La taxe, un outil efficace ?

La taxe n’est pas le seul instrument économique dont l’administration dispose pour adresser les problèmes occasionnés par les poids lourds. Si le gouvernement a choisi de mettre en place une taxe, ce choix et plus particulièrement la forme qu’elle a prise ont donné lieu à des débats

 

Taxe ou marché des émissions ?

Historiquement en ce qui concerne l’environnement, deux instruments économiques se présentent : le marché dit « des émissions » et la taxation. Les deux instruments visent le même objectif : réduire les émission polluantes.

La différence est que dans le cadre d’un marché les pouvoirs publics fixent un volume d’émissions de CO2, alors que pour une taxe les autorités fixent un prix du carbone.

marchéémissions

En 2005 a été mis en place le système communautaire d’échange de quotas d’émission par l’Union Européenne lors de la ratification du protocole de Kyoto. Le marché du carbone fonctionne sous le principe des quotas. L’Union Européenne a fixé un montant de gaz à émettre moins important que le niveau de l’époque et a mis en place un marché ou les entreprises échanger des « droits à polluer ». D’un point de vue théorique, cet instrument est considéré vertueux car il fixe un niveau d’émissions, assurant les pouvoirs publics d’atteindre leur objectif. Cependant, il ne semble pas fonctionner aussi bien en pratique.

Selon certains socio-économistes, le marché européen des quotas d’émissions de CO2 est peu efficace pour la régulation des poids lourds car c’est un secteur diffus avec de nombreux petits acteurs; la taxation est un meilleur moyen de le réguler. De même, de nombreux économistes de l’environnement soutiennent que le marché des émissions ne fonctionne qu’avec un petit nombre d’entreprises, lorsqu’on peut effectuer un contrôle strict.

La Suède est prise comme exemple de succès de la taxation. La mise en place de leur taxe carbone aurait d’une part contribué au développement de l’exploitation et de l’utilisation de la biomasse comme énergie de substitution, et d’autre part aurait mené à une réduction de la hausse des émissions polluantes de 20 à 25%.

Un autre économiste, qui envisage l’écotaxe comme une taxe environnementale, affirme dans un article, en rappelant les travaux de l’économiste Arthur Cecil Pigou, que la taxation des externalités (ici la pollution) est le meilleur moyen de contraindre les agents économiques à en prendre compte. En conséquence, l’écotaxe, fondée sur ce principe du pollueur-payeur, permet de contraindre les poids-lourds tout en valorisant les véhicules plus écologiques. Ainsi, la taxe se présente comme un instrument économique plus efficace que le marché pour contrôler les émissions de CO2.

taxethéorie

Parallèlement, on peut envisager l’écotaxe comme un moyen de financement de l’entretien des infrastructures relatives au transports. A cet égard, France Nature Environnement (FNE) défend ainsi la taxe plutôt que le  marché des émissions :

La méthode du marché ne représente en fait qu’une estimation alors que la base de la redevance ce n’est pas une estimation, c’est le coût réel de la construction des infrastructures et de leur maintenance.

Entretien avec Michel Dubromel, FNE

Certains considèrent cependant l’écotaxe comme incomplète. Des économistes rappellent dans les médias que l’écotaxe a notamment peu d’influence sur les comportements à court terme et qu’il faudrait l’accompagner de politiques de normalisation et de réglementation.

Cependant, d’autres acteurs soutiennent que si la taxe ne risque pas de faire diminuer l’utilisation des poids lourds, elle peut néanmoins pousser à l’optimisation de leur usage et in fine à une réduction, une « économisation », du nombre de kilomètres parcourus par les poids lourds.

De plus, la Direction Générale des Infrastructures, des Transports et de la Mer (DGITM) soutient du fait des différences assez nettes entre des territoires – les coûts d’utilisation des infrastructures étant variables selon les régions – que la taxe permet d’harmoniser le territoire national :

La tarification kilométrique et l’écotaxe était aussi là pour ramener un certain équilibre sur le territoire.

Entretien avec Olivier Quoy, Mission tarification

En effet, l’écotaxe portait sur les distances parcourues et s’élevait à 0,12 euros par kilomètre en moyenne. Elle était supposée augmenter le coût du transport de 4%.

Certains acteurs politiques et scientifiques parlent ainsi d’un signal prix vertueux qui informerait les producteurs et consommateurs que leurs comportements actuels ne sont pas soutenables sur le long terme. La taxe serait un signal qui viserait à faire changer les comportements. Elle semblerait ainsi être l’instrument le plus efficace pour gérer la question des émissions de carbone et le problème d’entretien des routes.

Néanmoins, ceci ne fait pas consensus dans la communauté scientifique et certains remettent fortement en question l’efficacité de la taxation des carburants dans le secteur des poids lourds. Dans un article portant sur les instruments efficaces pour le développement durable, un économiste s’est opposé  à la taxation de l’essence et des carburants en général car il considère que ce n’est pas le moyen le plus efficace pour gérer la question des poids lourds: c’est en effet une mesure générale qui a pour effet de réduire la mobilité globale du pays. Pour les poids lourds la taxe serait ainsi un instrument extrêmement sous optimal. Il met en avant le fait que la demande de poids lourds est très faiblement élastique au prix des carburants. Ceux-ci représentent en effet une faible part du coût total du transport routier, qui reste donc privilégié par les entreprises. L’écotaxe est une taxe kilométrique, mais les effets sont comparables : une taxe risquerait d’être peu efficace.

Néanmoins selon certains acteurs politiques, l’écotaxe serait particulièrement juste puisque tous les poids lourds, étrangers comme français, l’auraient payée :

L’idée de l’écotaxe était que ceux qui prenaient des axes parallèles aux autoroutes, des axes gratuits, devaient être redevables de participer à l’effort collectif.

Entretien avec François-Michel Lambert, député écologiste

Néanmoins cette justesse de la taxe a été fortement remise en cause dans les médias suite à l’annonce de la modulation de la taxe selon les régions.

 

Des conditions nécessaires à l’efficacité d’une taxe

Comme le soulèvent certains économistes, pour qu’une taxe soit efficace, il faut que celle-ci ne détruise pas le marché. Il existe au niveau de la taxation des transports le mécanisme qui dit de « répercussion » – ou de « majoration » – assurant que les transporteurs qui collectent la taxe puissent transférer une partie de leurs coûts vers leurs chargeurs.

Selon certains acteurs politiques et certains économistes, les marges des entreprises dans le secteur du transport routier tourneraient autour de 4% ou 5% pour les plus efficaces, et 2% à 3% en moyenne. Selon un rapport du Sénat, la répercussion apparaît d’autant plus nécessaire que le secteur du transport routier connaît une situation économique difficile. Il se caractériserait en effet par une importante fragmentation (environ 37 000 entreprises) et, en conséquence, par une forte présence de TPE et de PME (près de 30 000 entreprises). Il s’agirait d’un secteur structurellement en sur-capacité d’offre et le taux de marge net du secteur du transport routier de marchandises s’établirait ainsi à 1,5%. Le contexte concurrentiel européen se caractériserait également par un manque d’harmonisation du régime social des conducteurs.

Le dispositif de répercussion se veut donc protecteur, assurant effectivement le report de la taxe sur les chargeurs. Or selon certains acteurs politiques, l’écotaxe amenait une augmentation du coût du transport de 4% et le mécanisme de répercussion ne fonctionnerait plus, ce qui allait de fait évincer la marge des entreprises de transport routier. Ceci remet en question  non pas l’efficacité d’une taxe par rapport au marché des émissions mais l’efficacité de l’écotaxe, indépendamment de son but.

Le MEDEF invoque lui aussi les coûts supplémentaires qu’une telle taxe va engendrer dans un environnement économique déjà dégradé : non seulement ces coûts réduiront la compétitivité des entreprises françaises, mais ils entraîneront aussi une hausse des prix des biens livrés et donc une dégradation du pouvoir d’achat des français en Île de France. Et ce alors même que les entreprises et les consommateurs payent déjà beaucoup de taxes pour le financement des infrastructures relatives au transport.

Alain Guéry, un économiste français, soutient de même que la seule chose que parvient à faire l’écotaxe, au lieu de motiver, est de surtaxer les poids-lourds et assurer un revenu à l’Etat.

Certains économistes remettent également en cause l’efficacité de la taxe à changer les comportements de long terme si elle n’est pas accompagnée de mesures complémentaires. Les économistes français Bazart et Romaniuc, qui s’appuient sur les thèses du psychosociologue américain Edward Deci, montrent ainsi que l’enjeu environnemental est de mettre en place une politique prenant en compte les motivations internes des agents. On pourrait ainsi construire sur cette base une conscience collective, une norme sociale de responsabilité qui permettrait de résoudre le problème à long terme et à moindres coûts. Or, la taxe à elle seule est incapable de réaliser cet objectif car elle n’agit que sur les motivations externes : elle contraint à réduire les émissions polluantes pour des raisons économiques, mais elle ne motive pas les agents à le faire d’eux-mêmes.

Ainsi, si l’écotaxe n’est pas un instrument parfait, d’un point de vue écologique, elle semble être plus efficace que le marché des émissions. Cependant en ce qui concerne la politique environnementale, et qui demeure tout aussi vrai dans la question d’entretien des routes, l’écotaxe seule a été considérée comme inefficace. En ce qui concerne le financement de l’entretien des routes, une taxe rapporte un revenu supplémentaire à l’état qui lui permet de prendre en charge cet entretien serait en soi efficace.

Néanmoins, il semblerait que le simple ajout une taxe sans politique cohérente soit sous optimal. Cette constatation nous amène à nous interroger sur la place que doit prendre l’écotaxe au sein de la fiscalité.

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