Marc de Basquiat -

Ingénieur et économiste
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Source de l’image: gensol.arte.tv

Nous avons également réalisé une fiche personnelle sur Marc de Basquiat, à trouver ici, ainsi qu’une étude sur sa modélisation du revenu de base, à trouver ici.

 

Entretien Marc de Basquiat

Entretien réalisé le 31 mars 2015 dans la tour Areva à La Défense (92).

Ingénieur de formation, Marc de Basquiat a ensuite largement contribué à l’évolution de la réflexion sur le revenu de base. Très engagé, il a adhéré à plusieurs mouvements, comme l’AIRE ou le BIEN et a contribué à la création du MFRB. Sa formation scientifique, inédite dans ce domaine, fait de lui l’un des seuls à avoir modélisé les effets d’un revenu de base. Son travail a permis de propulser l’idée d’un revenu de base, notamment dans le champ politique, en donnant du crédit à cette idée, preuves concrètes à l’appui.

D’où est venu votre intérêt pour le revenu de base ?

Par son travail, a connu une situation particulière puis a lu des livres. Rendu compte de plein de problèmes dans le fonctionnement du système français de protection sociale. Puis raisonnement d’ingénieur : quand quelque chose ne fonctionne pas bien, il cherche à l’améliorer.

Raisonnement : on observe un dysfonctionnement, on cherche une solution. Si possible la plus simple des solutions.

« A la place du RMI, des allocations, des impôts compliqués, on peut mettre quelque chose de très simple à la place. J’en suis arrivé à la conclusion qu’on pourrait faire quelque chose de très simple alors qu’on faisait très compliqué »

« Il est écrit dans le Liber qu’on peut faire quasiment l’équivalent de ce qui existe déjà, mais avec des moyens très simples »

Vous inscrivez vous dans un groupe ou un courant de pensée par rapport au revenu de base ?

«Au départ je suis arrivé seul, j’ai tâtonné. Puis j’ai rejoint le réseau international du BIEN. Après avoir adhéré à cela, j’ai cherché à travailler avec des personnes en France. Par le BIEN je suis entré en relation avec un professeur d’économie de l’université d’Aix en Provence, rencontré lors d’un déplacement professionnel. A l’époque, j’avais déjà un petit site web. Il m’a dit que ce que je faisais était intéressant, parce qu’à l’époque on avait du mal à trouver des gens que l’allocation universelle intéressait ; et donc il m’a demandé si je ne voulais pas faire une thèse sur le sujet. Je me suis mis à faire une thèse comme ça, à presque 40 ans. C’était un peu fantaisiste à première vue. […] J’ai donc finit par faire ma thèse, en 5 ans, sur ce sujet-là ».

Voilà pour les étapes qui ont mené à Marc de Basquiat au cœur de ce sujet.

Après avoir adhéré au BIEN, il a adhéré à l’AIRE, cofondée par Yoland Bresson.

En 2012-2013 a été fondé le MFRB.

Marc de Basquiat est président de l’AIRE depuis décembre 2014, après la mort brutale de Yoland Bresson en août.

Comment s’y retrouver dans toutes les conceptions différentes du revenu de base que l’on retrouve dans tous ces mouvements ?

«Il y a trois racines à cette idée en France. Il y a pour moi les personnes qui viennent au revenu de base parce qu’elles ont un souci de l’égalité. D’autres de la liberté et d’autres de la fraternité. »

Cela permet de comprendre, bien que l’approche soit caricaturale.

« Toute une école libérale, de gauche et de droite défend cette idée-là, même s’ils ne s’apprécient pas forcément entre eux. Cette idée est que l’être humain peut se réaliser s’il bénéficie de la liberté de ses actes. C’est dans cette dimension de Van Parijs parle : l’individu doit avoir un socle lui garantissant de quoi subsister, ce socle permettant de poser des choix. Dans ceux qui défendent cette idée, beaucoup soutiennent l’impôt négatif, comme Friedman, d’autre l’allocation universelle de Van Parijs. Tout cela c’est l’approche libérale, ou libertaire. »

« Pour l’égalité, on retrouve des auteurs comme Baptiste Mylondo. Il s’inscrit clairement dans une optique de gauche. Il se positionne comme décroissant. La dimension égalité ressort lorsqu’il parle d’un revenu minimum pour tous mais également d’un revenu maximum. […] C’est une approche un peu différente, de l’égalité, la sobriété, l’écologie. Ceux-là n’ont rien en commun avec les premiers. Beaucoup de militants du MFRB ont une approche proche de celle de Baptiste Mylondo. »

« La troisième approche est celle de la fraternité. Par exemple, Warren Buffet a écrit que s’il était né dans un pays comme le Zaïre ou le Burundi, il ne serait jamais devenu milliardaire, même en fournissant le même travail et en ayant le même talent. Etant aux USA, il a pu amasser des milliards. On retrouve la vision de Yoland Bresson qui conclut que la richesse dont nous bénéficions vient énormément de l’héritage reçu par les générations passées, de la famille évidement mais aussi de la société toute entière dans laquelle nous vivons. Comme on a reçu cette richesse il paraît tout à fait légitime de la redistribuer. Yoland Bresson a évalué quelle part du PIB devrait être redistribué sous la forme d’un revenu universel et est arrivé à environ 14-15% du PIB, qui doit circuler et être mis en commun, puisque c’est la part du revenu national qui est un héritage donc ne peut être privatisé de quelque manière que ce soit. Dans la partie fraternité on retrouve également la notion de revenu de citoyenneté, avec Jean-Marc Ferry, ce qui l’oppose un peu à Van Parijs, même si cela revient au même sur les estimations chiffrées (environ 15% du PIB)»

Yoland Bresson un peu plus tard en cherchant un moyen de financement, a fait un plan en 5 ans. L’Etat devrait d’abord faire un emprunt avec un remboursement qui se fait de manière plus ou moins explicite. « A part lui il n’y a pas grand monde qui arrivait à défendre ce truc. Plus récemment, il a parlé de la création d’un eurofranc pour pallier les contraintes de l’euro : l’Etat français pourrait alors financer un revenu universel dans une méthode s’apparentant à de la création monétaire. »

Personnellement, de quelle approche vous sentez-vous le plus proche ? La liberté ?

« Moi je me mets dans tout. Je comprends le besoin qu’expose Baptiste Mylondo, d’arrêter la course à la richesse avec le côté suicidaire de bousiller la planète. Ensuite la liberté est quelque chose de cher à mon cœur, donc je crois beaucoup à la notion de liberté, sans être être dans la caricature libérale qu’assume Gaspard Koenig. Je crois beaucoup en la fraternité, je pense que c’est de là que j’en suis venu au revenu de base. Nous sommes dans un pays riche et que des gens n’aient pas de quoi manger, c’est aberrant, c’est insupportable. La base de tout est là. Dans une nation, chacun à droit à un minimum. »

Les différences de conviction idéologique peuvent-elles se résumer à des différences de montant ?

« Ceux qui savent compter calculent un montant réaliste, ceux qui ne savent pas compter rêvent, pour dire les choses un peu brutalement. A ceux qui veulent un montant de 1200 euros sinon rien, on explique qu’en multipliant par le nombre d’habitants on arrive à un coût supérieur au PIB. Ça n’a aucun sens. Cela a un côté irritant parce que cela décrédibilise complètement notre proposition. Un politique, qui est un peu instruit et a un peu de réflexivité ne s’attarde pas lorsqu’il voit passer des chiffres pareils. »

« Ce qui est pénible c’est qu’il y en a qui font des propositions tellement délirantes d’un point de vue économique que cela décrédibilise tout le reste. Une fourchette qui économiquement a du sens, c’est entre 400 et 600 euros. Je ne dis pas que c’est ce que je préfère comme montant, je dis que c’est ce montant qui est faisable ».

Marc de Basquiat aborde ensuite le MAUSS.

« Le MAUSS a été fondé par le sociologue Alain Caillé. En 1996 il a sorti le n°7 consacré à la question du revenu de base. Alain Caillé est partisan de cette idée, mais insiste beaucoup sur l’importance d’articuler cela par rapport au reste, il ne faut pas être naïf. Il parle notamment d’inconditionnalité conditionnelle. Alain Caillé est d’ailleurs entré récemment au conseil scientifique de l’AIRE. L’idée de Caillé rejoint celle de l’égalité puisqu’il est également question d’un revenu maximum, de la fraternité c’est évident, et de la liberté également puisque chacun est libre de faire ce qu’il souhaite avec ce revenu. Nous sommes assez proches : comme moi, il s’intéresse aux trois logiques fondamentales. »

D’un point de vue économique, pourrait-on avoir un même revenu de base pour ceux qui défendent la liberté et pour ceux qui défendent l’égalité ?

«Bien sûr, le livre que j’ai fait avec Gaspard Koenig, j’aurais pu le faire avec d’autres. Avec une introduction et conclusion différentes, mais tout le corps, la partie technique, serait identique. »

On a l’impression qu’un revenu à 450 euros permet de lutter contre la grande pauvreté, mais comment apporter plus d’égalité, faire baisser la pauvreté relative ?

« Il faut savoir de quoi on parle : égalité des chances ? Monétaire ? C’est un sujet compliqué. Mettre tout le monde avec strictement le même revenu, cela s’appelle du bolchévisme. »

« Pour plus d’égalité, Baptiste Mylondo propose d’encadrer les choses. Pourquoi pas mais il faut être prudent».

Quels sont les effets envisagés sur le marché du travail ? Qu’en est-il du SMIC ?

Le SMIC est une question épineuse.

« Il y a un SMIC apparent et un SMIC réel. L’objectif du SMIC étant de soutenir le pouvoir d’achat du salarié, on arrive à un salaire qui n’est pas économiquement soutenable pour les entreprises. Il faut reconnaître que pour les employeurs, il est parfois trop élevé par rapport à la concurrence d’autres pays. D’où le SMIC réel, où l’exonération Fillon et le CICE abaissent très significativement le coût pour l’employeur. Ce sont des mécanismes compensatoires pour avoir un SMIC apparent élevé mais un SMIC réel nettement plus faible. »

« En toute rationalité, le SMIC est une aberration économique, car il perturbe considérablement les ajustements intervenant sur le marché du travail. Il serait donc assez légitime d’abaisser le niveau du SMIC en même temps qu’on introduit le revenu de base.  , Ceci permettrait de se passer des mécanismes (assez tordus) de compensation, sans que cela change quoique ce soit pour l’employeur comme pour le salarié. C’est une des options. »

La question de l’aménagement ou non du SMIC avec un revenu de base est un débat. Peu de monde propose sa suppression.

« Il faudrait probablement un aménagement du SMIC, mais pour ce qui est de la solution optimale, on ne sait pas vraiment. Nous avons fait des simulations mais qui n’ont pas vraiment aboutit. C’est très compliqué, il y a plusieurs niveaux à traiter. »

Mais cela rejoint aussi la question de la valeur travail, avec l’idée que le SMIC peut aussi permettre de donner l’impression qu’avec son travail à soi, on arrive à vivre. Là on reste sur le revenu sans parler du travail.

« On peut aborder ça de manière positive ou négative. La manière négative est l’injonction à travailler, qui fait partie du fond de notre culture. C’est négatif car c’est une contrainte de la société sur les individus. Mais de manière positive, on regarder le travail objectif, l’objet produit, mais aussi le travail subjectif, c’est-à-dire le sujet qui travail. On peut arriver à la conclusion que travailler est bon pour la personne. On rejoint Marx de cette manière. Le travail est globalement positif pour la personne. Mais le travail n’est pas que salarié, on peut avoir un rôle positif dans la société en étant dans la sphère domestique ou bénévole. On mélange souvent les deux considérations : injonction à travailler et réalisation par le travail. »

Que pensez-vous de la proposition de Jean-Marie Harribey, de remplacer le droit au travail par le droit à un palliatif, en lien avec la robotisation ? Pensez-vous que c’est la robotisation qui a mis le revenu de base sur le devant de la scène ?

« C’est lié, évidemment. Le vice-président de l’AIRE, Jacques Berthillier, explique régulièrement que le revenu de base a vocation à augmenter, puisqu’en réalité ce qui est distribué c’est le salaire des robots. Cela rejoint la question de l’héritage des générations passées. L’automatisation contribue à cela. Cela laisse une liberté d’exercer des activités qui ne sont pas salariales, artistiques, bénévoles… Il n’y a pas de raison pour que le salariat augmente, et il suit même la tendance inverse du fait de l’automatisation. »

Qu’en est-il des travaux qui ne sont pas forcément automatisables, le dirty work ? Faudrait-il le partager ?

« C’est utopique de penser qu’on ira tous une mois par mois ramasser les poubelles. »

« On fait tous du dirty work au niveau privé, s’il fallait le partager, peut-être. »

Mais y aura-t-il encore des gens pour vouloir effectuer ces travaux ?

« Je pense que le progrès technique fait que le dirty work va tendre à disparaître. Il suffit de penser à l’état du travail il y a 100 ans. »

Comment expliquer que l’idée d’un revenu de base ne soit pas soutenue politiquement en France, au moins pour les partis principaux, alors que notre système fiscal est extrêmement critiqué ?

« Un premier niveau de réponse : une réforme telle qu’un revenu de base dépasse l’horizon politique d’un mandat. Une refonte totale de notre système dépasse le temps politique qui est de 5 ans. La mise en place supposerait une continuité sur 15-20 ans. L’échelle de temps est donc le premier obstacle. Dans notre démocratie, le politique ne sait plus gérer un temps long. Quand on leur parle, ils pensent que ce n’est pas pour eux. Une piste pour avancer consiste à décomposer en périodes de court terme. Par exemple travailler pour que la prime d’activité se rapproche le plus possible de quelque chose qui, dans le futur, pourrait ressembler à un revenu de base. Il faut que ce soit le plus individuel possible. Dans notre pays, pour tous les dispositifs, on prend en compte les foyers, ménages… C’est compliqué, il faudrait commencer par une individualisation des prestations».

« Le deuxième frein le plus important est la peur qu’un revenu de base remette en cause ce qui existe en termes de protection sociale. C’est très fort chez les syndicalistes, dont l’activité a permis de renforcer cette protection sociale. Ils y sont très attachés car ils ont travaillé avec acharnement dans ce sens. Leur crainte, c’est qu’avecune solution universelle, les salariés s’en contenteront et arrêteront toutes les luttes. »

Pourtant on a l’impression que beaucoup de choses restent avec un revenu de base comme l’allocation chômage, le salaire minimum…

« Oui, ce n’est qu’une crainte, qu’on peut dissiper par une discussion un peu approfondie. »

Pourquoi ne pas inclure l’aide au logement dans le revenu de base ?

« Certains héritent d’un logement à la naissance. Selon la zone géographique, et l’âge, il y a une grande diversité des situations. De plus il y a la situation familiale : qu’on soit célibataire ou en couple, on a quasiment le même logement. Donc le revenu de base qui est une prestation individuelle ne colle pas, les configurations sont trop différentes. Pour moi il faut maintenir à côté de cela des moyens d’aider pour le logement, en changeant le système actuel, mais pas par un revenu monétaire. »

Y-a-t-il d’autres domaines que le logement où le revenu de base ne pourrait pas être adapté ?

« Le revenu de base tel que je le pense c’est pour permettre la subsistance, les dépenses de consommation courante. Et là c’est relativement homogène. »

Pourquoi y a-t-il aussi peu de modélisation et de simulation du revenu de base comme celle que vous avez faite ?

« Le faire de manière exhaustive et complète, c’est vraiment un boulot de chien. »

« En faisant le travail complet, on explique comment redistribuer environ 15% du PIB. Pour arriver à cela j’ai passé 5 ans, et encore j’ai eu la chance de pouvoir utiliser l’outil développé par Thomas Piketty, sinon je n’aurai pas pu m’en sortir. Cet outil est fantastique, avec la possibilité de faire des ajustements d’années en années, ce qui permet de faire vieillir l’échantillon de manière assez crédible. »

Est-ce que des gens s’opposent à vos résultats, en proposant par exemple des modélisations basées sur d’autres outils ?

« Dans l’AIRE, deux autres personnes travaillent sur la modélisation. Il y a un doctorant qui utilise le même outil et un retraité qui fait tout en Excel, cela fait deux ans qu’il est dessus et on est sur les mêmes chiffres. »

Sur le choix des aides que l’on garde ou que l’on supprime, des manières de financer, cela se base sur des convictions idéologiques ? Fonctionnelles ?

« C’est une question subtile. Demandez-vous s’il vaut mieux taxer au niveau de l’IS ou taxer les dividendes versés. Si vous me prêtez une idéologie, ce serait celle-là : pour moi l’entreprise est une société, un lieu social qui a une valeur pour toute la communauté, où les gens font des choses en commun. Cela contribue à la richesse de toute la société. Donc pour moi prélever sur les bénéfices des sociétés est la pire idée qui soit, parce que la société est utile à l’ensemble des individus, salariés, clients… Par contre les dividendes sont tirés par des individus pour leur propre usage. C’est personnel. Donc mon rêve serait de faire porter l’impôt sur les personnes physiques, sur les dividendes et plus-values, et de supprimer totalement l’impôt sur les sociétés. La France est le pays avec le plus haut taux d’impôt sur les sociétés. On a fait cela parce que c’était le choix de la facilité, politiquement, mais c’est économiquement désastreux. »

Vous avancez dans votre thèse que voulez taxer dès le premier euro et avancez que les plus grands perdants seront les plus riches, pouvez-vous nous expliquer ?

« Que les plus grand perdants soient les plus riches dépend totalement des paramètres mis en place. »

« Il y a une circulation entre l’impôt sur les revenus et sur les patrimoines. Je préconise qu’on taxe plus fortement le patrimoine, où les inégalités sont les plus fortes, que les revenus. »

« Penser qu’un impôt que tout le monde paye de la même manière est le meilleur choix est un pari. On en a une certaine preuve, en constatant que personne ne râle sur la CSG et la TVA alors qu’elles prélèvent beaucoup plus que l’impôt sur le revenu. »

« La flat tax est l’impôt le plus efficace. Dès qu’on fait des catégories, il y a forcément des gens qui le vivent mal, cela suscite des lobbys d’opposants qui négocient des exceptions et au global ce n’est pas efficace. »

Quels seraient les effets sur les plus pauvres ? Que tout le monde perçoive le revenu de base permet une dé-stigmatisation ? Ou la stigmatisation sera toujours présente dès lors que les personnes ne travaillent pas ?

« Le pari est de redonner aux personnes une place dans la société, en perçevant un revenu d’existence inconditionnel et un salaire rétribuant leur participation effective au travail de la société. Les deux vont de pair. Il me paraît primordial que des associations et institutions puissent venir en aide aux personnes en grande difficulté, pour les aider à avoir un rôle réel, une reconnaissance dans la société. Cela ne va pas tout seul, juste parce qu’on donne 450 euros. Certains vous diront que ce n’est pas du tout le rôle de l’Etat. Je pense que l’Etat peut fournir un peu de suivi, de travail de proximité, que les associations peuvent faire aussi. »

Peut-on considérer que le revenu de base est une mesure libérale, qui finit par traiter les conséquences et non les causes ?

« Dites à Baptiste Mylondo que c’est une mesure libérale, il deviendrait fou. »

« Le revenu de base n’est pas la solution à tout. Il ne vise pas à remplacer l’Etat. Il y a des problématiques comme le logement, la formation, la dépendance… Tout cela demeure malgré le revenu de base. »

Comment envisager les effets à long terme du revenu de base ? Comment savoir si au final l’effet sera désincitatif ou non sur le travail ?

« En termes économiques, il faut prendre en compte l’effet revenu et l’effet substitution. Pour certains, recevoir un revenu inconditionnel de 450 euros tous les mois diminue probablement le besoin de chercher un autre revenu. Comme il y a des prélèvements, au-delà de 600 euros l’effet substitution commence à être significatif, car le taux devient très élevé. C’est pourquoi il faut être prudent : les deux effets jouent dans le même sens. là c’est sûr, les gens n’ont pas tellement intérêt à aller travailler. »

Ce sont là des travaux qui s’appliquent à d’autres problématiques, mais existe-t-il des travaux qui ont mesuré spécifiquement les impacts du revenu de base sur le travail ?

« Rien de très probant. Rien ne contredit qu’au-delà de 500-600 euros on arrêtera assez massivement de travailler. Mais honnêtement, en restant à un niveau proche du RSA, l’effet désincitatif est minime. »

Vous parlez du revenu de base comme moyen de libérer l’individu, mais il y a aussi beaucoup de féministes qui s’opposent au revenu de base parce qu’elles considèrent cela comme une légitimation de la place de la femme dans la sphère domestique.

« Mais des féministes disent aussi que cela leur permet de pouvoir se libérer de leur foyer et de leur mari si le besoin est. Ce n’est pas hypothétique. Il y a des femmes qui quittent leur conjoint et se retrouvent avec rien. C’est aussi un moyen d’avoir une autonomie minimale, cela rétablit un certain équilibre des forces dans le ménage, entre son revenu et celui des enfants, cela permet une certaine autonomie. »

Au niveau du revenu de base pour les enfants, comment cela se passe-t-il ?

« Certain proposent de bloquer une partie de l’argent des enfants sur un compte. Cela ne me paraît pas d’un grand intérêt. Si l’Etat prélève de l’argent par l’impôt, ce n’est pas pour le bloquer. »

Si on voit les choses ainsi, il y aura forcément des perdants et des gagnants. Comment rééquilibrer les revenus ?

« Si c’est un gouvernement de gauche, les paramètres sont probablement un peu différents que si c’est un gouvernement de droite qui le met en place. »

Il ne s’agit pas de taxer plus les taxes moyennes ?

« Dans ma modélisation pour le rapport LIBER, les plus bas déciles y gagnent, puis c’est assez flat pendant longtemps et cela se retourne pour les plus hauts. Mais c’est avec les paramètres que j’ai utilisés. Evidemment selon ceux qu’on prend, cela peut être différent. »

Il y a eu une initiative populaire proposée en Suisse. Des personnes avaient chiffré le revenu à 2500 francs Suisses. Est-ce irréalisable selon vous ?

« C’est une catastrophe. Lorsqu’ils ont récupéré leurs signatures c’était uniquement sur le principe d’un revenu universel, sans mention d’un montant. Les journalistes ont enquêté et certains militants ont avancé le montant de 2500 francs Suisses, soit 2000 euros. Ce n’est pas la proposition officielle mais c’est ce qui a été relayé par les médias et donc c’est ce qui est resté dans les esprits. Cela a entraîné un raz de marée contre, la plupart des gens comprenant qu’ils allaient être énormément prélevés. »

« Le financement d’un revenu de base ne peut se faire que par la fiscalité. En Suisse et en Allemagne on parle beaucoup de la TVA, parfois à 50%, voire 100% sur tout. Cela paraît peu crédible. »

Quelle serait pour vous l’objectif premier de l’instauration d’un revenu de base ?

« Tout tourne autour de la liberté, de l’égalité et de la fraternité. Par là, c’est reconnaître l’existence d’une communauté nationale qui a besoin d’assurer la subsistance de tous. Le schéma d’après-guerre où tout le monde bossait et était salarié ne fonctionne plus. Il faut inventer un autre schéma d’intégration de la communauté dans son ensemble. Il n’y aura plus de travail salarié pour tout le monde. Il faut imaginer un monde de fonctionnement de la société qui reconnaisse positivement l’apport de chacun. Il y a une nouvelle société à inventer, dont le revenu inconditionnel est une brique fondamentale. »