Les mécanismes de la dette

  1. Les instruments de financement, les moyens de se refinancer
  2. Une dette perpétuelle
  3. La souveraineté

 

1. Les instruments de financement, les moyens de se refinancer

 

L’endettement est un mécanisme complexe qui soulève de nombreuses questions sur sa légitimité. C’est un processus qui est aujourd’hui utilisé par de nombreux pays pour se financer et investir.

Recevoir un prêt permet de disposer d’un moyen de paiement pour financer les dépenses publiques. C’est pourquoi les États s’endettent sur les marchés auprès des investisseurs. La principale partie de la dette est dite négociable, c’est-à-dire que l’État peut s’endetter grâce à des produits financiers échangeables sur les marchés, comme des obligations et des bons du Trésor. L’Agence France Trésor1 est chargée de gérer la dette de l’Etat français. Anciennement le Trésor se finançait auprès de son réseau d’investisseurs appelé le « circuit du Trésor2 » en fixant elle-même ses taux d’intérêts.

Les titres que l’État émet sont appréciés pour leur facilité d’accès (liquidité) et leur sécurité (ils sont peu risqués). Les trois principaux titres financiers sont :

  • les obligations assimilables du Trésor (OAT). Leur maturité varie entre deux et cinq ans et leur taux est fixe.
  • les bons du Trésor à intérêt annuel (BTAN) dont la maturité varie entre deux et cinq ans. Ces derniers représentent l’endettement à moyen terme de l’État.
  • les bons du Trésor à taux fixe et intérêts précomptés (BTF). Ceux-ci ont une maturité de moins d’un an et permettent de diminuer les fluctuations à court terme de la trésorerie de l’État.

Il existe par ailleurs un autre levier permettant de modifier la structure de la dette. L’État peut en effet signer des contrats d’échange de taux d’intérêt, appelés swaps. Ces derniers permettent de modifier la durée de vie moyenne des engagements de l’État. Par exemple, l’État peut allonger la durée de remboursement et choisir de rembourser à taux variable plutôt qu’à taux fixe.

Nous retrouvons donc la structure de l’encours de la dette négociable depuis 2011 dans le tableau suivant. Nous pouvons remarquer que la dette négociable est en majeure partie une dette de moyen et long terme d’environ 7 ans. De plus, on remarque que les swaps permettent de restructurer la dette ainsi que sa longévité, en la réduisant de quelques jours. Comme expliqué précédemment les obligations à court terme servent seulement à réduire les petites fluctuations de la trésorerie de l’État.

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Le problème majeur est de retrouver la confiance des investisseurs tout en relançant l’économie. Cependant, de nombreux acteurs et de nombreux points de vu s’opposent.

Nous pouvons distinguer deux grands axes de pensée : pour certains économistes, comme Henry Sterdyniak, il est important de continuer à s’endetter pour relancer l’économie. En effet, je cite3 : « une politique de restriction budgétaire se traduirait par une chute de la production et une baisse des recettes fiscales, donc une dégradation du ratio d’endettement sans pour autant rassurer les marchés ». Tandis que d’autres acteurs considèrent qu’il faut se conformer aux directives européennes et réduire le montant de la dette publique, ce qui rétablira la confiance des marchés et permettra la relance. Ce schéma est pour l’instant utilisé dans de nombreux pays de l’Union Européenne, comme par exemple l’Espagne qui a adopté une politique d’austérité depuis quelques années. Après avoir mis en place des mesures de restriction budgétaire, l’économie semble repartir4 et la confiance des acteurs revenir. Cette dernière thèse semble être à court terme une solution viable5. Cependant pour des perspectives de long terme ces pays semblent moins compétitifs du fait de l’austérité. Ce qui est problématique lorsque l’on fait parti d’une union monétaire, en effet l’Espagne ne sera pas capable de dévaluer sa monnaie pour redevenir compétitif en restant dans la zone euro.

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2. Une dette perpétuelle

 

Afin de se financer, l’État va émettre des titres sur les marchés financiers. Ces titres sont achetés par des acteurs du marché tels que des banques, des fonds de pension ou encore des sociétés de crédit, originaires de France et du monde entier. Ces prêteurs demandent en contrepartie des intérêts à taux fixe ou variable. En 2014, 64,3% de la dette française négociable est détenue par des non-résidents6. Lors de l’émission des titres l’État peut en effet décider de vendre à des investisseurs étrangers ou nationaux. Dans le monde, on distingue ainsi des pays comme la France qui ont une dette « internationale » et des pays comme le Japon qui ont une dette « nationale » détenue en majorité par les résidents.

En France en 2011, la charge de la dette représentait 2,5% du PIB alors que la dette s’élevait à 84% du PIB. Soit un taux d’intérêt moyen sur la dette de 3% qui se trouve être nettement en dessous du taux de croissance nominal. La dette n’a pas de véritable cout tant que le taux d’intérêt est inférieur au taux de croissance. Cependant si le taux de croissance devient inférieur au taux d’intérêt, cela devient problématique.

Nous retrouvons dans les deux tableaux ci dessous la charge de la dette dite négociable. Avec notamment les montants des intérêts versés pour chacun des volumes d’obligations.

http://www.aft.gouv.fr/documents/%7BC3BAF1F0-F068-4305-821D-B8B2BF4F9AF6%7D/publication/attachments/11392.pdf

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http://www.aft.gouv.fr/documents/%7BC3BAF1F0-F068-4305-821D-B8B2BF4F9AF6%7D/publication/attachments/11392.pdf

 

Hypothétiquement, le processus d’endettement public est perpétuel : l’État va « toujours » rembourser ses obligations en se refinançant sur les marchés et donc en s’endettant à nouveau. L’accumulation des intérêts que l’État doit rembourser vient s’ajouter à son passif dans le calcul de la dette . Tant que l’État peut prouver qu’il est capable d’honorer les engagements qu’il a contractés, il peut continuer de se financer sur les marchés à des taux d’intérêt raisonnables. C’est pourquoi on parle d’une dette publique perpétuelle.

En effet, tant que les prêteurs lui font confiance, l’État pourra émettre de la dette7. Au contraire, si les investisseurs perdent confiance, l’État aura alors beaucoup plus de mal à vendre ses titres, à se financer sur les marchés. C’est ce qui est notamment arrivé à des pays comme la Grèce ou l’Argentine.

On voit apparaître la faiblesse du système de financement public sur les marchés privés : les taux d’intérêts sont fixés par des investisseurs dont l’État ne peut garantir la confiance. L’État n’est pas maître du prix qu’il paie pour se financer. Si ces investisseurs perdent confiance en la qualité des titres de dette qu’ils achètent, les taux d’intérêts s’envoleront et l’État ne pourra plus se financer raisonnablement sur les marchés. Il ne pourra dès lors rembourser ni les intérêts de la dette qu’il a contracté, ni cette dette puisque l’argent emprunté a été dépensé par les politiques publiques menées par l’État. Le processus de dette perpétuel est alors stoppé net. L’État se retrouve en défaut de paiement. Ce défaut de paiement pourrait avoir des conséquences dramatiques, notamment en ce qui concerne la crédibilité économique de cet État.

L’économie d’un pays peut-elle alors reposer sur un système dont l’État ne peut garantir la stabilité ?

Aujourd’hui on compte quelques entités qui ont fait faillite ou qui sont dans une situation critique. Par exemple, la ville de Detroit s’est déclarée en faillite en 2013, à cause d’une dette de 18,5 milliards de dollars8. Les investisseurs ont alors perdu leur argent sans aucun moyen de recours.

Se pose dès lors un problème éthique. En effet si un pays comme la Grèce était amené à se déclarer en faillite, de très nombreux investisseurs se verraient privés de leurs investissements et n’auraient aucun moyen de recouvrir leurs pertes. Aujourd’hui, l’État grec tente de vendre de nombreuses possessions étatiques pour recouvrir ses dettes9 : l’aéroport international d’Athènes, des bâtiments publics, des îles grecques, etc. Le financement sur les marchés est donc un système à utiliser avec précaution lorsque les pays ne sont pas capables, en cas de défaut, de compenser les pertes avec un patrimoine suffisant. Cependant, nous pouvons considérer une autre configuration, plus rationnelle à l’époque actuelle. Des institutions internationales telles que la Banque Centrale Européenne (BCE) ou encore le Fonds Monétaire International10 (FMI) chargées d’assurer la stabilité financière des États et la gestion des crises monétaires et financières permettent d’apporter aux États soutenus par ces institutions une garantie supplémentaire sur la solvabilité de leur dette.

Il faut enfin prendre en considération le fait que la dette publique des pays de l’Union Européenne est soumise au traité de Maastricht11 qui limite la dette brute à 60% du PIB. Cela permet d’empêcher le refinancement déraisonnable d’États qui auraient une politique monétaire trop expansionniste. C’est également un gage de qualité envers les autres pays membres de l’Union Européenne.

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3. La souveraineté

 

La notion de dette souveraine soulève de nombreuses problématiques, notamment sur les questions de refinancement. Est-il plus intéressant pour un État d’avoir une dette souveraine (c’est-à-dire détenue en majorité par des investisseurs résidant dans l’État en question) ou une dette « internationale » ? L’agence France Trésor statue selon les décisions politiques prises par le gouvernement de vendre sa dette à des investisseurs résidents ou non. De nombreux pays tels que la France, l’Allemagne ou encore les États-Unis, s’endettent auprès d’investisseurs internationaux. D’autres comme le Japon préfèrent au contraire que les investisseurs soient dits résidents. La collecte de l’épargne est alors cantonnée à la nation12.

Comme vous pouvez le voir sur ce graphique, la France possède une dette qui est détenue à hauteur de 64% par des non-résidents.

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Détention par les non-résidents des titres de la dette négociable de la France au quatrième trimestre 2014. En % de la dette négociable

 

On peut se demander à ce sujet comment l’épargne d’un pays est gérée. Quelles sont les institutions qui collectent l’épargne ? Ces institutions sont-elles privées ou détenues par des investisseurs internationaux ? Aujourd’hui en France, la collecte de l’épargne est majoritairement privée. La caisse des dépôts est le dernier acteur public de collecte de l’épargne. Elle permet aux Français de souscrir à un livret A dont le taux est fixé par la banque de France13. Les pays inscrits dans une union monétaire n’ont pas de réel besoin d’avoir une dette nationale car ils sont soutenus par une institution commune telle que la BCE en Europe14. Je cite : « La France n’a aucun problème parce que les marchés lui prêtent, on ne devrait avoir aucun problème parce que la BCE nous garantit notre dette publique. » H. Sterdyniak.

Selon Jacques Magniez, l’intérêt d’avoir une dette souveraine n’est pas évident. Il semblerait cependant que la souveraineté soit un atout dans le maniement de la dette. En effet, il suffirait dans le cas d’une dette souveraine d’augmenter les impôts pour renflouer les « caisses », c’est à dire de demander aux citoyens de rembourser la dette. La dette est souvent associée à un État mais elle peut-être considérée comme individuelle. Si l’État ne demandera jamais à chaque citoyen de rembourser un montant particulier, il peut tout de même agir au niveau de cette dette individuelle en faisant varier sa politique et en augmentant les taxes. Alors que pour d’autres économistes, comme Henry Sterdyniak, le problème est que la Banque Centrale ne garantie pas la dette publique. Ce qui permet aux marchés de savoir qu’ils couvrent un risque de taux d’intérêt mais pas un risque de faillite. Ce qui a pour conséquence d’inciter les investisseurs à acheter de la dette qui sera « garantie » au détriment d’une autre dette.

L’État considère cependant qu’une dette bien gérée est constituée de prêteurs divers, au sens internationaux. La France n’a ainsi pas de réel besoin de nationaliser sa dette. Il faut donc savoir manœuvrer entre investisseurs nationaux et étrangers. Les premiers permettent d’accréditer tandis que les seconds permettent d’augmenter le volume de la dette plus facilement.

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  1. site de l’Agence France Trésor : http://www.aft.gouv.fr
  2. Benjamin Lemoine. « Les valeurs de la dette. L’État à l’épreuve de la dette publique. »  École Nationale Supérieure des Mines de Paris, 2011.
  3. « Réduire la dette publique, une priorité ? » La vie des idées : http://www.laviedesidees.fr/Reduire-la-dette-publique-une.html
  4. http://donnees.banquemondiale.org/indicateur/NY.GDP.MKTP.KD.ZG
  5. « L’Espagne apporte la preuve que la politique d’austérité fonctionne » Les Echos : http://www.lesechos.fr/20/11/2014/lesechos.fr/0203954545760_cristobal-montoro—–l-espagne-apporte-la-preuve-que-la-politique-d-austerite-fonctionne–.htm
  6. http://www.aft.gouv.fr/rubriques/qui-detient-la-dette-de-l-etat-_163.html
  7. entretien J. Magniez
  8. http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2013/07/18/la-ville-americaine-de-detroit-se-declare-en-faillite_3449873_3222.html
  9. http://www.hradf.com/en/portfolio
  10. http://www.imf.org/external/np/exr/facts/fre/survf.htm
  11. http://www.insee.fr/fr/methodes/default.asp?page=definitions/dette-sens-maastricht.htm
  12. entretien J. Magniez
  13. entretien B. Lemoine
  14. entretien H. Sterdyniak