Nous avons développé dans les articles précédents les tensions sociales créées dans les localités environnantes par le problème de la brucellose dans le massif du Bargy. À cela s’ajoutent des répercussions politiques de grande ampleur, car toute décision d’abattage nécessite une dérogation délivrée par le ministère de l’environnement, qui applique lui même une directive de Bruxelles  protégeant le bouquetin à travers toute l’union européenne. Nous allons donc voir que cette controverse pose de nombreux problèmes ayant une dimension politique et médiatique.

Opacité des médias et des décideurs politiques

Pour éviter le « risque de susciter des mouvements d’opposants », les dirigeants politiques font en sorte que les médias ne révèlent qu’au denier moment les rebondissements de cette affaire, du moins selon les accusations de certains militants anti-abattage. Ainsi, en 2013, la première allusion à un abattage massif n’est apparue dans les journaux que cinq jours avant l’opération. En outre, les journaux l’annonçaient pour la seconde quinzaine d’octobre alors qu’elle n’a eu lieu que les premier et deuxième jours de ce mois. De même, le 13 septembre, France 3 titrait « Pas d’abattage massif » ce qui s’est avéré vraisemblablement différent des véritables événements. [1] Les informations accessibles au grand public dans les journaux ne concordent pas avec la réalité du terrain. Les militants invoquent alors la liberté d’information comme un des principes de base de la démocratie et qui ne serait pas respecté. Les méthodes d’action et de communication mises en jeu semble en inadéquation avec les fondements de la constitution française, ce qui donne une importante dimension politique à cette controverse.

Aux faits précédemment cités s’ajoute la rapidité avec laquelle le préfet est passé à l’acte après la signature de l’arrêté concernant l’abattage des bouquetins de plus de cinq ans. Dès le lendemain, près de deux cents animaux étaient déjà abattus. Selon les écologistes, c’est toujours dans le même but d’empêcher toute action pouvant venir interférer avec le bon déroulement des opérations.

Par ailleurs, les analyses scientifiques n’ont pas été menées sur les cadavres des animaux abattus, ce qui aurait pu apporter des informations essentielles pour comprendre l’épizootie [2], ce que les écologistes ainsi que les scientifiques déplorent.

Les accusations portées vers la préfecture sont les suivantes: l’opacité omniprésente traduit la volonté assumée du préfet d’agir vite, car sous pression des fédérations agricoles et des chasseurs, par conséquent en interagissant le moins possible avec l’extérieur.

Information noyée dans un flou rhétorique

Les termes employés pour justifier l’abattage des bouquetins sont souvent flous, ce qui empêche de se faire une idée par soi-même de la situation et de porter son propre jugement. Dans une lettre au premier ministre demandant l’abattage total des bouquetins du Bargy, Bernard Accoyer écrit ainsi que « les bouquetins, pratiquement tous malades souffrent ». Cette tournure « pratiquement tous malades » est par exemple sujette à débat. En effet, si l’on s’en tient aux chiffres de l’ONCFS, 35% des bouquetins étaient séropositifs avant l’abattage de 2013. 5% des bouquetins seraient par conséquent sains, sachant que « séropositif » ne signifie pas « malade » mais uniquement porteur du virus et qu’un animal séropositif n’est pas nécessairement susceptible d’en contaminer d’autres.

Par ailleurs, dans son premier rapport, l‘ANSES traitait le cas de l’abattage des animaux de plus de cinq ans, ce qui signifie six ans et plus. [3] Selon les militants écologistes toujours, les organisateurs de l’abattage auraient « réinterprété » ces dires en « 5 ans et plus », ce qui a ouvert la voie à l’abattage de tous les bouquetins de cinq ans, qui étaient presque trois fois moins contaminés que les bouquetins de six ans, toujours selon les chiffres de l’ONCFS. [1]

Pour les écologistes, les décideurs ont recours à ce flou dans leur rhétorique afin de réinterpréter les avis scientifiques en faisant pencher la balance de leur côté, c’est à dire en justifiant l’abattage d’un maximum de bouquetins.

Fiabilité contestée des avis scientifiques guidant les décisions politiques

Si les informations données au grand public sont approximatives, il est aussi vrai que les données scientifiques sur lesquelles s’appuient les décisions prises sont peu précises. Nous pouvons par exemple citer les chiffres de l’ONCFS, qui nous apprennent que 2 à 38% des femelles de cinq ans et moins sont contaminées. Ces chiffres variant entre prévalence négligeable et cas épidémiologique aggravé, il est en effet compliqué de prendre des mesures adaptées, ce qui est à mettre en lien avec la difficulté à évaluer une population sauvage en massif ouvert vue précédemment.

D’autre part, les experts sur lesquels s’appuient les dirigeant politiques n’ont pas tous les mêmes avis. En effet, l’ANSES propose dans son premier rapport un éventail d’autres solutions. C’est la solution de l’abattage partiel concernant les animaux de plus de cinq ans qui a été retenue par le préfet et soi-disant déformée par la suite en « abattage des animaux de cinq ans et plus ».

Enfin, comme le montre ce dernier exemple, les avis scientifiques ne sont généralement que consultatifs et il y a donc un décalage entre les solutions scientifiques et les décisions politiques. Décalage qui peut parfois être traître car, comme nous l’avons déjà évoqué, un compromis entre deux solutions scientifiques ne se traduit pas toujours par un compromis au niveau des résultats. En effet, ici, l’abattage partiel apparaît comme un compromis, une demi-mesure, entre la solution qui consisterait à ne rien faire et donc à laisser la situation stable, et la solution (impossible à mettre en œuvre, comme le souligne Jean-Pierre Crouzat) de l’abattage absolument total. Or, au lieu d’enrayer l’épizootie, elle l’a activée, comme il l’explique dans l’entretien qu’il nous a accordé.


[1] Blog « Le Bruit du Vent » URL

[2] Entretien avec Jean-Pierre Crouzat.

[3] AVIS de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail relatif aux «mesures à prendre sur les bouquetins pour lutter contre la brucellose sur le massif du Bargy, Haute-Savoie». 4/09/2013.

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