Protocoles Médicaux

Une uniformisation contraignante ou bénéfique ?

Définition et organisation des protocoles de traitement


Qu’appelle-t-on « protocole de traitement » ?

Un protocole de traitement est un plan précis et détaillé pour le diagnostic d’une pathologie ou pour un régime thérapeutique. Dans le deuxième cas, ces protocoles peuvent être ce qu’on appelle un protocole de soins.

Il s’agit d’un formulaire qui ouvre les droits à la prise en charge à 100%. C’est le médecin traitant qui rédige le protocole de soins, définissant l’ensemble des éléments thérapeutiques et mentionnant les médecins et professionnels de santé paramédicaux qui suivront le patient : c’est le parcours de soins coordonnés. Un autre type de protocole de traitement sont les protocoles de coopération qui sont des documents décrivant les activités ou les actes de soins pouvant être transférés d’un professionnel de la santé à l’autre ou la façon dont les professionnels de la santé vont réorganiser leur mode d’intervention auprès du patient dans le but d’optimiser sa prise en charge.


Comment sont mis en place les protocoles de traitement en France ?

Les principaux organismes responsables de la mise en place des protocoles de traitement sont la HAS (Haute Autorité de Santé) et les ARS (Agences Régionales de Santé). Une commission spécialisée de la Haute Autorité de Santé est chargée d'établir et de diffuser des recommandations et avis médico-économiques sur les stratégies de soins, de prescription ou de prise en charge les plus efficientes. Cependant, l’organisation de mise en place des protocoles diffère selon le type de protocoles et le domaine concerné. Ainsi en oncologie c’est la Société Française de lutte contre les Cancers et leucémies de l'Enfant et de l'adolescent (SFCE) qui établit la stratégie thérapeutique devant être mise en place.

Pour les protocoles de coopération, l’article 51 de la loi « Hôpital, patients, santé, territoires » (juillet 2009) permet à des professionnels volontaires d’organiser des délégations d’actes ou d’activités à travers des protocoles validés par la HAS et autorisé dans chaque région par l’ARS. La HAS évalue les protocoles transmis par l’ARS avant leur autorisation (cf. figure ci-dessous).


Peut-on parler d’une « protocolisation » en médecine ?

L’Evidence-Based Medecine c’est-à-dire l’épidémiologie clinique qui s’est progressivement imposée depuis les années 1970 comme la formalisation scientifique objective de la pratique soignante optimale a aussi eu des répercussions importantes au niveau de l’exercice de la médecine. La gestion publique actuelle de la santé dans les pays industrialisés tente d’appliquer des méthodes de gestion issues du monde de l’entreprise privée. L’idée centrale est que l’on peut « rationaliser » le soin. L’organisation du travail dans le monde médical a donc évolué vers la promotion de procédures normalisées.

En France, les gouvernements successifs ont donc peu à peu mis en place des outils d’évaluation et introduit les notions de contrôle qualité ou de qualité totale. C’est ainsi que vont apparaître plusieurs institutions successives : l’ANDEM (Agence Nationale pour le Développement de l‘Evaluation Médicale) de 1989 à 1997, chargée d’un travail de documentation dans le domaine de l’évaluation médicale, puis l’ANAES (Agence Nationale d’Accréditation et d’Evaluation en Santé) de 1997 à 2004 chargée de l’évaluation et de l’accréditation et enfin la HAS qui est depuis 2004 l’institution héritière des réformes initiées en 1987. Ces agences successives vont donner aux articles scientifiques « Evidence-based », synthétisés sous la forme de recommandations pour la pratique clinique ou de conférence de consensus, le statut d’une formalisation théorique objective de la pratique soignante. L’utilisation de ces recommandations en tant que normes de qualité servira ensuite, à travers la Formation médicale continue et l’Évaluation des pratiques professionnelles, à développer un soin normalisé. Cette normalisation du soin est la garante – pour ses promoteurs – d’un égal accès de la population à un soin considéré conforme aux données acquises de la science. Elle permet d’améliorer la prise en charge et la qualité des soins en optimisant le parcours de santé et de soins. Le but est de favoriser l’évolution de l’exercice et des pratiques professionnelles et l’efficience du système de soins. Cette volonté d’homogénéisation se trouve par ailleurs considérablement renforcée par l’évolution procédurière des rapports entre les soignants et leurs malades.

Cependant, le danger d’une protocolisation excessive est que l’autonomie des cliniciens se réduise à l’application de procédures standards et que la pratique clinique soit soumise à une évaluation permanente de conformité avec lesdits standards.


Sources :
• Hirsch Emmanuel, Traité de bioéthique. Toulouse : ERES « Poche - Espace éthique », 2010, 768 pages.pp.690-700
• HAS, Haute Autorité de Santé. Rapport d’activité 2013 : les protocoles de coopération ART 51 de la loi HSPT[en ligne]. 33p. multigr. Disponible sur : http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2014-09/rapport_dactivite_2013_-_article_51.pdf

Indépendance professionnelle


Vers une systématisation de la médecine ?

La mise en place croissante de protocoles de traitement (voir définition et organisation des protocoles de traitement) est considérée par certains médecins, à l’image du docteur Gérard Delépine, comme une « uniformisation» de la pratique de la médecine. Il s’agit selon lui d’un phénomène récent qui consiste en une « normalisation » des traitements jugée « dramatique » non seulement pour le patient, mais aussi pour la liberté d’exercice du médecin.

De nombreuses institutions publiques (voir Organismes publics de législation, gestion et régulation) se chargent d’établir les méthodes de traitement à mettre en place, à l’image du CeNGEPS dans le domaine oncologique, qui établit une stratégie thérapeutique devant être mise en place pour chaque type de cancer (lymphatique, tumeur au cerveau, leucémie…).

Au sein de leur institut, les médecins se réunissent ensuite en comités selon leur spécialité pour établir la manière dont le traitement préconisé sera appliqué au patient. Cette décision s’inscrit donc dans un cadre prédéfini, avec des consignes de traitement préétablies. Le docteur Gérard Delépine dénonce ainsi une « déshumanisation » de la médecine, qui consisterait désormais à rentrer les données d’un patient dans un ordinateur qui renvoie ensuite le traitement standardisé correspondant à ces données. Cela permettrait de « traiter les patients à la chaîne », sans s’attacher à observer l’évolution de leur maladie et à adapter le traitement.

Sa femme et lui préconisent à l’inverse ce qu’ils appellent une « médecine individualisée », basée sur un suivi jour par jour de l’état du patient et une adaptation en conséquence de la dose de médicaments à administrer (Pour en savoir plus, voir méthode Delépine).


L’uniformisation des méthodes de traitement: moteur ou obstacle à l’avancée scientifique et à la liberté d’exercice du médecin ?

Selon le docteur Gérard Delépine, cette uniformisation des méthodes de traitement est récente, et constitue un obstacle au progrès scientifique et à la liberté de recherche du médecin.

« Avant, des équipes mettaient au point un protocole, un traitement, mais il n’était pas du tout normalisé, et on ne faisait des progrès qu’en comparant les résultats de telle équipe qui avait tel protocole avec telle autre équipe qui avait tel protocole. Alors les scientifiques ont tout de suite dit : « Vous ne pouvez pas comparer le centre A du centre B, c’est impossible car ils n’ont pas le même recrutement, le chirurgien non plus n’est pas le même. C’est impossible. » Sauf que c’est comme ça qu’on a fait tous les progrès. Quand vous regardez l’histoire de la médecine, et ça je peux vous le prouver, dans n’importe quelle maladie, c’est ainsi qu’on a progressé. » - Gérard Delépine

L’uniformisation de protocoles et de méthodes de traitements doit-elle être considérée comme un obstacle au progrès ? Ceci n’est pas l’avis du docteur Sue Caste, qui expose les atouts considérables selon elle d’une standardisation des méthodes d’imagerie de suivi du patient afin de favoriser une collecte générale des données et un dialogue entre médecins de différents instituts :

“As treatment protocols and endpoint assessments are standardized, so must be the imaging techniques and methods of imaging data capture.” - Dr. Sue Caste

Certaines innovations technologiques telles que le suivi du patient par cartographie tumorale introduite dans la directive européenne de 2004 permettent donc de renforcer le suivi individualisé du patient, ce qui s’inscrit dans la continuité des bienfaits de la standardisation des protocoles de traitement selon le docteur Caste, car elles permettent notamment aux médecins de dialoguer, d’avoir plus d’informations à leur disposition, et donc plus d’éléments pour réfléchir de manière éclairée au meilleur traitement pour le patient.


Sources :
• Kaste, Sue. « Oncology protocols: how can we do better? ». Pediatric Radiology, May 2011, Volume 41, Issue 1 Supplement, 166-169.
• Entretien avec Gérard Delépine

Publication et utilisation des résultats


La publication des résultats constitue une étape cruciale dans le travail de tout chercheur. C’est sur ce point que sont jugées la qualité de ses recherches et par la même occasion sa crédibilité. Les chercheurs, qui pour la plupart sont affiliés à des laboratoires pharmaceutiques, manipulent des données sensibles concernant leurs patients pendant toute la durée des essais cliniques.

Les laboratoires pharmaceutiques sont légalement obligés de communiquer aux autorités réglementaires les résultats des essais qu’ils ont menés. Une fois que le produit testé a été autorisé à être mis sur le marché (voir rôle de l’ANSM), les données relatives à l’essai clinique réalisé sont transmises à des médecins et sont parfois publiées dans des revues scientifiques et dans des bases de données sur Internet. Certains grands groupes comme Sanofi proposent pour les patients un suivi en ligne des différentes phases de l’essai clinique. Il est dit de façon plus précise sur leur site web que :

« Le groupe Sanofi publie les informations sur les essais cliniques en cours et leurs résultats sur des registres internet d’essais cliniques qui peuvent être consultés par le public, et répond de ce fait à toute demande du public tout en respectant : l’engagement du groupe lié à la transparence, les exigences légales internationales et locales, règlementaires et éthiques, la conformité de ses engagements auprès des associations de l’industrie pharmaceutique. » - http://www.sanofi.fr/

Néanmoins, de nos jours, selon certains médecins comme le couple de docteur Delépine, un nombre croissant de chercheurs ont de plus en plus recours à des pratiques jugées peu orthodoxes. En effet, ils traitent leurs chiffres de sorte à toujours publier des articles qui paraissent concluants aux yeux du public. Cette pratique est désignée par le terme d’embellissement des données. Lorsque la modification des résultats correspond à une intention délibérée de modification des chiffres, on parle de fraude scientifique.

Concrètement, l’embellissement des données consiste à publier une étude sous une forme qui diffère de la réalité et dans laquelle il manque des données dans le but de présenter ses résultats sous un aspect plus favorable ou attractif. Selon le docteur Gérard Delépine, cette méthode est particulièrement mise en œuvre pour les grands essais cliniques incluant des milliers de patients, car elle permet de faire accepter de nouveaux médicaments innovants qui rapportent beaucoup d’argent chaque année aux laboratoires :

« Alors, comment est biaisé un essai ? Si vous avez beaucoup de malades inclus, vous pouvez être sûr qu’il est biaisé. Plus il y a des malades inclus, plus vous pouvez en être sûr. Il y a des essais qui sont honnêtes, attention. La grande majorité des essais est honnête et scientifique. Le problème, ce sont les essais qui ont des incidences financières, donc ce sont les essais de nouveaux médicaments. Ceux-là sont a priori suspects. » - Entretien avec Gérard Delépine

Selon lui, cela est rendu possible par le monopole qu’exercent les laboratoires sur la mise en place des essais (voir Financement des essais), et donc par le pouvoir que possèdent les laboratoires sur la publication de leurs résultats. Pour y remédier, Martine Piccart, spécialiste du cancer à l’Université libre de Bruxelles, en appelle à une réorganisation de la mise en place des essais passant par une collecte des données des patients de manière indépendante. Le docteur Gérard Delépine préconise également le partage de droit concernant la publication des résultats, ainsi qu’une transparence de la publication assurée par la législation :

« Si on voulait les rendre honnêtes, il faudrait qu’il y ait un régime spécial sur ces essais. Le régime courant, c’est l’essai qui appartient au laboratoire. Mais moi je vous dis que c’est un scandale. Car le laboratoire paye, mais le patient y paye de la vie, et le gouvernement paye par la Sécurité Sociale. Donc normalement, la propriété d’un essai devrait être mixte, elle devrait en fait être triple : le malade, la Sécurité Sociale, et le laboratoire, chacun participant à cet essai. Ils ne pourraient pas nous opposer la propriété intellectuelle au droit de publication, parce qu’à l’heure actuelle, comme cela leur appartient, ils ont droit de ne pas publier De toute manière je ne vois pas pourquoi faire un essai si on ne publie pas. Ça c’est la première chose.

Deuxièmement, si on ne veut pas qu’ils soient truqués, c’est facile : il faut qu’il y ait un tribunal, c’est-à-dire un dépôt, un greffe où, chaque année, ceux qui font les essais soient obligés de donner le nombre, l’âge et le sexe des malades, comme ça on sera sûr qu’ils n’en feront pas disparaître. Histoire que s’ils ne publient des résultats que sur 150 personnes au lieu de 300 personnes initialement inclus dans l’essai, on se pose des questions. »

Entretien avec Gérard Delépine

Force est donc de constater que dans le domaine médical où la vie de plusieurs personnes est en jeu, certains médecins publient de faux rapports à des fins strictement personnelles liées au prestige et à la reconnaissance.

Bien que des méthodes pour promouvoir la transparence soient progressivement en train d’être mises en place par des organismes de régulation (voir chronologie), il n’existe toujours pas de bases de données communes et publiques imposées aux laboratoires.


Le caractère lacunaire voire faussé de la publication des résultats des essais par les firmes pharmaceutiques est donc un point clé de notre controverse, qui est reconnu et prouvé au sein de la société, mais pour lequel tous les acteurs concernés ne souhaitent pas entrer dans le débat. Ainsi, aucun des laboratoires pharmaceutiques que nous avons contactés en tant qu’étudiants n’a souhaité nous recevoir lors d’un entretien pour répondre à nos questions.


Sources :
• Séror, Raphaèle; Ravaud Philipe. « Embellissement des données : fraude a minima, incompétence ou un mélange des deux ». Presse médicale, 27 Juin 2012, Volume 41,pp. 835-840.
• Sanofi Aventis Groupe. « Essais cliniques : nos engagements de publication ». In Sanofi [en ligne]. Sanofi Aventis Groupe.Paris. Mis à jour le 19 mai 2015. Disponible sur : http://www.sanofi.com/rd/essais_cliniques/nos_engagements/nos_engagements.aspx (28 mai 2015)
• Nau, J.Y. « Martine Piccart : « Il faut assainir les liens entre médecins et industrie ». Le Monde, 14 avril 2007, Rubrique Sciences, 8.

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