28 février 2014 : rejet de la question prioritaire de constitutionnalité portant sur la loi sur les livres indisponibles, sous le motif qu’elle portait une atteinte grave au droit d’auteur, par le conseil constitutionnel. La décision est motivée par l’intérêt public de cette loi.

Ces temps juridiques correspondent-ils à l’exposition de la controverse dans les différents médias et dans les publications ?

Pour répondre à cette question, nous avons recherché l’évolution temporelle des recherches de certains mots-clés dans des bases de données telles que Europresse, Google Scholar etc.

Dans la base de données Europresse, l’équation de recherche « oeuvres orphelines » dans « Titre » renvoie les résultats les plus intéressants. Les articles s’étalent essentiellement de 2008 à 2012. En anglais, l’équation de recherche « orphan work » donne plus de résultats entre 2006 et 2008 que celle en français, on retrouve là un parallèle avec la chronologie juridique (thématique plus vieille aux Etats-Unis). Le pluriel « orphan works » est plus appropriée pour effectuer des recherches que le singulier « orphan work » : la première est en bleu dans ce graphe Google trends, tandis que la seconde est en rouge.

 Image 1 histo

Les résultats d’équations de recherche en français et en anglais dans Google Scholar suivent des chronologies proches, à ceci près que la forte augmentation du nombre de publication sur le sujet a lieu près d’un an plus tôt dans le monde anglophone : il semble donc que les Etats-Unis ou le Royaume Uni aient initié la publication des travaux recensés par Google Scholar.

 Image 2 histo

Il est cependant possible que les variations observées sur ces graphiques soient en réalité dues à des phénomènes plus corrélés au mode de publication qu’au sujet même des œuvres orphelines ; la croissance globale du nombre de documents référencés par Google Scholar peut être par exemple causée par le développement de l’Open Access. La surprenante décroissance entre 2012 et 2013 peut également s’expliquer si le référencement est différé.

Afin de savoir si ces biais sont à considérer, nous avons réalisé la même étude sur un tout autre sujet de recherche, dont la quantité des publications est peu susceptible de varier rapidement, le génome. Si le domaine concerné n’est pas le même, nous pouvons toutefois remarquer que le nombre des résultats correspondant sur Google Scholar à la requête « génome » décroit légèrement sans chuter en 2013, démentant les hypothèses évoquées ci-dessus :

 Image 3 histo

Nous pouvons donc accorder plus de crédit à l’idée selon laquelle les variations de la courbe « œuvres orphelines » traduisent des évolutions propres à la controverse que l’on étudie.

Synthèse des résultats par base de données :

Google Scholar :

La grande majorité des documents recensés est constituée de commentaires d’universitaires portant sur les solutions à apporter aux problèmes des œuvres orphelines.

Ainsi, parmi les 11 résultats (consultés le 17 janvier) datés de 2014, 8 sont ou des thèses ou des articles publiés par des universitaires dans des revues juridiques ou d’informatique (les trois autres étant des bibliographies). Ils émanent principalement des Etats-Unis, mais aussi du Royaume-Uni, du Danemark, du Japon et de Chine, où la controverse commence à émerger.

La recherche « orphan works » retourne 2220 résultats :

  • 22 datés avant 2000
  • 241 entre 2000 et 2006
  • 979 entre 2007 et 2010
  • 975 entre 2011 et 2014.

Les documents sont alors essentiellement en provenance des Etats-Unis ou  de l’Europe.

La recherche « œuvres orphelines » retourne 104 résultats :

  • 92 postérieurs à 2007.

Science Direct :

Les résultats correspondant à la recherche « orphan works » varient temporellement comme suit :

Image4

Les premiers articles, de 2006 et 2007, analysent le fonctionnement des grands acteurs de l’internet, en particulier Google. A partir de 2008 sont écrits des articles spécifiquement sur le projet de numérisation de livres par Google, et en 2010 débute vraiment l’étude des moyens légaux de s’attaquer aux problèmes des œuvres orphelines. Depuis 2012, l’intérêt porté au sujet semble décroître, le nombre des publications allant dans ce sens.

La quasi-totalité de ces articles est publiée dans des revues juridiques – on y retrouve d’ailleurs une partie des documents référencés par Google Scholar – le reste provenant de revues à destination des photographes. Les seules perspectives européenne et américaine semblent considérées.

Cairn, Dalloz, LexisNexis JurisClasseur :

Les bases Cairn(surtout des articles de presses spécialisées), Dalloz et LexisNexis JurisClasseur fournissent majoritairement des articles commentant la juridiction sur les œuvres orphelines.

Analyse de cette évolution :

Cette analyse traduit donc une évolution de la controverse : les œuvres orphelines sont au cœur du débat de 2006 à 2010, puis la question des livres indisponibles gagne du terrain dans le débat jusqu’à devenir aujourd’hui le cœur du débat ce qui montre une évolution claire dans l’approche des œuvres orphelines. Les acteurs que nous avons pu rencontrer ont tous débutés en nous demandant si nous nous intéressions aux œuvres indisponibles ou aux œuvres orphelines. Cette question est, dans le cas du livre, ce qui anime aujourd’hui en grande partie le débat notamment juridique. Ceci se retrouve dans l’historique qui voit en 2014 une question de constitutionnalité portant non pas sur les œuvres orphelines mais sur les livres indisponibles.