La nature même de l’événement rare le rend difficilement modélisable

Prenons, dans un but illustratif, l’exemple des accidents dus aux coups de pieds de cheval dans les armées introduit par Bortkiewicz en 1898. Autrement dit, c’est un événement rare à l’échelle d’une année (on mesure qu’en moyenne il y a \theta accidents de ce type par an). Il existe une loi de probabilité, nommée Loi de Poisson, particulièrement utilisée en mathématiques pour représenter ce genre de phénomènes. La probabilité qu’il existe k occurrences d’accidents par coups de pied de cheval vérifie assez bien la loi suivante :

    \[p(k)=\frac{\theta^k}{k!}e^{-\theta}\]

On pourrait dès lors ce dire que ce genre de raisonnement s’applique tout aussi bien en finance. Mais quel est le temps moyen d’apparition d’une crise financière ? Peut-on dire que la crise de 1929 et celle de 2007 sont comparables au point de n’être que deux occurrences d’un même événement ? Ce sont ces questions qui mettent en lumière la difficulté dans l’approche probabiliste de l’événement rare mais surtout inconnu.

De plus, en finance, les effets « boule de neige » ne sont pas rares : le défaut d’un acteur entraîne celui d’un autre, qui lui-même va en entraîner un autre et ainsi de suite. Pour reprendre l’exemple des chevaux, on pourrait imaginer qu’une pénurie dans la nourriture pour cheval entraînerait une hausse du nombre d’accidents. C’est autant de facteurs, à priori externes, qui deviennent finalement, de par leur influence, le cœur de la modélisation.

« Le défaut d’un emprunteur sera probablement suivi par un autre si les taux d’intérêt ont augmenté et les prix de l’immobilier ont baissé, par exemple. Mais un tel deuxième défaut sera moins probable si […] les statistiques ne peuvent pas aisément capturer une chaîne causale aussi subtile »
Emmanuel Derman, professeur en ingénierie financière [TRI4]

Ainsi, il n’est pas étonnant de voir que les crises telles que celle de « 1929, 1987, 1998 sont difficilement admissibles dans le cadre gaussien » [ECH]. Les chiffres annoncés sont plus que déroutants : « si on admet que le rendement du CAC 40 est gaussien avec une volatilité de 20 %, la durée de retour d’une variation similaire à celle du mois d’octobre 1987 est de l’ordre de cent mille ans » [ECH].

Dans la partie suivante, nous nous intéresserons ainsi aux questions soulevées par la modélisation d’événements si rares et inconnus. Enfin, nous verrons que l’Homme n’est pas aussi bien adapté qu’il le pense pour décider dans un univers autant incertain que celui de la finance.