Un problème d’entretien des routes ?

Si le projet initial était d’avoir un impact écologique, il semblerait que le projet effectif mené par le gouvernement Fillon ait été plutôt lié à un problème d’entretien des routes : le budget d’entretien des routes serait déficitaire à cause de l’insuffisance de la taxe à l’essieu, d’où la recherche d’une solution alternative. On part ainsi du constat de l’existence d’un surcoût d’entretien annuel des routes estimé entre 400 millions et 500 million d’euros.

 

Un outil répondant au principe de l’ « utilisateur-payeur »

L’écotaxe peut être vue non pas comme un impôt sur les transports routiers mais comme un coût d’utilisation des infrastructures routières. L’usage du réseau non-concédé est en effet gratuit en France, ce qui n’est pas optimal. On en arrive ainsi à l’idée d’une redevance fondée sur le principe de l’ « utilisateur-payeur » : les poids lourds paieraient pour leur usage d’un bien public, la route. Mis à part les biens publics, qui sont dits « non rivaux », la plupart des biens le sont, ce qui signifie que la consommation de ce bien par un agent affecte sa qualité. Il s’agit donc de modifier la vision de la route communément admise en France : la route ne serait pas un bien « non-rival » et les usagers dégraderaient ce bien en l’utilisant.

On peut mettre en avant le fait que les autres infrastructures de transport comme le réseau ferré sont déjà payantes en France, ce qui permet de financer leur entretien. Les conseillers régionaux bretons EELV Gaëlle Rougier et Guy Hasciët avancent ainsi que :

Il est normal que le transport routier, qui utilise les infrastructures routières dans le cadre de son activité, en paie un droit d’utilisation.

Europe Ecologie les Verts, Bretagne

Selon certains experts, il serait nécessaire de trouver de nouveaux moyens de financement des infrastructures, d’où le recours à une taxation des poids lourds. Celle-ci se justifie par l’utilisation plus importante de la route par les poids lourds. Par ailleurs, l’écotaxe aurait été la première taxe touchant les utilisateurs étrangers, source d’un revenu supplémentaire pour le réaménagement des infrastructures.

On voit donc que l’écotaxe peut être un moyen de faire respecter la « vérité des prix », comme le souligne le Conseil économique pour le développement durable dans sa Synthèse n°20. L’écotaxe ne serait pas un impôt arbitraire, mais une façon d’internaliser les coûts générés par les poids lourds, qui ne leurs étaient jusqu’alors pas imputés :

L’introduction de l’écotaxe PL [Poids Lourds] à un niveau de 12 c €/km était de nature à rétablir un niveau de tarification économique pour les PL sur le réseau national non concédé, qui, actuellement, ne couvrent pas les coûts qui leur sont imputables.

« Comment tarifier l’usage des routes au juste prix ? » (2013)

Certains acteurs insistent ainsi sur la particularité économique du secteur des transports. En effet, les entreprises de fret dépendent du bon entretien des routes, qui sont un bien public, pour pouvoir effectuer leur activité. Peu d’autres activités dépendent dans une telle mesure du domaine public, qui par définition doit être disponible et accessible à tous les citoyens de façon égale. Certaines entreprises de transport sont ainsi en faveur du principe de l’utilisateur-payeur :

Le domaine public appartient à tout le monde, […] notre métier est sur ce domaine public. Donc à partir d’un moment, qu’on paie le réseau ça ne me choque pas. Il faut que ce soit raisonnable mais ça ne me choque pas.

Entretien avec Patrick Lahaye, PDG entreprise poids-lourds

 

Un principe anti-républicain ?

On peut néanmoins remettre en question le fondement même du principe de l’utilisateur-payeur qui induit une taxation différenciée des usagers de la route. On peut en effet voir dans cette taxe une forme de retrait de l’État face à des devoirs établis depuis longtemps – le principe de gratuité des routes. Certains ont ainsi critiqué cette mesure qui favoriserait les entreprises privées, et a fortiori les grandes entreprises pouvant supporter les coûts supplémentaires amenés par la taxe sans faire baisser leur activité. Le chercheur québecois Yannick Barette écrit ainsi un article pour le site du Huffington Post dans lequel il déclare :

À terme, cette proposition de déresponsabilisation de l’État à l’égard de ses devoirs permettra au privé de triompher ; en fin de compte, c’est donc le patronat qui en bénéficiera !

« L’utilisateur-payeur, ou comment détruire l’Etat-providence » (2014)

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Cette idée d’utilisateur-payeur peut ainsi être vue comme un principe allant à l’encontre de fondements étatiques républicains et démocratiques établis constitutionnellement. Cette idée était également portée par le mouvement des « Bonnets rouges« qui dénonçaient une taxe injuste et favorisant le développement de grands groupes de transports aux dépens des petits entrepreneurs.

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