Eve Caroli -

Economiste
Get In Touch

Eve Caroli est économiste, spécialiste des questions d’économie du travail, de technologie et de changement organisationnel et de la santé au travail. Elle professeur à l’Univesité Paris-Dauphine et à l’Ecole d’Economie de Paris (PSE).

Entretien réalisé le 3 mars 2015 à l’Ecole des Mines de Paris.

  1. Penser un RDB aurait-il encore une pertinence aujourd’hui, alors qu’il existe des minimas sociaux ? Considérez-vous qu’il serait désincitatif ?

    Un revenu de base serait sans doute possible dans une autre société, avec d’autres valeurs. Dans la situation politique et économique actuelle cela me paraît difficile. C’est un choix éthique : est-on prêt à ce que certains travaillent et financent le loisir des autres ? Une société ne peut pas vivre sans ceux qui produisent.
    Ce serait possible si les gens avaient des utilités différentes, des goûts différents : s’ils voulaient consommer beaucoup moins et avaient des activités différentes. Tout revenu versé a des gens à un effet désinsitatif sur le retour au travail, cet effet est difficilement quantifiable et varie selon le montant. Néanmoins, aujourd’hui le problème en France est du côté de la demande de travail, ce n’est donc pas un problème d’incitation. Le chômage reste un problème en soi, indépendamment du revenu.

  1. Quel effets voyez-vous du revenu de base sur le SMIC ?
    Le RDB n’a aucune raison de se substituer au SMIC puisque le SMIC n’est pas là pour éviter que les gens tombent dans la pauvreté, mais pour qu’ils vivent dignement de leur travail, pour qu’un homme ou une femme qui travaille puisse faire vivre sa famille.
  2. Comment le SMIC est-il calculé ?
    On ne le calcule pas. On calcule son augmentation. Celle-ci est automatiquement du montant de l’inflation augmenté de 50% des gains de pouvoir d’achat (sans l’inflation) du salaire moyen (sans les primes) des ouvriers et employés et le gouvernement peut éventuellement y ajouter un coup de pouce… Malheureusement, même avec deux SMIC c’est difficile de faire vivre une famille, en tout cas en région parisienne.
  1. A quelle échelle faudrait-il instaurer un RDB pour que le projet fonctionne ? (locale, régionale, nationale, européenne…).
    Ce serait sans doute plus simple de mettre en place un RDB à une échelle locale aujourd’hui. Mais surtout, pour que l’allocation universelle soit instaurée, il faut une volonté politique et une volonté sociale. Il faut un mouvement important de gens dans cette direction. Ce serait l’utopie d’une société qui fonctionne de façon diamétralement opposée à ce qui se passe aujourd’hui. Depuis 1968, la société n’a que peu évolué vers ce type d’idéaux. 
  1. Quel serait l’impact du revenu de base sur la représentation que les gens se font du travail, ?
    C’est très difficile à évaluer, il faudrait savoir dans quel contexte on l’instaure et ce qu’on réduit comme allocation en contrepartie. Ce type de modélisation pourrait peut être se faire dans des modèles keynésiens (OFCE, Trésor).
  1. Quel a été l’impact de la robotisation ? Des 35h ? Du partage du travail ?
    Les 35h n’ont pas eu un effet extraordinaire sur l’emploi. Il y a eu quelques créations d’emploi mais en contrepartie un coût élevé en termes de finances publiques. Lors du passage aux 35h, on a gardé le SMIC mensuel donc le SMIC horaire a très fortement augmenté et il y a eut contraction de la demande de travail. 
    Le temps de travail est toujours très débattu, on n’a pas d’évidence qu‘une baisse du temps de travail entraîne une baisse du taux de chômage.
  1. Quels seraient les changements sociaux qui résulteraient de la mise en place d’un RDB ?
    Aujourd’hui, un RDB ne suffira pas pour nous faire basculer dans un monde meilleur et ne permettra pas non plus de résoudre le problème du chômage (il faudrait une dévaluation de l’euro et une reprise de la demande). C’est une question qui n’est pas directement liée au chômage mais plus au mode de vie. Cela suppose de se demander : »Pourrait-on être plus heureux en travaillant moins et en gagnant moins ? »