Essais Cliniques

Un risque ou une chance ?

Définition et organisation des essais cliniques


• Qu’est-ce qu’un essai clinique ?

Il est difficile d’établir, à partir des différents discours scientifiques actuels, une définition unique et universelle d’un essai clinique, vu que la définition ne peut presque jamais se dissocier de la finalité de l’essai et des modèles statistique et thérapeutique adoptés pour le mettre en place. Cependant, on peut retrouver dans la diversité des approches et des avis, une sorte de principe général qui constituerait une définition toujours valable d’un essai clinique.

Un essai clinique ou essai thérapeutique est toute étude scientifique réalisée en thérapeutique médicale afin d’évaluer la sécurité et l’efficacité de l’emploi d’une méthode diagnostique, d’un protocole ou d’un médicament. Cette étude biomédicale est menée auprès d’individus volontaires sains ou malades selon le cas, après avoir réussi la phase préclinique qui évalue la sécurité du médicament en l’administrant à l’animal et en déduit la pertinence de la phase clinique, et nécessite pour ce faire l’accord des autorités de santé et des comités d’éthique qui régulent la recherche biomédicale. La définition de l’ANSM, gestionnaire et régulateur des essais en France, inclut également les études visant à établir ou vérifier des données pharmacocinétiques (modalités de l'absorption, de la distribution, du métabolisme et de l'excrétion du médicament), pharmacodynamiques (mécanisme d'action du médicament) d'un nouveau médicament ou d'une nouvelle façon d'utiliser un traitement connu.

L’objectif principal est en général d’étendre la connaissance scientifique de l’être humain et les moyens susceptibles d’améliorer sa condition. Quand il s’agit d’un nouveau médicament ou d’une nouvelle molécule, une Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) leur est accordée quand les essais prouvent l’efficacité du médicament.

Une des caractéristiques cruciales à la rigueur d’une telle étude est son caractère prospectif qui, selon le Comité International des Rédacteurs de Revues Médicales, doit diriger la confrontation de groupes d’intervention (auxquels on a administré le nouveau traitement à tester) à des groupes de contrôle (qui n’ont pas eu le traitement en question) afin d’étudier la relation de cause en effet d’un acte médical sur l’état de santé. Cela revient à fixer au préalable la population qui sera concernée en précisant les critères d’inclusion et d’exclusion, les paramètres qui seront étudiés à partir des données recueillies auprès des sujets volontaires et les critères de sortie de l’essai. Ainsi, un modèle statistique préalablement établi est essentiel à la validité scientifique des essais cliniques. Il s’agit, en plus, d’un modèle d’étude contrôlée qui compare, par exemple, le taux de guérison du groupe ayant reçu le nouveau traitement au groupe de contrôle ayant reçu un traitement inactif (placebo) ou un traitement de référence.


• Types des essais :

- Essais randomisés : L’affectation aux différents groupes de traitement est effectuée au hasard, par tirage au sort, assurant ainsi la comparabilité de ces groupes et évitant tout biais de sélection. C’est le schéma central des essais cliniques actuels et l’on retrouve fréquemment l’appellation essai clinique contrôlé randomisé (ECR).
- Essais en « simple aveugle » : Dans ce type d’essais, le patient ignore le traitement qu’il reçoit, alors que le médecin le sait.
- Essais en « double aveugle » : Dans ce cas, le patient et l’investigateur ignorent le traitement reçu par le patient afin d’éviter le risque de modification du critère de jugement par la subjectivité du patient ou du médecin.
- Essais « ouvert » : Contrairement à l’essai en double aveugle, le patient et le prescripteur connaissent la nature et la dose du médicament prescrit.
- Essais sans bénéfice individuel direct : Une recherche est SBID quand les participants ne peuvent espérer un bénéfice immédiat (exemple : la pratique d’une nouvelle technique d’imagerie chez un volontaire sain).
- Essais avec bénéfice individuel direct : Une recherche est à BID quand on peut en attendre un bénéfice immédiat pour les personnes concernées (exemple : efficacité d’un nouveau médicament).

Les deux derniers types rappellent l’objectif des essais qui se veulent surtout comme une mise à l’épreuve des connaissances scientifiques pour les étendre dans l’absolu, indépendamment du sort des participants malades dans des maladies dont le traitement n’est pas encore mis en place ou n’est pas encore éprouvé !


• Organisation des essais :

Les essais cliniques s’échelonnent principalement sur trois phases jusqu’à l’obtention de l’AMM. Ils sont toujours précédés d’une étude préclinique pour tester la sécurité d’emploi chez l’animal et d’en déduire la pertinence de passer à l’épreuve clinique. L’épreuve clinique se prolonge par une quatrième phase qui consiste à suivre sur le long terme les effets de la nouvelle substance sur une vaste population. Les essais cliniques s’inspirent de l’Evidence-Based-Medicine (EBM) ou Médecine Fondée sur les Faits.


Il s’agit de la première phase après les tests sur les animaux et a pour but de tester la tolérance de l’organisme humain vis-à-vis de la nouvelle substance. Cette dernière est administrée par doses croissantes à un groupe de volontaires sains afin d’évaluer sa pharmacocinétique et sa toxicité, ne serait-ce que grossièrement.
Pendant cette phase, on teste la tolérance sur un petit groupe de malades hospitalisés et on cherche à déterminer la dose optimale qui permet d’obtenir le meilleur effet thérapeutique et le minimum d’effets secondaires. Les essais à cette phase sont aussi appelés les essais thérapeutiques pilotes car ils permettent de mettre en évidence l’activité chez les patients souffrants de la maladie qui doit être traitée par la substance testée.
A ce niveau-là, on compare le traitement en question avec un schéma de traitement de référence ou un placebo. On distingue alors Placebo-controlled-trials et Active-Controlled-Trials ; le placebo étant une substance à valeur thérapeutique neutre qui n’a à priori aucun effet sur la maladie. Cette comparaison cherche à vérifier la tolérance et l’efficacité en s’appliquant à des groupes plus larges de quelques centaines, voire de milliers de personnes. Cette phase permet d’établir les précautions d’emploi et de surveiller les risques d’interaction avec d’autres produits. Si les résultats sont satisfaisants avérant l’effet pharmacologique, le médicament obtient l’autorisation de mise sur le marché.
Cependant, il existe un vrai débat éthique sur le meilleur modèle des essais et s’il faut opter pour le placebo ou non. Il n’y a pas encore d’unanimité entre les scientifiques sur le modèle le plus favorable éthiquement et même scientifiquement. Les adeptes de l’usage du placebo le défendent même quand une histoire de traitement existe, soit parce que les patients peuvent présenter un profil particulier d’effets nocifs, soit parce que cette histoire apporte parfois des traitements insupportables.
Cependant, l’usage de placebo est largement reconnu comme suspect dans des situations de vie hautement menacée ou de risque d’invalidités permanentes. En plus, certains jugent injustifiable la souffrance des patients sous placebo, surtout qu’il y a eu des cas où d’autres produits sont déjà prouvés supérieurs au placebo. Selon eux, les institutions doivent restreindre au maximum la référence au placebo dans les essais.
Les essais de cette phase sont effectués après l’obtention de l’AMM. Ils peuvent concerner la pharmacovigilance ou le développement de nouvelles stratégies thérapeutiques en association avec d’autres médicaments. L’Agence de surveillance des produits de santé (ANSM et AFSSAPS anciennement) dirige le suivi du nouveau médicament en enregistrant les données de pharmacovigilance et d’assurer l’adéquation entre indication et sécurité du produit. D’éventuelles rares complications peuvent également être dépistées à ce stade-là.


Les essais cliniques, sont-ils mis en place correctement ?

Actuellement, la grande partie des essais cliniques sont menés par les laboratoires. Ces derniers désignent les personnes responsables de la coordination des essais et notamment du recueil et de la rédaction des résultats. Il existe, entre autres, des essais particulièrement conséquents qui sont dirigés sur une large échelle régionale ; voire une échelle mondiale. Ce sont, donc, des essais multicentriques (cf. Délocalisation des essais) qui sinon n’arriveront pas à trouver assez de participants, selon le professeur Bernard Debré. L’essai est fait en demandant dans le monde entier à des médecins de traiter quelques fois une dizaine de malades, donnant quelques fois mille dans le monde entier ; ce qui donc atteste d’un manque significatif de patients par protocole, voire par mini protocole. En plus, comme les gens ne sont pas les mêmes, et que les habitants dans le nord de la France ne ressemblent pas à ceux qui habitent dans le sud de l’Afrique, l’essai risque d’emblée de ne pas être concluant, vu la grande variabilité initiale des paramètres médicaux intervenants.

« Et pourtant ils rentrent dans le même protocole. Bien souvent. Donc ce ne sont pas les mêmes. On n’arrive pas à complètement vérifier ces protocoles parce qu’il y a des malades qui ont disparu. Pourquoi ? Des fois ils sont morts. Quelque fois ils ont disparu parce qu’ils sont partis et ces protocoles la en règle général éthiquement sont très contestables, statistiquement sont ultra contestables […] parce que le suivi des patients n’est pas bien fait.» - Bernard Debré

Le professeur souligne également le problème des essais randomisés dont l’un des bras est un placebo, en le confrontant aux essais randomisés dont l’un des bras est un traitement déjà existant. D’abord, il regrette que mis à part quelques rares cas, les double-aveugle sont obligatoires. Ensuite, il trouve très éthiquement contestable l’usage du placebo dans des pathologies qui présentent de véritables dangers sur la vie humaine et estime beaucoup moins contestable et nettement plus juste la comparaison à un traitement déjà existant mais pas forcément guérisseur.

De leurs côtés, Nicole et Gérard Delépine affirment ce qu’ils appellent la manipulation des essais cliniques par les laboratoires pharmaceutiques et se prononcent à haute voix sur la puissance économique et politique de ces acteurs (cf. Financement des essais), tout en dénonçant les différents conflits d’intérêts qui accompagnent tout la mise en place des essais (des spécialistes de signature, des professeurs d’université liés aux labos, etc.).

« Les labos n’ont rien dans leurs tuyaux. Quand je dis dans leurs tuyaux, c’est qu’il faut à peu près de 7 à 10 ans entre le moment où on pense qu’un médicament est efficace et le moment de mise sur le marché. Ils ont 10 ans d’exploitation rentable. Avant il y avait un type qui dirigeait tout ça, et qui faisait la stratégie. Maintenant c’est un financier qui dirige la stratégie. Plutôt que de faire des recherches, il préfère copier, il rajoute un hydrogène sur une molécule connue, simplement ça permet d’avoir un nouveau brevet et ça permet de repartir sur 10 ans d’exploitation […].

Le problème, c’est que c’est les labos sont propriétaires de l’essai, tout le vice vient de là, il faudrait changer le régime de propriété, je sais très bien que c’est utopique car tous les politiques qui sont achetés par les gros labos ne vont pas accepter un truc comme cela et la réalité, c’est que ça devrait être une copropriété. Deuxièmement, il devrait y avoir un enregistrement annuel des données de base, pas des résultats, mais on a aucune chance de l’avoir avec le système actuel
tant qu’on ne fera pas ça, les essais publiés seront truqués. Comment marche un essai ? Il y a des essais qui sont scientifiques, il y en a plein, heureusement, faits sur l’homme et qui sont sympathiques, parfois idiots, mais ça, on peut l’éviter. En tout cas ils sont honnêtes !»


Gérard Delépine

Ce constat, à la fois de départ et d’aboutissement, fait que les docteurs Delépine ne soient pas du tout d’accord sur la manière dont sont conduits les essais cliniques à l’heure actuelle, qui est régie avant l’éthique médicale par les intérêts financiers des laboratoires de faire prospérer leurs activités de recherche et perpétuer leurs commerces pharmaceutiques. Comme les laboratoires ont la propriété intellectuelle de l’essai, ils sont propriétaires des données qu’il produit. C’est là où les laboratoires bravent les législations sur la transparence d’investigation en « truquant » les résultats des essais de façon à garantir leur mise en place de façon continue (cf. Publication des Résultats). Les laboratoires introduisent, également, par leur lobby, un biais dans les sélections des patients, dans les protocoles proposés et les volontariats appelés (cf. Consentement Eclairé), mais également des biais dans les critères de l’évaluation de l’essai et de l’exploitation de ses données. Ainsi, cette dérive, due à la globalisation et au capitalisme financier, ne fait plus prévaloir la pertinence de les molécules en question et éloigne les essais cliniques de leur mission originelle qui est de mettre au point de nouvelles techniques de traitements, contrairement au temps où les recherches cliniques étaient conduites par des instituts nationaux qui s’adressent à des marchés relativement faibles et mobilisent des agents de la santé publique sans corruption financière.



Les essais cliniques, mènent-ils au progrès scientifique ?

Les docteurs Delépine reconnaissent que la démarche théorique des essais cliniques est scientifiquement rigoureuse et tout à fait éthique, une fois le consentement éclairé accordé par les patients.

« Il y a un consensus dans le milieu médical pour les essais thérapeutiques, une pub permanente qui dit qu’il n’y pas de progrès sans les essais thérapeutiques…Cependant, la médecine existait bien avant les essais et la majorité des progrès ont été fait avant d’introduire les essais. On n’a pas eu besoin d’attendre les essais pour inventer des médicaments, et heureusement d’ailleurs, sinon on n’aurait pas l’aspirine, car elle provoque des ulcères chez le rat, 1870, produit qui n’aurait jamais passé la barrière des essais !» - Gérard Delépine

Ainsi, les abus systématiques dans l’industrie de la recherche clinique, engendrent un certain scepticisme vis-à-vis de la véritable contribution des essais thérapeutiques au progrès médical sur la période des trente dernières années, typiquement. Selon Gérard Delépine, la médecine fait beaucoup moins de progrès durant les 20 dernières années qu’auparavant, en cancérologie en l’occurrence. La mise en place des essais, systématisée par les labos et catalysée par les nouvelles molécules et l’émergence des traitements génétiques, porte atteinte aux données acquis de la science en voulant en créer d’autres dans la continuité prétendue. Vu qu’il s’agit le plus souvent de « me-too », médicaments fort semblables à ceux déjà existants et ayant presque le même effet sinon inférieur, la systématisation passe par une désinformation et une automatisation de la médecine, contraires à la science et à l’éthique et contaminant tous les niveaux de formation et de soin (cf. Méthode Delépine).

Les docteurs Delépine, en se basant sur des macroanalyses de la production scientifique, nomme comme alternative la « Recherche historique » comme étant le moyen qui a toujours conduit aux percées médicales (Gérard Delépine). Ce moyen consiste en la prise en main des traitements éprouvés de la médecine dans différentes pathologies et de l’amélioration de ces techniques. Les progrès sont repérés en comparant les résultats des différentes équipes qui ont mis en place différents protocoles pour leurs patients, en partant toujours du principe que la santé du patient prévaut sur toute quête de progrès (cf. Réglementation des essais). Pour les Delépine, pour toutes les maladies, les progrès ont été fait de cette manière, considérant que les essais est une démarche beaucoup trop récente en médecine et n’intervient que pour vérifier rigoureusement les progrès inventés ailleurs au sein de la pratique médicale de tous les jours, et en comprendre les mécanismes.

« Le progrès a été fait parce qu’on a inventé une méthode, un médicament, un moyen de l’utiliser, et mieux, une technique chirurgicale. C’est ça qui a fait faire le progrès. L’essai vient juste pour l’enregistrer, prouver que ce n’est pas dû au hasard. Attention, c’est fondamental ! Quand les gens disent on ne fait pas de progrès sans essai, ce n’est pas vrai ! » - Gérard Delépine

Mais en réponse à cette approche, Bernard Debré est d’un avis complètement différent, d’abord. En effet, selon lui, la démarche par protocoles est absolument indispensable à toute mise en forme ou coordination de tout progrès scientifique. La vision de Debré, bien en restant critique vis-à-vis des essais cliniques menés par les laboratoires dans leurs mises en place éthique et statistique contestables, est centrée sur l’essai clinique et sur le protocole de traitement. La certification (phases I, II et III) et l’évaluation à long terme (phase IV) forment une base de la construction des avancées médicales, à condition d’y respecter les modèles théorique correspondants. En plus, même les essais contre placebo, complètement inadmissibles pour les Delépine, peuvent avoir un intérêt, selon Debré, notamment pour des maladies psychiques et des pathologies infectieuses qui ne menacent pas la vie des patients. L’enjeu majeur est de traquer les conflits d’intérêts qui occasionnent des biais considérables et d’assurer des modèles statistiques rigoureux pour obtenir des données largement exploitables.

« Le seul moyen est d’avoir une organisation complètement indépendante, peut-être mondiale, et que les sanctions soient extrêmement sévères. Là donc, il faut traquer les conflits d’intérêts, il faut analyser les protocoles, analyser les résultats des protocoles absolument. Moi je me souviens d’un protocole, les allergologues disaient c’est formidable, ils ont fait un protocole. Ils ont commencé par éliminer tous ceux qui étaient vraiment très allergiques. Il ne restait plus que 150 personnes. Un protocole avec 150 personnes ?! » - Bernard Debré


En savoir plus sur la réglementation des essais
En savoir plus sur le financement des essais
En savoir plus sur la publication des résultats
En savoir plus sur la délocalisation des essais

Sources :
• Dominique, Martin (ANSM). « Les Essais Cliniques ». In L’ANSM [en ligne]. Dominique, Martin (ANSM). Paris. Mis à jour le 1 janvier 2014. Disponible sur :http://ansm.sante.fr/Activites/Essais-cliniques/Les-essais-cliniques/(offset)/0. (15 mai 2015)
• De Angelis, Catherine; Drazen, Jeffrey; Frizelle, Franck; Haug, Charlotte; Hoey, John; Richard Horion ; Kotzin, Sheldon; Laine, Christine; Marusic, Ana ; Overbeke, John ; Schroeder, Torben ; Sox, Harold ; Van Der Weyden, Martin. « Cet essai est-il entièrement inscrit ? Déclaration du Comité international des rédacteurs de revues médicales »[en ligne] Septembre 2004. Ottawa : CMA Media Inc., 2005, 3. Disponible sur : http://archive.wikiwix.com/cache/?url=http://www.drrc.ap-hop-paris.fr/publications/def_registre.pdf&title=Comit%C3%A9%20international%20des%20r%C3%A9dacteurs%20de%20revue%20m%C3%A9dicales(23/02/2015) ISBN
• Kemar, J.; Sulliman, R.J. BRAF Targets in Melanoma. Massachusetts, Springer New York, 2015, pp 85-103.
• Bateman, Simone. « Les Essais cliniques : pourquoi sont-ils aujourd'hui critiqués ». Pour la Science[en ligne]. Juillet 2009, N° 381. Disponible sur : http://www.pourlascience.fr/ewb_pages/a/article-les-essais-cliniques-pourquoi-sont-ils-aujourd-hui-critiques-22662.php (20/02/2015). ISSN

Réglementation des essais


• Fondement de la réglementation actuelle des essais : la déclaration d’Helsinki de 1964

C’est surtout à partir de la fin de la Seconde Guerre Mondiale, suite à la découverte des « expériences médicales » menées par les nazis sur des humains, que se pose la question de la réglementation de la « recherche médicale impliquant des êtres humains ». Suite au procès de Nüremberg qui reconnaît la nécessité d’effectuer des essais cliniques sur l’Homme mais avec des restrictions, l’Association Médicale Mondiale, en accord avec toutes les organisations internationales, rédige en 1964 la déclaration d’Helsinki, qui constitue le fondement de la réglementation actuelle. Dedans sont notamment posés les notions de protocole de recherche, d’évaluation du risque pour le patient, les principes d’éthique de la recherche médicale et de consentement éclairé du patient.


• Réglementation éthique des essais

La règle éthique fondamentale qui est élaborée est la suivante : l'intérêt du patient prime sur l'intérêt général, sur celui de la science et, plus encore, sur l'intérêt d'une quelconque entreprise du médicament. Sans pouvoir quantifier la réglementation éthique des essais, la déclaration stipule cependant que :

« une recherche médicale impliquant des êtres humains ne peut être conduite que si l’importance de l’objectif dépasse les risques et inconvénients pour les personnes impliquées. ». - déclaraton d'Helsinki

La réglementation éthique des essais reste cependant difficile à inscrire dans un cadre précis. En effet, en 1965, la directive-cadre de L’Union Européenne relative aux spécificités pharmaceutiques précise que toute réglementation relative au médicament doit « avoir comme objectif essentiel la sauvegarde de la santé publique » mais que ce but « doit être atteint par des moyens qui ne puissent pas freiner le développement de l'industrie pharmaceutique », ce qui semble s’opposer à la règle éthique fondamentale qui privilégie l’intérêt du patient avant tout.


• Consentement éclairé et intérêt de l’essai pour le patient inclus : la réglementation est-elle respectée ?

La déclaration d’Helsinki introduit également, dans l’article 26, le concept clé de consentement éclairé, qui indique notamment que :
« le patient doit être informé des objectifs, des méthodes, des sources de financement, de tout éventuel conflit d’intérêts, des affiliations institutionnelles, du chercheur, des bénéfices escomptés et des risques potentiels de la recherche[…]. » - déclaration d'Helsinki

Ce devoir d’information doit être assuré par le médecin qui applique le traitement.

C’est précisément à cet article de la déclaration que se réfère le docteur Gérard Delépine lorsqu’il remet en cause la méthode de mise en place actuelle de certains essais cliniques. Selon lui, dans les essais qu’il qualifie de « biaisés car leurs résultats sont truqués »,

« les informations essentielles sur le déroulement d’un essai clinique ne sont jamais communiquées par les laboratoires pharmaceutiques aux patients inclus dans l’essai.» - Gérard Delépine

Selon lui, le patient inclus dans l’essai n’est notamment pas assez souvent informé de la diminution de son taux de chance de guérison lorsqu’il participe à l’essai, ce qui est contraire aux principes éthiques de la déclaration d’Helsinki. Ainsi, selon lui, un essai qui ne se conforme aux grands principes de la réglementation constitue « un risque majeur pour la vie des patients ».

Le docteur Delépine n’est pas le seul à dénoncer la mauvaise information des patients sur les risques de l’essai dans lequel ils sont inclus. Depuis la fin de la guerre, plusieurs débats éthiques ont en effet agité les milieux médicaux. En septembre 1997 notamment, le docteur Marcia Angell, dans les colonnes du New England Journal of Medicine, s'indignait des essais cliniques AZT contre placebo menés sur près de 17 000 malades du sida en Afrique :

« Les patients traités avec l'AZT se rétablissaient alors que ceux placés sous placebo s'enfonçaient dans la maladie. Ainsi, non seulement les malades n’étaient pas assez bien informés de leurs différentes options de traitement, mais surtout la mise en place de l’essai n’était pas conforme au principe éthique de base de la réglementation, qui stipule qu’on doit privilégier la santé du patient par rapport l’expérimentation. » - Marcia Angell

Depuis cette crise, suite à de nombreux débats dans les milieux de la recherche scientifique et à un renforcement de la règlementation, l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé), explique que « la pression des associations de patients, de consommateurs et des organisations non gouvernementales a obligé les laboratoires à recadrer leurs pratiques ». Les choses ont donc changé. Les laboratoires n'abandonnent plus les patients à la fin d'un essai clinique. Chez Roche par exemple,

« depuis dix ans, quand on fait un essai clinique sur une pathologie grave (sida, cancer...), on continue de donner le produit aux patients jusqu'à sa mise sur le marché », explique Beat Widler, responsable de la qualité clinique au plan mondial. A condition bien sûr que ce produit ait montré des effets positifs. Chez Roche, les malades qui étaient sous placebo se voient proposer d'entrer dans le protocole aussi. » - Beat Wilder (Roche)


• Comment la réglementation a-t-elle été renforcée ?

En, 1988 la loi Huriet réaffirme les grands principes posés par la déclaration d’Helsinki en imposant une règlementation stricte en France sur les essais cliniques pour garantir la protection des personnes se livrant à un essai.

En août 2004 il y a eu une transposition de la directive européenne de 2001 « relative à l'application de bonnes pratiques cliniques dans la conduite d'essais cliniques de médicaments à usage humain » en droit français. Elle s’est substituée en France à la loi Huriet.

-Elle impose notamment, en substitution à la déclaration d'essai clinique faite à l'Agence du médicament (Afssaps), une demande d'autorisation plus contraignante.
-Elle impose également que soit consulté un CPP, un Comité de Protection de la Personne, par le promoteur avant toute recherche, afin d'en apprécier l'éthique, un avis défavorable de leur part interdisant la réalisation de l'essai.
-Enfin, une place centrale est faite aux associations de patients, en les faisant participer aux CPP et en leur permettant surtout de demander à l'ANSM la communication des « éléments pertinents du protocole » de l'essai en cours.

En mars 2012, la loi Jardé fait évoluer les dispositions établies par la loi Huriet en imposant notamment que le CPP devienne l’un des principaux interlocuteurs dans le cadre des autorisations et la soumission des protocole à un CPP sera centralisée et randomisée pour une distribution sur l’ensemble du territoire national.

Ainsi, la réglementation concernant la mise en place des essais cliniques a été renforcée afin d’assurer le respect les règles éthiques fondamentales introduites dans la déclaration d’Helsinki.

Cependant, une fois que la mise en place d’un essai a été validée, la responsabilité de la bonne information du patient et l’évaluation des risques qu’il encourt, conformément à la législation, repose entièrement sur le laboratoire pharmaceutique et les médecins qui mènent l’essai, ce qui soulève la controverse de la transparence.


Pour en savoir plus sur l’évolution de la législation : voir chronologie.
Pour en savoir plus sur le déroulement d’un essai : voir définition et organisation des essais.


• Question de la transparence dans la réglementation

Parallèlement à la notion de consentement éclairé, qui souligne la nécessité de communiquer toutes les informations disponibles aux patients inclus dans l’essai, apparaît également la notion clé de transparence dans la réglementation de la mise en place des essais cliniques. C’est cette notion qui est remise en question lorsque sont dénoncés les conflits d’intérêts apparaissant dans la mise en place des essais cliniques(voir notamment les rubriques Publication des résultats et Financements des essais).

Pour y remédier a été adopté en 2010 aux Etats-Unis, puis en 2013 en France, le « Sunshine Act », qui crée une obligation de publication des liens entre les entreprises de produits de santé et les professionnels de santé sous peine de sanctions.

« Ce Sunshine Act pour les médecins américains exige que tout fabricant de médicaments, de dispositifs, de matériels médicaux ou biologiques, mais aussi tout groupement d’achats de ces mêmes produits, déclare tout paiement consenti à un médecin ou à un centre hospitalier universitaire. Est aussi concerné tout organisme appartenant à l’industrie et intervenant d’une façon ou d’une autre dans la production, la préparation, le développement, l’élaboration, la transformation, la commercialisation, la promotion, la vente ou la distribution de ces produits. » - http://droit-medical.com/
« Il n’est pas seulement question de numéraire, qu’il s’agisse de versements d’honoraires, de primes, d’avances de frais ou de royalties pour l’exploitation d’un brevet, mais aussi des cadeaux, loisirs, repas, voyages, dons ou autres intéressements au capital d’une entreprise. Tout ce dont la valeur est supérieure à 10 $ (un peu plus de 7 €) doit être déclaré. » - http://droit-medical.com/

Sources :
• Hue, Bertrand. « Qu’est-ce-que le Sunshine Act ?». In Droit-medical.com. Hue, Bertrand. Rouen. Mis à jour le 29 février 2012. Disponible sur : http://droit-medical.com/perspectives/variations/915-sunshine-act#ixzz3Z4jF5amU
• Entretien réalisé avec les docteurs Gérard et Nicole Delépine
• Mamou, Yves. « Ethiques et expérimentations médicales ». Le Monde, lundi 23 juillet 2007, Rubrique Analyses, p. 2.

Délocalisation des essais


Même si elle est selon de nombreux professionnels de la santé incomplète, la réglementation des protocoles de recherche depuis les années 2000 est devenue de plus en plus exigeante que ce soit aux Etais-Unis ou en Europe (cf. chronologie, ce qui a entrainé une augmentation importante de leurs coûts. Selon Martine Piccart, spécialiste du cancer à l’Université libre de Bruxelles la directive européenne de 2007 a multiplié le prix des essais par 3. Il est alors devenu impossible que ces essais soient menés par des institutions académiques, des structures publiques. C’est ainsi que de plus en plus d’organismes privés : les « sociétés de recherche sous contrat » (CRO en anglais) proposent de conduire des essais cliniques à leur place. Elles prennent en charge pour le compte des laboratoires pharmaceutiques le recrutement du personnel mais aussi des patients et la conduite des tests. En 2000, plus de la moitié du budget dévolu aux essais cliniques était consommé par ce genre de prestataires. En 2003, les organismes de recherche sous contrat ont gagné 70 milliards de dollars.

Depuis une dizaine d’années, ces organismes « délocalisent » ces essais dans les pays émergents ou en développement comme la Chine, la Corée ou le Nigeria. La réduction considérable du prix de revient des essais constitue la principale raison de cette délocalisation. En s’affranchissant des contraintes législatives, les sociétés de recherche sous contrat gagnent un temps précieux : en 2000, l’industrie pharmaceutique estimait qu’un jour de retard dans la mise sur le marché d’un médicament représentait un manque à gagner de plus d’un million de dollars. L’intérêt de cette délocalisation est aussi technique et opérationnel :

• Les patients présentent une motivation plus grande dans la mesure où bénéficier d’une prise en charge gratuite est perçu comme une chance.
• Ils sont peu soumis au risque de surcharge médicamenteuse, ce qui limite les contraintes méthodologiques et simplifie l’analyse des résultats.
• Les patients sont plus fréquemment et abondamment affectés par les évènements cliniques.

Cependant, le risque est que les procédures soient simplifiées, moins rigoureuses, voire expéditives, parce que la surveillance y est moindre. D’autre part, comme l’explique Mr. Debré :

« Dans ces protocoles de recherche, vous avez des malades du monde entier : scientifiquement, c’est très contestable » - M. Debré

Ainsi, la validité des résultats est remise en cause.

L’absence de législation fragilise toute tentative de normalisation des essais cliniques. La pauvreté publique et individuelle favorise les conflits d’intérêts, la corruption et la dépendance. L’affaire du Trovan au Nigeria en est l’exemple.

Le scandale du Trovan qui a mis en cause les laboratoires Pfizer largement médiatisé avait révélé les pratiques peu éthiques des laboratoires et des sociétés de recherche sous contrat. En 1996, au Nigéria, une épidémie de méningite a fait des milliers de malades. Les médecins de Pfizer ont traité 200 enfants, la moitié avec l’antibiotique expérimental Trovan et l’autre avec le médicament couramment utilisé aux Etats-Unis à l’époque le ceftriaxone. Cinq enfants sont morts dans le premier cas, six dans le second. Un bon résultat, pour les laboratoires Pfizer au regard de la gravité de la maladie. Sauf que beaucoup d’enfants traités aujourd’hui sont atteints de graves séquelles (lésions du cerveau, paralysie,…). Après enquête, il s’est avéré que les laboratoires Pfizer n’avaient pas demandé l’autorisation aux parents avant d’expérimenter le Trovan sur les enfants. En effet, le laboratoire a reconnu qu’aucun accord formel n’avait été obtenu et qu’un document nécessaire au lancement puis à la validation de l’essai était un faux antidaté.

Un autre problème éthique soulevé par les essais cliniques est l’inégalité d’accès aux soins entre pays du Nord et du Sud comme on a pu le constater avec l’épidémie Ebola en Afrique durant l’été 2014. Alors que mi-août trois patients européens et américains avaient reçu un traitement expérimental contre le virus, aucun patient africain n’avait pu en bénéficier alors que l’épidémie avait déjà tué près d’un millier de personnes en Afrique.

« Dans la situation actuelle, la première exigence éthique est de se mobiliser pour le droit à la vie. Le virus Ebola tue 60 % des patients infectés. Va-t-on attendre que cette malade ait décimé l’Afrique avant de nous donner une chance de sauver les malades ? » - docteur Aliou Sylla, président d’Arcad-sida, la principale association de lutte contre le VIH au Mali.

Cependant, de nombreux médecins étaient réticents quant à la diffusion de ces traitements expérimentaux à cause du manque d’infrastructures locales pouvant permettre un suivi sûr et efficace mais aussi par peur que les patients africains soient traités comme des « cobayes ». Même si les conditions de la diffusion de ce traitement expérimental en Afrique ne répondaient pas aux procédures classiques d’homologation des essais, il s’agissait d’une situation d’urgence. De nombreux médecins africains estimaient qu’il fallait donner l’opportunité aux pays africains de décider par eux-mêmes.

«Si j’étais moi-même infectée, je ne me poserais pas très longtemps la question. Je prendrais ce traitement si on me le proposait. Il faut que ce choix individuel, possible dans les pays du Nord, soit offert de la même manière aux malades africains». - docteur Aïssatou Touré, chercheuse à l’Institut Pasteur de Dakar et membre du comité national d’éthique de la recherche du Sénégal

L’indépendance sanitaire de ces pays en voie de développement qui se traduirait par la possibilité de choisir les médicaments dont ils ont besoin et les modes d’utilisation appropriés permettraient de résoudre en partie ces problèmes éthiques. Il est important que ces pays s’approprient cette expérimentation pour contourner les exigences de l’industrie pharmaceutique et maitriser leur propre stratégie de santé publique.


Sources :
• Bienvault, P. « Ebola, les questions éthiques de l'accès aux traitements ». La Croix, 12 août 2014, numéro 39957,pp. 2-3.
• Benkimoun, P. « Médicaments testés sous les tropiques ». Le Monde, 18 octobre 2007, Rubrique Dialogue, p.20.
• Chippaux, Jean-Philippe. Pratique des essais cliniques en Afrique. IRD Editions. Paris, 2004, 318p. Collection Didactique. pp.26-30.

Financement des essais


Les exigences de qualité de mise en place d’un essai clinique et de maintenance des équipements médicaux imposent un financement important des essais, d’autant plus que participer à un essai clinique présente pour les patients et les volontaires des risques personnels. Le renforcement de la réglementation des protocoles de recherche depuis les années 2000 en Europe et aux Etats-Unis (voir chronologie) a encore accru l’importance des coûts de financement. Selon Martine Piccart, spécialiste du cancer à l’Université libre de Bruxelles, la directive européenne de 2007 a ainsi multiplié le prix des essais par 3.

Le secteur public finance aujourd’hui une partie de cette recherche clinique, notamment par le biais de l’INSERM (Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale), des MERRI (Missions de l’Enseignement, de Recherche, de Référence et d’Innovation), des investissements d’avenir et du F-CRIN (voir Vincent Diebolt), qui est la composante française d’ECRIN (European Clinical Research Infrastructure Network), infrastructure européenne dont la mission est de soutenir les essais multinationaux. Il existe également des financements d’origine caritative (la Ligue contre le Cancer par exemple) mais ils sont moins importants en France que dans d’autres pays.

Cependant, la contribution des structures publiques à la recherche clinique est négligeable par rapport aux besoins du marché. Depuis les années 2000, les coûts de plus en plus conséquents des essais ont amené les firmes pharmaceutiques et les industriels à prendre en main non seulement leur financement, mais aussi leur mise en place. Cette mise en place est souvent sous-traité par des « sociétés de recherche sous contrat » (CRO en anglais) qui se chargent de conduire les essais cliniques et d’organiser le recrutement du personnel, des patients, et la conduite des tests. Ces sociétés ont gagné 70 milliards de dollars en 2003.

Les grandes firmes pharmaceutiques multinationales détiennent ainsi aujourd’hui le monopole de la réalisation des essais. Selon Martine Piccart, ce monopole a pour conséquences des conflits d’intérêt et de la corruption car :

- d’une part les firmes pharmaceutiques maîtrisent la mise en place de l’essai du début à la fin et souhaitent obtenir des bénéfices financiers conséquents

- d’autre part les médecins et chercheurs souhaitent avancer dans leur carrière grâce à leurs découvertes et publications et ils reçoivent aussi de l’argent de la part des firmes pharmaceutiques en incluant leurs patients dans les essais.

« L’industrie possède l’argent et veut des résultats rapides et solides. Elles souhaitent donc naturellement prendre le contrôle des études cliniques et posséder les bases de données (…) et les résultats précis de ces études. Il y a là clairement tous les éléments constitutifs de conflits d’intérêts. » - Martine Piccart, spécialiste du cancer à l’Université libre de Bruxelles, dans il faut assainir les liens entre médecins et industrie

Le docteur Gérard Delépine (voir docteurs Gérard et Nicole Delépine) revient également sur l’évolution de la mise en place et du financement des essais et l’apparition de corruption :
« Avant, c’était différent, parce qu’avant vous aviez plein de laboratoires nationaux, qui vivaient sur un marché national, marché relativement faible, qui ne leur donnait pas la puissance de se concurrencer entre eux. Là, ils sont passé au milliard, 8 Big Pharma et pas plus et ils ont un budget tel ! Entre 20 et 30 % de leur budget va dans ce qui s’appelle recherche et développement, des milliards de dollars par an, et si vous creusez plus, c’est 5% de recherche en vrai, et 25% de développement. Le développement, cela ne consiste pas du tout à améliorer le médicament, mais à vendre les médicaments, à acheter les sociétés savantes, et à acheter les médecins, à acheter les décideurs du ministère, etc. Il y a une corruption absolument effroyable. Pour paraphraser un juge célèbre, le premier corrupteur de France actuellement ce n’est plus le général Desseaux mais c’est Sanofi, clairement. » - Gérard Delépine
Puis, en parlant des dirigeants d’un laboratoire pharmaceutique lors de la décision de mise en place d’un essai clinique:
« Si vous pensez qu’on peut vous donner un milliard chaque année pendant quelques années, mettons dix ans de brevet, vous êtes prêt à donner 300 millions pour l’obtenir ; pour les protocoles sur le Sida par exemple, on a essayé de voir quel est le coût d’un essai et on est arrivé à 25 000 € par malade inclus dans le protocole. Le labo versait 25 000 € par malade inclus. Alors ensuite cela se répartit. Avant, ça se répartissait en dessous de tables entre médecins uniquement. Depuis quelques années, l’hôpital touche aussi.» - Gérard Delépine

Le fait que des compagnies privées financent les essais cliniques soulève également la question de la transparence dans la publication des résultats. En effet, une étude menée par des chercheurs et publiée dans le British Medical Journal montre que les études financées par les industriels aboutissent souvent à des résultats qui leur sont favorables. De plus, la fréquence de publication des résultats des essais menés par les firmes pharmaceutiques est bien inférieure à celles des structures publiques. Par exemple, aux Etats-Unis, les résultats de 90,5% des études financés par la « National Institution of Health » (qui est une institution publique) ont été publiés contre 65,0% pour ceux financés par des firmes pharmaceutiques.


Pour en savoir plus sur cette question, voir Publication des résultats.

Sources :
• Lexchin, J.; Bero, L.; Djulbegovic, B.; Clarck, O. « Pharmaceutical industry sponsorship and research outcome and quality: systematic review. » British Medical Journal, 2003, Volume 326, Issue 7400, 31, Pages 1167-1170.
• Nau, J.Y. « Martine Piccart : « Il faut assainir les liens entre médecins et industrie ». Le Monde, 14 avril 2007, Rubrique Sciences, 8.

Recherche citoyenne


La majorité des codes éthiques et des lois qui réglementent l’aspect éthique des essais cliniques a été rédigé en réponse à un scandale ou à une controverse(cf chronologie), et on leur reproche donc souvent d’échouer à fournir un aperçu systématique des principes éthiques qui peuvent être appliquées à toutes les recherches cliniques sur des sujets humains.

Les essais cliniques randomisés représentent la méthode d’essai clinique la plus rigoureuse dans la mesure où elle minimise les sources d'erreur systématique en raison de confusion ou de partialité. Cependant ce type d’essai posent de nombreux problèmes éthiques que ce soit pour le choix juste et « éthique » des patients à traiter ou le principe d’équilibre clinique qui impose de trouver un « équilibre » entre la nécessité de tester un nouveau traitement dont les effets ne sont pas encore bien connus et la santé du patient. En effet, le risque est que les patients lors des essais cliniques soient davantage considérés comme des « cobayes » dont la santé est mise en danger au nom de la recherche. Ainsi, les premières phases des essais cliniques en oncologie sont souvent critiquées car elles auraient un rapport bénéfices-risques défavorable, puisque la chance pour un bénéfice thérapeutique est faible et qu’il y a d'importants risques de toxicité qui peuvent mettre en danger la vie du patient.

Les chercheurs Kumar et Sullivan au centre de recherche du mélanome au Massachusetts General Hospital Cancer Center se sont intéressés aux enjeux éthiques que posent les essais cliniques randomisés (ECR) en oncologie (source). Selon eux un meilleur encadrement des essais permettrait de résoudre ces problèmes éthiques. Ils proposent par exemple que les règles d'arrêt précoce soient limitées et basées sur une toxicité inacceptable de la molécule testée ou une amélioration importante de la santé d’un des groupes de patients et que les enquêteurs et les participants aient accès aux rapports sur les analyses intérimaires de toxicité. D’autre part, les essais cliniques contre placebo sont vivement critiqués.

« Le protocole contre placebo ça peut être intéressant dans un certain nombre de pathologies qui ne sont pas les pathologies très graves par exemple tout ce qui est psychiatrie, ça peut être intéressant dans un certain nombre de maladies infectieuses mais quand la vie est en danger ça devient extrêmement dangereux » - Bernard Debré

De plus, certains médecins critiquent le fait que des essais cliniques soient menés alors qu’un traitement efficace est déjà connu. Un essai clinique ne peut être justifié que s’il n’existe pas encore de traitement ou que le traitement actuel apporte une amélioration de l’état de santé du patient mais pas une guérison.

Les défenseurs des essais cliniques reconnaissent les abus actuels dans l’organisation actuelle des essais mais selon eux lorsque ces essais se font dans le respect des normes la participation à un essai clinique doit être considérée non pas comme un sacrifice mais plus comme un acte de citoyenneté. Les essais cliniques sont importants dans la mesure où ils permettent de découvrir de nouveaux traitements et d’améliorer le traitement des patients. Certains professionnels de la santé dont Christian Funck-Brentano, pharmacologue, pensent que pour progresser il est fondamental d'évaluer les pratiques et, pour cela, il faudrait défendre l'idée d'une recherche citoyenne, c'est-à-dire d'une participation des patients à l'amélioration du savoir sur le traitement de leur maladie.

« Participer à un essai clinique permet de se sentir utile aux générations futures » - patiente atteinte de sclérose en plaques ayant participé à de nombreux essais cliniques

Il est donc nécessaire que les autorités réfléchissent aux problèmes éthiques que posent l’organisation actuelle des essais cliniques et instaure un cadre législatif qui puisse permettre aux essais de remplir leur objectif premier : faire avancer la recherche pour permettre un meilleur traitement des patients.


Sources :
• Kemar, J.; Sulliman, R.J. BRAF Targets in Melanoma. Massachusetts, Springer New York, 2015, pp 85-103.
• Cabot, S. ; Santi, P. « Essais cliniques : une chance pour les patients ? ».Le Monde, 4 décembre 2013, Rubrique Science & techno, p. SCH4.
• Nau, J.Y. « Martine Piccart : « Il faut assainir les liens entre médecins et industrie ». Le Monde, 14 avril 2007, Rubrique Sciences, 8.

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