Comment utiliser la recette fiscale ?

Pour de nombreux acteurs, l’efficacité de la taxe est subordonnée à l’affectation qu’on fait de la recette fiscale. Celle-ci est un choix politique témoignant du but de la taxe. On retrouve ainsi la question de la définition du principe qui la guide que nous avons abordé au début de cette étude.

 

Financer les infrastructures ?

D’après les estimations du Gouvernement, la taxe poids lourds devait rapporter environ 1 200 millions d’euros par an, dont l’affectation serait la suivante :

Ainsi la taxe semblait avoir comme but, ne serait ce que par l’affectation de ses recettes, l’entretien des réseaux de transport. En ce sens la taxe était rendue efficace par son affectation : supposée rapporter environ 1 200 millions d’euros par an, ceux ci seraient employés pour financer des voies de circulation.
Néanmoins, de nombreux acteurs ayant participé dans le processus ont considéré la taxe sous-optimale. En effet, une taxe qui aurait simplement pour but d’assurer l’entretien des infrastructures n’est pas considérée comme efficace dans le long terme. Les recettes de la taxe, selon eux, devraient être utilisées pour assurer un développement durable. Se présentent alors diverses solutions.

 

Utiliser les recettes de la taxe pour favoriser le report modal?

Certains acteurs de différents secteurs et notamment des entreprises de transport se sont prononcés en faveur de l’affectation d’une partie des recettes de la taxe à l’incitation du report modal, dans un objectif de plus long terme. L’idée serait alors de taxer dans l’optique de permettre le développement durable via l’affectation des recettes :

Que ça serve à 50% pour restructurer les routes et que ça serve à 50% pour le report modal.

Entretien avec Patrick Lahaye, PDG d’une enterprise poids-lourds

Cependant, d’autres acteurs politiques soulignent que la taxe aurait été en elle-même suffisante pour favoriser le report modal. C’est notamment la position de France Nature Environnement, qui défendait l’instauration de l’écotaxe jusqu’à son abandon :

Ça aurait été aussi symbolique de dire que comme le fluvial et comme le ferroviaire, l’usage de l’infrastructure se paie (…) Ça aurait permis d’avoir une traitement équitable entre les différents modes de transports.

Entretien avec Michel Dubromel, FNE

L’impact de la taxe sur les comportements a donc été sujet à controverse du fait des diverses interprétations des études de report de trafic et d’oppositions au niveau des principes sous-tendant la taxe. Comme vous pouvez le voir ci-dessous, il semblerait que l’écotaxe n’entraîne pas de véritable évolution du secteur ferroviaire. Si c’est un problème pour les défenseurs du report modal, ce n’en est cependant pas un pour les défenseurs du principe de l’utilisateur-payeur qui envisagent l’impact à plus long terme et se préoccupent avant tout du financement des infrastructures.

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L’écotaxe, une contrainte écologique nécessaire ?

Du point de vue écologique, cette taxe envoyait un signal prix assez fort en ce qui concerne l’utilisation des poids lourds comme moyen de transport. Dans une perspective écologique, l’écotaxe était en accord avec le schéma global d’une croissance verte. En tant que taxe kilométrique elle consistait en un alourdissement de la taxation de l’utilisation de moyens de transport polluants.

Certains scientifiques considèrent ainsi que l’écotaxe, bien qu’amenant des effets économiques indésirables, doit être instaurée car l’écologie doit passer avant la prospérité économique :

A force de vouloir “positiver” l’écologie, de nier qu’elle est d’abord – avant, peut-être, de devenir une nouvelle voie de progrès – une contrainte pénalisante pour l’économie, on la rend illisible et l’on s’interdit de faire accepter les sacrifices qu’elle implique.

Entretien avec Bernard Perret, économiste

Par ailleurs les économistes Baumol et Oates qui ont publié The Theory of Environmental Policy (1975) soutiennent que les agents pauvres et riches accordent différents degrés de priorité à la protection de l’environnement. Si l’on considère l’environnement comme un bien normal, les plus riches consentent à payer un prix plus élevé pour une amélioration de la qualité environnementale. De plus le poids de la taxe est réparti entre des agents aux revenus différents et toute politique environnementale est susceptible d’être régressive. Néanmoins, d’autres acteurs s’opposent à cette idée : la taxation des poids lourds pourrait accomplir le principe de double dividende.

 

La question du double dividende

Le principe de double dividende suppose que l’instauration d’une taxe environnementale permet d’obtenir à la fois un bénéfice écologique et un bénéfice économique. La question du double dividende est intrinsèquement liée à l’affectation des recettes de la taxe, voire même subordonnée à celle-ci. Cette notion permet d’envisager la taxation d’un point de vue positif, pas uniquement comme quelque chose de pénalisant.

Le principe du double dividende

Le double dividende repose sur deux principes fondamentaux :

  • Amélioration de la qualité de l’environnement via l’instauration ou l’augmentation d’une taxe environnementale («premier dividende»)
  • Augmentation du bien-être social en diminuant les distorsions provoquées par le reste du système fiscal («second dividende»).

Il y a une « forme faible » du double dividende, qui permet de réduire l’impact distorsif de la taxe, et une « forme forte » qui vise à la neutralisation totale de l’effet distorsif. Selon certains scientifiques, il y a des conditions d’existence du double-dividende bien particulières :

  • Le système fiscal initial doit être fortement sous-optimal et présenter de grandes différences entre les charges mortes exercées par les différentes taxes.
  • La taxe environnementale doit porter a posteriori sur un bien ou un facteur de production peu touché par des distorsions à l’origine, pour que la distorsion engendrée soit la plus faible possible.

Il faut donc, pour que le principe puisse être appliqué, qu’il existe une catégorie d’agents pouvant porter le fardeau additionnel de la nouvelle taxe. Par ailleurs, selon certains économistes, les taxes sur le travail sont sources d’extrêmes distorsions sur les pays de la zone euro. Il y a donc une grande marge de manœuvre existante pour le « verdissement de la fiscalité » dans les pays européens.

Selon d’autres économistes du transport, qui ont étudié la question de la taxation des poids en lourds, une taxation sur les externalités de ceux ci n’est pas, sur une base théorique, forcément positive. En effet, une telle taxe créé des distorsions non seulement sur le marché des poids lourds en jouant sur la demande de ces véhicules mais aussi sur le marché du travail et sur le marché de transports de passagers.

The welfare gain of freight tax reform rises with the level of the passenger tax, but the optimal freight tax declines at higher taxes on passenger transport. Substantial net benefits of tax reform are obtained only under labor tax recycling of the revenues.

E. Calthrop, B. de Borger, S. Proost (article)

Ainsi ladite taxe ne serait efficace et n’améliorerait le bien être général que si deux conditions principales et cumulatives sont réunies. Il faut d’une part que les transports de passagers ne soient pas sous taxés; et d’autre part que les revenus de la taxe soient recyclés sous la forme de diminution des taxes sur le travail. En effet une taxe sur les poids lourds augmente nécessairement le coût du transport et donc le prix du bien de consommation final. Une telle taxe mène ainsi à une augmentation des prix et de fait à une réduction du salaire réel. Cette réduction entraîne à son tour une réduction de l’offre de travail qui exacerbe les distorsions de ce marché.

L’écotaxe respecte-t-elle le principe du double dividende?

De nombreux organismes régionaux et nationaux se sont manifestés contre cette taxe qui, à défaut d’être accompagnée d’une réduction des charges du travail ou d’une reformulation de la fiscalité, n’était qu’un poids supplémentaire sur les transporteurs français.

Le syndicats de transporteurs européen OTRE, par exemple affirme que l’écotaxe ne serait qu’un impôt supplémentaire qui pèserait sur l’économie sans même avoir de conséquence écologique. Il rappelle que le gouvernement a fait un engagement lors du Grenelle de l’Environnement en affirmant le « principe de neutralité de toute nouvelle taxation sur les charges des PME ». Or, l’écotaxe serait précisément une disposition introduisant la répercussion de la taxe kilométrique sur les clients des PME de transport routier. Ce serait donc les PME françaises qui supporteraient cette taxe. L’OTRE demande dès lors une baisse des autres taxes sur les transports routiers (TIPP, taxe professionnelle, taxe à l’essieu), sans quoi il y aurait une augmentation de la circulation des camions étrangers sur les routes françaises et une dérégulation conséquente du marché intérieur.

Selon certains sociologues et économistes, si l’écotaxe avait été accompagnée d’une réduction des charges sur le travail, les contestations – notamment bretonnes – n’auraient pas été aussi fortes. Il y a un réel débat sur l’économie bretonne depuis des années : on constate qu’un des problèmes est la faible valeur ajoutée de la toute la production bretonne, à quelques exceptions près. En général c’est de la production de première transformation, du produit brut. Les industries bretonnes sont rarement des industries à deuxième ou troisième transformation. Ainsi une taxation du transport pèse forcément sur cette industrie, ce qui était une des revendications principales des Bonnets rouges.

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