Chronologie

Notre but est ici de restituer les événements marquant l’histoire du débat français autour de l’écotaxe selon une analyse diachronique en trois axes, c’est-à-dire en présentant trois successions chronologiques d’événements problématisées à partir de questions précises. Il s’agit donc de rendre compte des étapes successives dans l’élaboration du projet de loi, en dépassant le simple cadre juridique pour faire apparaître les fondements théoriques. Cette chronologie vise ainsi à rendre compte des débats et décisions, à l’échelle nationale comme internationale, ayant structuré le cadrage de l’écotaxe sur les poids-lourds. Nous débutons à la première guerre mondiale, qui marque le début de la construction d’un réseau routier cohérent pris en charge par l’État, et nous terminons au moment de l’abandon définitif du projet, entre 2014 et 2015.

Sur la base de l’article de la sociologue M. Ollivier-Trigalo (2013) et en y ajoutant d’autres éléments historiques, nous proposons un historique de la controverse en trois axes :

Nous vous proposons ci-dessous trois frises chronologiques résumant les événements-clés propres à chacun de ces trois axes :

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1. L’évolution de la question des externalités

liées au trafic routier

 

L’inspiration première – ou la plus médiatisée – de la taxe est économique et renvoie à la théorie des externalités négatives (effets que l’activité de production ou de consommation d’un agent peut avoir sur le bien d’un autre, sans pour autant que l’un des deux reçoivent ou paient une compensation pour cet effet) proposée par l’économiste Pigou. Elles constitueraient selon cette analyse un dysfonctionnement du marché corrigeable par les pouvoirs publiques, sachant que son rôle majeur est ici la fonction d’allocation des ressources. Les économistes s’accordent sur le fait qu’il existe un niveau optimal de taxation pour réduire ou neutraliser ce dysfonctionnement ; les débats portent toutefois sur le quadruple enjeu qui en découlent : la définition des coûts, leur valeur, leur imputation et la méthode de taxation. L’idée de base est donc que l’utilisation excessives des infrastructures de transport – principalement les routes et les ponts – produit des externalités. Ce problème est amené sur le devant de la scène en premier lieu par les ingénieurs des ponts et chaussées. Ils postulent un déséquilibre lié à la sur-utilisation de la route et à la sous-utilisation des chemins de fer.

1968 - Instauration de la taxe à l’essieu :

C’est la première mesure prise en France pour la taxation des poids lourds, dans une démarche d’internalisation des externalités. Cette mesure gouvernementale marque le début du changement de regard sur la fiscalité environnementale en l’inscrivant dans une réalité technique tangible.


Les années 1990′
Production intensifiée de rapports gouvernementaux :

Dans la lignée de la taxe à l’essieu, on produit dans les années 1990′ un grand nombre de rapports désignant une extension du domaine des coûts à considérer. C’est l’administration française des Transports via le Commissariat du Plan qui insiste sur cet aspect.

Cette doctrine économique est renforcée par le ministère de l’Equipement, notamment par le rapport de 1999 du Conseil général des Ponts et Chaussées qui constate que les poids-lourds ne couvrent pas leurs charges sur le réseau non-concédé. On voit ainsi l’émergence de l’idée de péage sur ce réseau.

1972 à 1992Sommets de la Terre :

Les sommets de la Terre sont une série de conférences internationales tenues une fois par décennie depuis 1972. Elles sont organisées par l’ONU, qui cherche ainsi à stimuler le développement durable. La conférence de Rio, tenue en 1992, est la plus importante pour notre sujet en ce qu’elle précise la notion de « développement durable » et l’inscrit dans le cadre des politiques publiques. Ces conférences ont notamment un enjeu symbolique important, puisqu’elles se centrent d’une part sur l’idée que les problèmes liés au réchauffement climatique induisent une responsabilité collective, et d’autre part sur l’élaboration de solutions viables et harmonisées à l’échelle internationale, comme la taxation. A la suite de la conférence de Stockholm (1972) a été rédigé le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE).

Le sommet de 1992 à Rio a donné naissance à la Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC), induisant des rencontres annuelles entre les pays signataires depuis lors. Ainsi, depuis 1992, la France a fait rentrer dans ses objectifs gouvernementaux des mesures sur les émissions de gaz à effet de serres, via des outils comme la taxation.

RIO

1997Protocole de Kyoto :

KyotoLe protocole de Kyoto signé le 11 décembre 1997 est un accord international visant la réduction des émissions de gaz à effet de serre, signé par les pays participants à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques le 11 décembre 1997. Il est entré en vigueur le 16 février 2005. La France, pays signataire du protocole de Kyoto, s’est donc engagée à réduire avant 2010 ses émissions de carbone de 8% par rapport à leur niveau en 1990.
Pour ce faire, deux outils concurrents sont proposés : la taxation et les “Permis d’émissions négociables” (PEN), qui représentent un “droit à polluer” vendu dans un certain volume par des autorités sur un marché des émissions. Le principe de la taxation est d’inciter les entrepreneurs à réduire leurs émissions en leur donnant un coût comptable. Elle permet en outre aux Etats de prélever de l’argent qui pourrait être investi dans une perspective écologique.

1999Incendie du tunnel du Mont Blanc :

L’incendie du tunnel du Mont-Blanc s’est produit du 24 mars 1999 au 26 mars 1999. Il a été provoqué par un camion frigorifique semi-remorque belge qui transportait de la margarine et de la farine et qui a pris feu vers 11 h 00, à environ 7 km de l’entrée française du tunnel. Le violent incendie qui a suivi a causé la mort de 39 personnes et entraîné la fermeture du tunnel pendant une durée d’environ 3 an.
Il est à l’origine de la prise de conscience du danger provoqué par la congestion et le mauvais aménagement du réseau routier pour de nombreuses associations environnementales. La FNE (France Nature Environnement) entame dès lors un travail sur le sujet afin de sensibiliser le gouvernement à prendre des mesures.

Mont Blanc

1999Directive Eurovignette 1 :

Visant au niveau européen à «l’harmonisation des systèmes de prélèvement et l’institution de mécanismes équitables d’imputation des coûts d’infrastructure aux transporteurs», cette directive européenne relative à la taxation des poids lourds établit en fait un cadre juridique qui permet aux membres de l’Union d’intégrer le coût d’entretien du réseau routier à leurs tarifs de péage.

2006 - Formation du « Pigou Club » :

Le « Pigou Club » est fondé en 2006 par l’économiste N. G. Mankiw, qu’il décrit sur son site internet comme :

An elite group of economists and pundits with the good sense to have publicly advocated higher Pigovian taxes, such as gasoline taxes or carbon taxes.

Ces économistes prennent de fait partie pour la taxation pigouvienne, suivant le principe du double dividende. Leur pensée peut être résumée par le climatologue directeur du NASA Goddard Institute of Space Studies qui, dans sa lettre au président B. Obama après son élection en 2008, affirme :

A rising price on carbon emissions is the essential underlying support needed to make all other climate policies work. […] A rising carbon price is essential to “decarbonize” the economy, i.e., to move the nation toward the era beyond fossil fuels. The most effective way to achieve this is a carbon tax (on oil, gas, and coal) at the well-head or port of entry. […] The public will support the tax if it is returned to them […]

On voit ainsi que l’idée de la taxation découle directement d’une prise de partie quant au rôle des pouvoirs publiques. En découle en France l’idée de la Contribution climat énergie (CCE) sur les émissions de gaz à effet de serre.

2006Révision de la directive Eurovignette :

À l’échelle européenne, l’idée de tarification des infrastructures est abordée dès les années 1990′, à travers les directives Eurovignette successives. On en dégage deux idées majeures ; d’une part l’instrument privilégié est un redevance kilométrique, et d’autre part toute taxation ne doit pas entraver la libre circulation des biens et des personnes. Elle donne la possibilité aux Etats-membres de mettre en place différentes solutions écologiques comme l’installation de péages différenciés en fonction des pollutions des poids lourds, l’application de sur-péages de 25% dans les zones de montagnes ou encore la possibilité d’augmenter les péages de « droits régulateurs » dans les zones particulièrement touchées par la pollution atmosphérique (dont urbaines).

En 2006, la révision de la directive Eurovignette (« Eurovignette III ») structure les préoccupations environnementales à l’échelle internationale, notamment grâce à l’action active des parlementaires écologistes. L’objectif premier est la stabilisation avant 2010 des parts de marché des différents modes de transports de 1998 : on cherche de fait à freiner l’expansion du mode routier en favorisant le report modal sur les autres modes de transport comme le ferroviaire ou le maritime.

La commissaire aux Transports et à l’Énergie au sein du Parlement Européen, Loyola de Palacio, propose dès lors de suivre une démarche d’internalisation des externalités, ce qui permet d’affirmer ce concept comme fondement des politiques publiques en matière de taxation. Il s’agirait de procéder par étapes en suivant les directives Eurovignette successives. À partir de 2006, le principe est reconnu comme efficace par tous mais la définition des coûts qu’il faut internaliser est fortement débattue par les députés européens. C’est à partir de ce moment-là qu’on voit émerger des méthodes de taxation concurrentes.

Cette directive Eurovignette marque un tournant au niveau des méthodes utilisées pour internaliser les externalités : le marché des émissions est définitivement écarté en tant que solution viable, remplacé par la taxation jugée plus efficace. Pour en savoir plus sur les justifications théoriques de la taxation comme outil optimal, rendez-vous ici.

2009Rapport du SETRA :

Le rapport de 2009 du SETRA (Service d’études sur les transports, les routes et leurs aménagements) reprend l’idée de taxation des externalités en l’inscrivant fermement dans une directive européenne. Il se voit en effet confier une étude en octobre 2006, dont est publié un rapport en juin 2009 sur l’ « Imputation aux usagers PL et VL du coût d’infrastructure des routes ».

 

Unknown-42. L’évolution de la vision française des infrastructures routières

 

L’idée de faire payer les transporteurs pour leur usage de la route marque aussi un tournant dans la vision française du financement des infrastructures. L’écotaxe remet ainsi en cause deux principes corollaires fondamentaux de la politique française en termes de route : la gratuité des routes, puisqu’une autoroute payante ne peut être mise en place que s’il existe en parallèle une route gratuite, et le fait qu’un péage ne peut être mis en place que sur une infrastructure nouvelle. Par ailleurs, ce deuxième principe induit que les bénéfices réalisés par la société exploitant le réseau concédé ne sont pas utilisés pour l’entretien, mais surtout pour l’extension de ce réseau routier : on est en France sur le mode du « péage de financement », et l’écotaxe nous ferait passer dans le « péage de régulation ».

La construction du réseau routier français s’intensifie lors de la première guerre mondiale, plaçant l’État en charge de sa construction et de son entretien. Ce principe est progressivement remis en cause au fil du temps, à mesure que le trafic et les charges transportées augmentent, ce qui amène les gouvernements à déléguer leurs responsabilités. On peut par la suite distinguer, selon la sociologue M. Ollivier-Trigalo (2013) deux grands temps de cette évolution, durant lesquels les mondes administratifs et politiques se sont emparé de la problématique. En premier lieu, de 2002 à mi-2005 on assiste à une révision des schémas de services avec un gouvernement de droite. Par la suite, et jusqu’en 2009 on engage un processus de privatisation des autoroutes qui structure le débat.

Première guerre mondialeIntensification de la construction de routes :

Les opérations militaires induisent le développement de routes et de chemins de fer pour accompagner l’effort de guerre. Ces chantiers sont situés en priorité au niveau des zones de combat, mais s’étendent aux régions les plus éloignées des opérations militaires du fait de l’intensification de l’industrialisation.

Les années 1920′ - L’État prend officiellement à sa charge la construction des routes :

En 1920 est créé par décret le corps des Ingénieurs des Travaux publics de l’État. Ce sont des fonctionnaires, qui peuvent être mobilisés pour mettre en œuvre des grands travaux relatifs au génie civil et à la voirie. L’État français prend ainsi à sa charge la construction et l’entretien du réseau routier.

Asphalte

 

Au niveau technique, on autorise et encourage l’emploi de bitume et d’asphalte pour la construction de routes en 1924, et la production de béton bitumineux commence dès la fin des années 1930′. Sur la base du recensement des circulations routières de 1928, l’État prend à sa charge en 1930 l’entretien de 40 000 km de routes départementales et de lignes de grande communication dégradées par la circulation routière. En 1932, un réseau de 100 000 km est ainsi traité à l’asphalte.

 

1929 - La crise provoque un déficit publique :

La crise économique touche durement la France et dès 1934 l’État doit chercher de nouveaux modes de financements pour entretenir le réseau routier. L’outil de la taxe est pour la première fois utilisé dans ce but, avec l’instauration d’une taxe supplémentaire sur les carburants des automobiles et des bateaux. La réduction des dépenses passe également par la fermeture de voies ferrées – qui étaient encore nationalisées – et par des crédits routiers. S’opère ainsi une grande complexification de la gestion des routes. L’économie des transports devient en effet sujette à une réglementation très complexe freinant son développement ; des comités techniques départementaux sont par exemple créés pour coordonner les transports publiques. La gratuité des routes n’est pas remise en cause, mais pour la première fois l’État met en place des dispositifs visant intégralement à financer leur entretien.

Seconde guerre mondiale - Destruction d’une large partie des infrastructures routières :

Les bombardements aériens durant la campagne de France, puis par les troupes alliées et les résistants pendant le reste du combat – au final 100 000 tonnes de bombes – détruisent une grande partie des véhicules et des ponts. À l’issue des affrontements faisant suite au débarquement, on dénombre en 1945 plus de 6 000 ponts détruits et un parc automobile réduit à 600 000 véhicules, c’est-à-dire le niveau de 1930. La pénurie se généralise à l’ensemble du territoire. Le gouvernement engage alors des fonds colossaux pour reconstruire ces infrastructures, remettant en usage 1 000 ponts et installant environ 4 000 ponts provisoires dès la fin de l’année 1945. Jean Monnet, alors ministre du Commerce au sein du gouvernement provisoire, fait de la modernisation des réseaux de communication une priorité du plan de reconstruction. Ainsi, à la fin de la décennie 1950′, on compte 4 000 ponts définitivement reconstruits. Ces coûts sont lourds à porter pour l’État, qui pourtant ne privatise pas la gestion des infrastructures routières.

18 avril 1955 - Définition du statut des autoroutes :

Devant la nécessité de développer les transports et d’améliorer leur performance, on commence à construire en France des autoroutes, définies par la loi du 18 avril 1955 comme une voie sans croisements, sans accès riverains et accessible uniquement à des véhicules moteurs remplissant des caractéristiques suffisantes. La loi établit ainsi que :

L’usage des autoroutes est en principe gratuit.

Toutefois peuvent être concédées par l’Etat, soit la construction et l’exploitation d’une autoroute, soit l’exploitation d’une autoroute, ainsi que la construction et l’exploitation de ses installations annexes telles qu’elles sont définies au cahier des charges

Article 4 de la loi du 18 avril 1955

Le principe de gratuité des routes n’est pas remis en cause, mais on commence à penser à déléguer les coûts d’entretiens à des sociétés privées, appelées « sociétés concessionnaires ».  Ainsi la Société de l’Autoroute Estérel-Côte d’Azur est créée en 1956, et la construction rapide de ces voies entraîne le premier plan directeur du réseau routier et autoroutier pour quinze ans.

Les années 1960′Les « plans routiers » et la délégation de la responsabilité des routes aux collectivités.

Suite à des hivers rudes successifs (1962 et 1963) avec en parallèle un fort accroissement des charges et du trafic, le réseau routier est partiellement rendu hors d’usage à cause du gel. Les axes du Nord et de l’Est donc dès lors mis « hors gel » – c’est-à-dire que l’on creuse des fondations plus profondes pour rendre la route plus solide. Afin de minimiser les coûts, on développe la méthode du « renforcement coordonné », qui consiste à rénover seulement certaines sections d’itinéraires précis. On procède ainsi quand certaines zones de l’itinéraire sont jugées en bon état ou que des zones sont laissées en attente de travaux, s’ils ne sont pas prioritaires sachant que les fonds sont limités. Il s’agit avant tout d’éliminer les « points noirs routiers », des endroits où le trafic est ralenti ou rendu dangereux du fait de la configuration des lieux. En 1969, on met en application le plan routier breton promis par le général de Gaulle, qui vise à créer une route à quatre voies moderne et gratuite, que l’on nommera « voies express » par la suite, afin de désenclaver la région bretonne. Cette démarche s’inscrit dans une politique d’aménagement du territoire dont le principal objectif est de rallier les zones pénalisées par leur localisation décentralisée au reste du territoire européen.

L’État fait ainsi face à des problèmes croissants pour financer l’entretien du réseau routier, à mesure que les coûts augmentent et que les recettes s’amenuisent. Dans les années 1970′ , l’État continue à déléguer aux départements et aux régions la responsabilité de certaines routes. Ainsi en 1976 il ne reste plus que 29 000 km de routes sur le réseau national.

Les années 1970′L’intensification de l’activité de transport par la route :

En 1971, la moitié du transport de marchandises est effectué par voie routière et cette méthode va se généraliser durant les décennies suivantes. Une loi de 1989 supprime le contingentement des licences de transporteur, ce qui favorise le développement des activités de transports par la route. La technique se perfectionne, notamment grâce à la pneumatique, ce qui permet de mettre en place un transport rapide de lourdes charges. Les véhicules de transports vont ainsi se spécialiser. Face à cette concurrence grandissante, de nombreuses voies ferrées disparaissent. En parallèle, le réseau routier doit donc être développé et modernisé. La multiplication de voies routières rapides facilite les déplacements des ménages et des transporteurs, et dès les années 1990′ apparaissent d’importants problèmes de congestion, notamment en fins de semaines. Ce développement rapide du réseau routier amène des contestations déjà vives, tant sur le plan de l’encombrement des routes que de la pollution – visuelle, environnementale et sonore.

La mise en relief des divers problèmes liés à l’utilisation du réseau routier suscite au niveau de l’État des démarches dans divers domaines. On voit ainsi en 1971 la création du ministère de l’Environnement puis dans la même optique une loi de 1976 impose une étude d’impact préalable pour tout projet d’infrastructure. On cherche ainsi à réglementer et à normaliser le réseau routier, dont le contrôle échappe progressivement à l’État au profit des collectivités et des sociétés concessionnaires. La responsabilité de l’État glisse ainsi de l’entretien des routes au contrôle des projets et de construction. Des lois successives visent ainsi à normaliser les matériaux utilisés, les procédés de construction et les méthodes de calcul.

En savoir plus sur le réseau routier français aujourd'hui

2003Débats parlementaires et rapport de la DATAR :

Durant la première période, l’année 2003 marque un point tournant. On voit s’installer un débat fortement médiatisé au sein des parlementaires, durant lequel l’idée de rendre payante les routes gratuites est énoncée. Cette idée ne sera toutefois pas concrétisée avec le levé de boucliers des parlementaires bretons : le CIAT organisé par la suite ne retient pas l’éco-redevance comme solution.

En parallèle, l’administration française représentée par la DATAR (Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale) propose une taxe sur les poids lourds comme source de financement possible, comme on peut le lire dans le rapport « La France en Europe : Quelles ambitions pour la politique des transports ?, Étude prospective de la Datar » établi par D. Parthenay et M. Vermeulen d’après les résultats d’A. Arabeyre-Petiot et O. Cointet Pinell.

Cette idée est parachevée par les missions associant l’Inspection des Finances et le Conseil général des Ponts et Chaussées qui insiste sur la nature budgétaire de l’enjeu, dans la mesure où leurs conclusions sont liées à la recherche de nouvelles sources de financement détachées des coûts d’utilisation des infrastructures. La première évalue en effet la faisabilité des nouveaux projets d’infrastructure et la seconde a mis l’accent sur les nouvelles sources de financement.

2004Signature de la Charte de l’environnement :

La Charte de l’environnement est un texte à valeur constitutionnelle que l’Assemblée a adopté en 2004. Elle est le fruit d’un travail initié par le président J. Chirac et délégué à la Commission Coppens.

En savoir plus sur l'élaboration de la Charte

C’est une étape marquant dans le processus d’institutionnalisation du développement durable, dans la mesure où sont inscrits dans les dix articles qui la composent les principes définissant l’action gouvernementale au niveau de l’écologie. On retrouve en effet le principe de précaution, le principe de prévention, et surtout le principe de pollueur-payeur, qui inspire en partie l’idée de taxer les transports. On a ainsi un texte fondateur dans la reconnaissance des devoirs des citoyens liés à la protection de l’environnement. On voit en effet apparaître implicitement une reformulation de la vision de la route en tant que bien public dans les articles 3 et 4 :

Article 3. Toute personne doit, dans les conditions définies par la loi, prévenir les atteintes qu’elle est susceptible de porter à l’environnement ou, à défaut, en limiter les conséquences.

Article 4. Toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu’elle cause à l’environnement, dans les conditions définies par la loi.

Début 2007Proposition d’une taxe sur les poids lourds et ouverture de la mission tarification :

En 2007 s’ouvre une nouvelle phase dans la problématisation, avec la proposition d’une taxe d’usage de la route pour le transport de marchandises par l’administration des Transports. Se met en place la mission tarification début 2007, dans la lignée de l’expérimentation alsacienne votée début 2005, qui devient un cadre d’expérimentation avant une éventuelle extension encouragée par la directive Eurovignette de 2006. Leur rapport de mission, rendu en juin 2007, présente la taxe kilométrique comme un péage de régulation. La recette fiscale devrait alors permettre de réguler la circulation routière tout en contribuant à financer le développement du réseau, comme l’indique la loi Finances de l’année 2008.

En savoir plus sur la loi Finances 2008

Septembre à Décembre 2007Grenelle de l’Environnement :

Le Grenelle de l’Environnement est identifié comme une source d’inspiration, faisant de la taxe le seul outil efficace pour atteindre tous les objectifs fixés. La doctrine de la gratuité des routes est définitivement remise en cause par les parlementaires avec le début de la privatisation des autoroutes en mi-2005 : l’écotaxe est envisagée comme une contrepartie face à la perte de financement induite par la privatisation. Selon O. Quoy, adjoint au chef de la mission tarification (entretien du 13. 07.2010 réalisé et cité par M. Ollivier-Trigalo (2013)) :

En revanche, ce qui a permis son avènement, c’est l’habillage environnemental. C’est ça la vraie nouveauté, issue du Grenelle, qui d’ailleurs est à manipuler avec précaution, parce qu’en fait la vraie composante environnementale, c’est la modulation selon la classe euro, et derrière, il faut être conscient que ce que l’on recouvre, ce sont les coûts d’usage et pas du tout les coûts externes. Cela étant, les outils que l’on met en place pourront sans aucune difficulté permettre le recouvrement des coûts externes, c’est plus après, une histoire de calcul de plafond et compagnie.

En savoir plus sur le Grenelle de l'environnement

2009Appel d’offre pour un contrat de PPP pour la collecte et le contrôle de la taxe poids lourds :

Cet appel d’offre est effectué à l’initiative du ministère du Développement durable, des Transports et du Logement. Il propose un contrat d’une durée de treize ans et d’une valeur de plus de 2 milliards d’euros. C’est la première fois que l’Etat à recours à une compagnie privée pour collecter un impôt depuis les fermiers généraux du XIXème siècle. Le principe du Partenariat Public-Privé (PPP) est de faire appel à des prestataires privés pour pouvoir financer, puis gérer un dispositif technique nécessaire au service publique.

L’offre déposée par la société Autostrade per l’Italia est classée première par l’Etat à l’issue de l’appel d’offre. La société s’engage ainsi à réaliser le projet d’écotaxe après signature du contrat le 8 février 2011.

En savoir plus sur le PPP avec Ecomouv'

Juillet 2009Rapport de la Commission Rocard :

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Durant sa présidence et suivant ses engagements de campagne dans le « Pacte écologique », N. Sarkozy met sur pied une commission d’experts sous la direction de Michel Rocard, connue par la suite sous le nom de “Commission Rocard”, laquelle conclut dans son rapport du 29 juillet 2009 à la nécessité de mettre en place une taxe de “Contribution climat-énergie” de 32€ par tonne de CO2 – avec par la suite une augmentation progressive. Le gouvernement annonce le 10 septembre 2009 la mise en en oeuvre au 1er janvier 2010 une taxe d’un montant initial de 17€ par tonne de CO2 émis. Une fois encore, les entreprises les plus polluantes étant exonérées, cela conduit une seconde fois à la censure du projet par le Conseil Constitutionnel malgré l’adoption du texte au Parlement le 18 décembre 2009.

2012 à 2013 : Mise en place pratique de l’écotaxe :

Le nouveau président F. Hollande s’engage en septembre 2012 à repenser la fiscalité pour taxer davantage les externalités et moins le travail. Il crée dans cet objectif un “Comité permanent sur la fiscalité écologique” le 18 décembre 2012, présidé par Christian de Perthuis et dans lequel siègent Delphine Batho et Rémy Rioux. Ils sont chargés de faire des propositions pouvant être incluses dans la loi de finances 2014 visant à financer la transition énergétique. Cette mesure est renforcée par la résolution du 4 juin 2013 de l’Assemblée Nationale demandant l’inscription de la fiscalité écologique dans le projet de loi de finances pour 2014. On voit ainsi que la taxation des coûts de la route est entièrement institutionnalisée et mise en avant comme un outil de réforme de la fiscalité.

En avril 2013, l’axe Nord-Sud de la région alsacienne est choisi comme territoire d’expérimentation de la taxe kilométrique aux poids-lourds en raison de l’instauration de l’écotaxe allemande dite «LKW-Maut» en 2005. Cette dernière est la cause d’un report du trafic sur les routes alsaciennes que L’INSEE chiffre à près de 15%, lequel accentue les risques de congestion, de pollution ainsi que toutes les nuisances associées à un usage excessif du réseau.

En juillet, le dispositif est étendu à tout le territoire national et aux poids lourds de plus de 3,5 tonnes – soit environ 800 000 poids lourds concernés dont 350 000 poids lourds étrangers.


 

stop-aux-croyances-sur-les-défunts3. L’abandon du projet

 

Automne 2013Manifestations et sabotages :

Bonnets 1Le mouvement des “Bonnets rouges” s’organise durant l’automne 2013 en Bretagne pour protester contre la taxe poids lourds, malgré les exonérations prévues par le projet de loi. Les portiques, volet de contrôle du dispositif visant à contrôler la possession des boîtiers s’offrent comme la cible matérielle et symbolique idéale : les sabotages se multiplient. Dans un contexte de conjoncture économique difficile, le mouvement est largement médiatisé et prend une ampleur certaine; devant cette forte mobilisation, le gouvernement français décide finalement de geler la mise en place du projet de loi.

Leurs arguments concernent principalement deux axes. Ils dénoncent d’une part le fait que cette taxe va à l’encontre des promesses gouvernementales faites durant le plan routier breton de 1969 et ils mettent d’autre part en relief la dimension inégalitaire de la taxe. Cette présentation hautement médiatisée de la taxe va influencer un changement de regard sur le projet de loi, rendant la taxe inacceptable pour une partie de la population et amenant in fine un repositionnement du gouvernement et du ministère de l’Écologie sur le sujet.

Mai 2014Réévaluation du projet d’écotaxe :

La Mission d’information parlementaire sur l’écotaxe déclare 13 propositions visant à aménager l’écotaxe pour permettre sa mise en place. Il s’agit en fait de remplacer l’écotaxe par un “péage de transit poids lourds” au 1er janvier 2015. Les aménagements concernent notamment la prise en compte d’une franchise kilométrique de façon à favoriser les véhicules les moins dommageables pour la route ainsi que l’économie de proximité. Les camions seraient ainsi plus ou moins taxé selon leur taille, leurs poids et le volume d’émissions polluantes – en application du principe “pollueur payeur”.

En savoir plus sur les modifications apportées à l'écotaxe

Ce nouveau projet de redevance “légèrement dégradée” devrait permettre le financement des infrastructures à hauteur de 800 millions par an – au lieu du milliard initialement prévu. Ce manque à gagner menace des dizaines de projets locaux d’infrastructures de transports “durables”. Le ministère cherche également à rediscuter le contrat avec la société Ecomouv’. On voit dès lors que la pression pesant sur l’action gouvernementale du fait des manifestations locales permet de réévaluer le projet de loi du point de vue de l’efficacité de la taxe.

Octobre 2014Abandon définitif du projet :

La ministre de l’Ecologie Ségolène Royal et le secrétaire d’Etat aux Transports Alain Vidalies suspendent sine die le projet d’écotaxe dans un communiqué commun le 9 octobre 2014 après avoir reçu les syndicats des transporteurs routiers et leur porte parole national Nicolas Paulissen.

Le 30 octobre, L’Etat rompt le contrat avec Ecomouv’, et ce pour un montant de 403 millions d’euros d’indemnités auxquelles s’ajoutent 390 millions de créances d’Ecomouv’. La société Ecomouv’ entame dès lors des plans sociaux de licenciement et revend l’intégralité du matériel à l’Etat, qui en devient par la-même propriétaire et entièrement responsable. Bien que bientôt intégralement délitée, elle se doit de conserver son statut de société afin de recevoir durant les 10 ans à venir les créances de l’Etat.

Février 2015Appel d’offres pour le démantèlement des portiques :

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L’appel d’offre sur le démantèlement des portiques est lancé le 28 février 2015 et se clôture le 30 avril – le secrétaire d’Etat aux Transports A. Vidalies l’a confirmé le 23 avril. Les 173 installations, situées sur l’ensemble du réseau routier, sont définitivement abandonnées malgré la tentative d’installation d’une loi sur le « péage de transit » en octobre 2014 après l’abandon du projet de taxation des poids lourds. La ministre de l’Environnement Ségolène Royal souligne néanmoins la volonté de réutiliser ces portiques en collaboration avec la gendarmerie, puisque la volonté de démanteler ou non les portiques est laissée au libre choix des collectivités. Ces nouveaux usages sont ainsi en cours de définition, sachant que tout ce qui ne sera pas réutilisé devrait être revendu.