Quelles conséquences dans les sphères médiatique et politique ?

28 mars 2015

La manière dont se structure le champ scientifique a des conséquences sur la manière dont s’organisent et sont relayés les débats dans les sphères politiques et publiques.

14.1

Le revenu de Base dans la Presse

 

Des fondements scientifiques incertains…

 

La pluralité des théories et le manque de justifications scientifiques pour les fonder font fréquemment paraître le Revenu de Base comme une idée utopique, irréalisable et confuse. Les expérimentations du Revenu de Base dans le monde, quand bien même relevant de la pratique, en sont une bonne illustration. Ces expériences ont été conduites sous diverses modalités et dans des Économies très différentes. Celles-ci ont par exemple pris la forme de transferts de monnaie liquide à 6000 villageois pendant 18 mois en 2011 au Madyah Pradesh (Inde) ou encore celle depuis 1982 en Alaska d’une redistribution de la rente pétrolière aux membres de la communauté via la somme de 1884 dollars par an (source : Alaska Permanent Fund Corporation, chiffre 2014). Cette grande hétérogénéité ne permet pas aux acteurs de conclure quant aux conséquences effectives à long terme qu’aurait la mise en place d’un Revenu de Base sur l’économie et le travail. Or, les journalistes n’ont pas été les premiers à se pencher sur le Revenu de Base, leurs travaux se basent sur les publications de chercheurs, ils se font le relais de ce débat hétéroclite.

…pour un débat médiatique à visée didactique

 

C’est pourquoi, dans la littérature de presse au sujet :  »Revenu de Base », l’immense majorité des articles ont un objectif de vulgarisation dans le but de sensibiliser à ce débat compliqué. Beaucoup d’entre eux sont similaires au niveau du contenu. Un nombre conséquent des articles de presse à ce sujet a d’ailleurs été écrit par des individus qui ne sont pas spécialistes de la question et pour qui l’article représente la seule parution à propos du revenu de base. Pour autant, les grands quotidiens se font également les portes parole d’universitaires ou de militants qui défendent la proposition dans des tribunes, entretiens ou autres articles dans la rubrique “Idée”.

Titre de presse 4 - LMD - Mylondo - mai 2013

Une démocratisation « par le bas »

 

Ainsi, outre Le Monde, Le Monde Diplomatique ou La Croix en France, on remarque la publication de nombreux articles issus de quotidiens régionaux dont le but est de relayer les événements de débats locaux autour du Revenu de Base.

Titre de presse 3 - La Depeche - 24 fevrier 2014Titre de Presse 2 - Ouest France - 29 mars 2013

Titre de presse 1 - la Voix du Nord - 3 octobtre 2013

(source : europresse)

La représentation dans les médias du Revenu de Base est donc significative de l’état du débat scientifique. Elle illustre un sujet peu accessible et dont les modalités de mise en place et la compréhension nécessitent un savoir technique relativement inaccessible au premier abord.

14.2
Les paradoxes du Revenu de Base en politique

 

Ce phénomène de dispersion du débat est donc sans surprise également présent en politique. La sphère politique a dans un premier temps été étanche à la problématique du Revenu de Base.

Le Revenu de Base ?

« C’est l’utopie des utopies »

Laurent Fabius en 2012


Une idée marginale qui séduit ou heurte tant à gauche qu’à droite

 

Cette dernière a émergé sous l’impulsion de la sphère scientifique et surtout de Philippe Van Parijs dans les années 1980 avec l’influence croissante des partis écologistes.

“Le premier cycle d’intérêt pour l’idée […] au début des années 80, (est) très fortement lié à l’émergence des partis écologistes. […] Les verts ont joué un rôle très important […]. Ce n’est pas un hasard si Philippe Van Parijs a lancé le débat au sein du parti écologiste belge francophone […].”

Yannick Vanderborght

Pour autant l’idée a connu une diffusion limitée. Elle est mal connue ou délaissée de la plupart des politiques, en témoigne cet extrait d’une séance du 23 octobre 2008 au Sénat concernant le RSA et où M. Desessard, sénateur écologiste tente de soulever la proposition d’un Revenu de Base universel, voici le dialogue qui s’ensuit :

- Mme Bernadette Dupont, rapporteur : « M. Desessard n’aurait-il pas voulu écrire « sous condition de ressources » au lieu de « sans conditions de ressources » ? Je ne comprends pas très bien sa proposition : s’agit-il de mettre en place un revenu d’existence identique pour tous, même pour les riches ? […] Quoi qu’il en soit, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement […]« 

- Mme la présidente : « Quel est l’avis du Gouvernement ? »

- M. Martin Hirsch, haut-commissaire) : « Le Gouvernement est défavorable à votre amendement, Monsieur Desessard, puisque c’est moi qui m’exprime. Vous auriez peut-être trouvé une oreille plus attentive chez ma collègue Christine Boutin, ministre du logement, qui est très favorable à cette idée. […] »

- M. Jean Desessard :  « Je sais que Mme Boutin n’est pas opposée au revenu universel d’existence, mais c’est une position très minoritaire à droite. Vous aviez l’air de dire que c’était une idée de droite très largement partagée. Il n’en est rien !« 

 Puis quelques minutes plus tard :

 

- Mme la présidente : « Je mets aux voix l’amendement n° 153. »
(L’amendement n’est pas adopté.)

- Mme Marie-Thérèse Hermange (sénatrice UMP) : « M. Desessard est bien seul ! » (Sourires.)

- M. Jean Desessard « Je suis quand même un peu déçu ! » (Nouveaux sourires.)

 

Cette idée est donc aujourd’hui défendue par des mouvements minoritaires ou des personnalités politiques. Chacun possède sa propre conception du Revenu de Base. Cependant, cette mesure est originale parce qu’elle séduit les deux bords de l’échiquier politique : elle est défendue à droite (notamment par Christine Boutin et les Chrétiens démocrates ou Dominique de Villepin) comme à gauche (avec Nouvelle Donne ou Europe Écologie Les Verts par exemple). Pour autant, le consensus est loin d’être atteint.

“L’état providence à toujours été la voie médiane. Du coup le projet est critiqué des deux côtés : pour la gauche on risque de casser l’organisation collective,  de nier sa légitimité et de laisser les individus seuls face à l’adversité. La gauche est attachée à l’idée que le groupe “fait sens”,tandis que la droite se focalise sur la réciprocité entre individus.

Le revenu de base heurte le cœur de l’identité politique des deux camps.”

Elisabeth Tovar

 

Le Revenu de Base une idée « à l’agenda » du Politique ?

 

Marc de Basquiat l’affirme: “l’idée est parfaitement connue du monde politique », néanmoins les partis majoritaires se montrent plus réservés. En supposant qu’aujourd’hui les politiques mises en œuvre (ici en matière de protection sociale) se font à la marge, il est logique d’en déduire que la vraie question aux yeux des politiques n’est pas d’implémenter ou non une mesure aussi risquée à leurs yeux mais plutôt comme le résume Gilles Saint Paul, d’arbitrer : ”qu’est-ce qui est plus désirable entre le Revenu de Base ou investir dans l’éducation par exemple ?”. Ce questionnement pratique fait partie d’une problématique plus globale sur la temporalité de l’action politique. Implanter un Revenu de Base supposerait une mise en place à long-terme tandis que l’organisation politique actuelle envisage le temps politique à court-terme.

“Une réforme telle qu’un revenu de base dépasse l’horizon politique d’un mandat. Une refonte totale de notre système dépasse le temps politique qui est de 4 ou 5 ans. La mise en place supposerait une continuité sur 15-20 ans.”

Marc de Basquiat

De plus, que ce soit au sein de la presse ou des militants du Revenu de Base on anticipe une forte opposition de la part des syndicats.

“(Un des freins les plus importants) est la peur qu’un revenu de base remette en cause ce qui existe en termes de protection sociale. C’est très fort chez les syndicalistes, dont l’activité a permis de renforcer cette protection sociale. […] Donc une solution universelle, les salariés s’en contenteront et arrêteront toutes les luttes.”

Marc de Basquiat

Enfin, les politiques sont sceptiques quant à l’applicabilité d’une telle mesure et son financement. C’est avant tout une idée qu’il est possible de mettre en place en période de croissance et souhaitable en période de crise. Elle représente ainsi une idée  »contra-cyclique » (Yannick Vanderborght). A cela s’ajoute un obstacle culturel : comment faire évoluer la place du travail alors que l’injonction à travailler ainsi que l’association entre emploi et revenu sont ancrées très profondément dans l’esprit collectif. De plus, ces phénomènes sont exacerbés par la présence d’un chômage de masse.

En définitive, les débats au sein du monde politique bien sûr présents relèvent en grande partie de l’informel (en témoigne l’absence de littérature grise sur le sujet). Cette année cependant, le revenu de base a suscité un vif intérêt dans la sphère politique. Le Conseil Fédéral Suisse s’est penché sur la question, dans le cadre de l’organisation d’une votation (référendum) pour 2016 sur la mise en place d’un Revenu de Base dans le pays. Il s’est prononcé contre cette mesure, qui créerait selon lui de trop grandes distorsions économiques.

Il y a également eu très récemment une journée organisée au Sénat autour du Revenu de Base à laquelle nous avons pu assister le 19 mai 2015.