Quels poids lourds taxer?

Une des premières étapes de la taxation des transports routiers est la sélection de l’ensemble des véhicules qui seront taxés et les critères de taxation. C’est autour de ces modalités que s’opposent des arguments sur l’efficacité et l’équité de l’écotaxe.

Alors que certains acteurs mettent en avant l’adéquation des critères de sélection des véhicules avec les directives européennes, d’autres critiquent ces critères en montrant qu’ils peuvent avoir des effets négatifs sur l’économie nationale ou régionale.

 

Les critères de taxation

Selon les initiateurs du projet d’écotaxe, les critères de distinction des véhicules taxés ne seraient que le résultat de l’application stricte des directives européennes.

Un compte-rendu du Sénat présente la grille de taxation (en centimes d’euros par kilomètres) des véhicules en fonction de la catégorie Euro et du poids des véhicules dans le tableau suivant :

Catégorie 1 :(2 essieux jusqu’à 12 t) Catégorie 2 :(2 et 3 essieux de plus de 12 t) Catégorie 3 :(4 essieux et plus)
EURO I et avant 12,0 12,0 19,6
EURO II 10,4 11,5 18,2
EURO III 9,6 10,5 16,8
EURO IV 8,0 10,0 14,0
EURO V 7,6 9,0 13,3
EURO VI 6,8 7,0 11,9

Selon le même compte-rendu, l’article 275 du code des douanes prévoit, conformément à la directive Eurovignette III, que les taux pourraient également être modulés en fonction de la congestion de la section de tarification.

L’écotaxe concerne donc les véhicules de plus de 3,5 tonnes, ce qui est en accord avec Eurovignette II selon le Ministère de l’Environnement. En effet, cette directive impliquerait l’obligation pour les États membres de mettre en place une taxe kilométrique sur les véhicules de transport de marchandises. Pour un membre de la DGITM, c’est en appliquant cette directive que la France aurait sélectionné les types de poids lourds et la grille de taxation :

- Comment vous avez choisi les types de poids-lourds qui seraient taxés ?

- (…) Sans grande innovation on est allé voir ce qu’il y avait dans la directive Eurovignette. (…) Ce choix a été fait en 2008-2009, sur la base d’Eurovignette II à l’époque, où il était effectivement écrit que les véhicules taxés étaient ceux dont le poids était supérieur ou égal à 3,5 tonnes.

Entretien avec Olivier Quoy, Mission tarification

Bien que la France soit en accord avec les directives européennes, selon certains acteurs le choix d’un poids supérieur ou égal à 3,5 tonnes est discutable.

Le MEDEF insiste notamment sur les effets pervers de la taxe poids lourds en affirmant qu’elle pourrait avoir un impact anti-écologique. Il montre dans un rapport de septembre 2014 que ces critères amèneront une substitution vers les véhicules de moins de 3,5 tonnes et donc une hausse de la pollution en Île-de-France :

L’écotaxe va aussi entraîner la multiplication des petits véhicules de moins de 3,5T pour les livraisons urbaines, augmentant d’autant les émissions de CO2 et de particules fines à la tonne transportée.

Le MEDEF

La taxe aurait dès lors un effet négatif à plusieurs niveaux et ne remplirait pas son objectif si elle suivait à la lettre la directive Eurovignette. Non seulement la multiplication de petits véhicules augmenterait la congestion sur les routes taxées, mais elle amènerait une hausse des émissions de gaz à effet de serre, dans la mesure où ces véhicules sont plus polluants par tonne de marchandise transportée.

Un autre argument qui a été utilisé pour montrer les limites de la grille de taxation est qu’il faudrait moduler les critères en fonction du type de route et du territoire, car le secteur des transports n’est pas homogène. France Nature Environnement met notamment en avant le fait que la grille de taxation doive tenir compte des éventuels effets négatifs sur l’économie que la taxe pourrait entraîner. Il serait alors judicieux de mettre en place des exonérations pour ne pas pénaliser les acteurs économiques :

L’écotaxe trouve sa pertinence sur le transport longue distance où des alternatives à la route existent. Sur la desserte locale ces infrastructures de report manquent, aussi est-il pertinent, pour ne pas pénaliser les transports locaux, de les exonérer partiellement. En ce sens, nous avions proposé lors de notre audition par la commission une exonération journalière sur les 50 premiers kilomètres.

Michel Dubromel, site internet de la FNE

Certains économistes montrent également qu’il existe un problème de répartition impliquant de faire varier ces critères. L’utilisation du transport routier n’étant pas la même selon les territoires, il s’avère nécessaire de tenir compte des effets variables que ces critères peuvent amener selon les régions. La taxe poids lourd trouverait ainsi ses limites dans la non prise en compte de la variation de la distance à parcourir pour transporter les marchandises selon les régions :

La Bretagne est excentrée, donc plus taxée. On voit bien le problème de redistribution : ceux qui polluent plus sont taxés le plus. Donc on va défavoriser ceux qui font le plus de kilomètres. Et donc les bretons, excentrés, doivent faire plus de kilomètres.

Entretien avec François Lévèque, économiste

 

La question des véhicules étrangers

C’est dans la question de la taxation des véhicules étrangers qu’on retrouve la tension entre intégration européenne et nécessité de ne pas pénaliser l’économie nationale. D’après les estimations du Ministère de l’environnement, près de 800 000 véhicules devraient être assujettis, à raison de 550 000 français et 250 000 étrangers.

Pour certaines entreprises de transport, il y a d’abord un problème de compétitivité. En effet, les poids lourds, qui sont « l’outil de travail du transporteur », ont comme particularité le fait que leur coût de déplacement est très faible au kilomètre. Le salaire des conducteurs de poids lourds des pays de l’Est de l’Europe étant bien inférieurs à celui des français, les transporteurs de ces pays sont très mobilisés en France. Cela pose des problèmes de congestion et de pollution puisqu’ils se déplacent depuis leur pays d’origine. Il peut ainsi être profitable pour les poids lourds de faire des allers-retours de leur pays d’origine à la France, même pour transporter des marchandises à l’intérieur de la France, d’où des pertes de compétitivité de la part des entreprises françaises mises en relief par certains chefs d’entreprises :

Aujourd’hui on est en compétitivité permanente avec un transporteur bulgare, ou slovaque, lituanien, lettonien, polonais, avec des niveaux de rémunération qui ne sont pas du tout, du tout celle de nos conducteurs.

Entretien avec Patrick Lahaye, PDG entreprise poids-lourds

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La RCEA, un carrefour européen

 

Malgré ce problème insoluble, il semblerait que l’écotaxe puisse résoudre certains problèmes de congestion liés aux poids lourds étrangers circulant sur les routes françaises. En effet, la France étant un carrefour européen, la multiplication des poids lourds étrangers sur les routes amène une forte congestion. Celle-ci peut notamment être à l’origine de problèmes de sécurité routière selon certaines entreprises de transport : la RCEA (Route Centre-Europe Atlantique) est une des routes les plus dangereuses d’Europe et 90% des camions qui y circulent sont étrangers. La taxe permettrait ainsi de réduire la congestion en incitant à une diminution du trafic et à l’utilisation d’autres routes. Un chef d’entreprise de transport cite ainsi l’Allemagne, en affirmant que la LKW-Maut aurait permis de résoudre ces problèmes de congestion et de sécurité routière :

 

C’est une route qui est non taxée et hyper dangereuse, donc il faut dire stop. Donc l’Allemagne a solutionné le problème parce qu’ils avaient un réseau routier gratuit, ils ont mis un système d’écotaxe il a fonctionné.

Entretien avec Patrick Lahaye, PDG entreprise poids-lourds

Cependant, le problème de la taxation des routes est qu’elle ne peut s’appliquer uniquement aux poids lourds étrangers, qui seraient pourtant une des causes principales de la congestion. La taxe doit donc qu’elle doit s’appliquer à tous les poids lourds, comme le montre le directeur général d’Eurotoll :

Ce qui est paradoxal c’est que cette écotaxe est à peu près l’impôt le plus juste qu’on ait trouvé entre les français et les étrangers puisque les étrangers la payent aussi.

Entretien avec Philippe Duthoit, PDG d’Eurotoll

Ainsi, il existe une tension entre nécessité de taxer les véhicules étrangers à cause de la perte de compétitivité de la France et impossibilité de le faire à cause de la législation communautaire.

On retrouve justement cette contradiction chez Ségolène Royal, qui, suite à l’abandon de l’écotaxe, avait proposé une taxe sur les véhicules étrangers, projet immédiatement critiqué par Michel Sapin qui avait rappelé le principe de libre-circulation dans l’Union Européenne.

Comme nous venons de le voir, le choix des véhicules taxés est fondamentalement lié au type de routes qui seront soumises à la taxe. C’est pourquoi nous vous proposons maintenant de voir les problèmes posés par la sélection des routes taxées.

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