Avec les réglementations européennes et internationales, tout problème sanitaire touchant des produits alimentaires met en péril la commercialisation de celui-ci et affecte ainsi une économie liée à la production en amont. C’est le cas du reblochon avec la brucellose. D’autre part, si comme nous l’avons vu le risque sanitaire reste minime, le danger économique devrait également l’être. Qu’en est-il donc vraiment ?


Un impact économique local

Les préoccupations concernant la brucellose sont certes d’ordre sanitaire pour éviter la transmission humaine, mais également d’ordre économique. Le statut indemne de brucellose en France est primordiale dans la commercialisation des fromages et du lait non-pasteurisé. Le Bargy est non seulement la région où l’affaire a éclaté, mais il se trouve en plein centre du bassin de production du reblochon AOC, fromage au lait cru qui fait la fierté de sa région. Ce fromage faisant partie du paysage gastronomique français est produit de manière exclusive dans ce terroir. Toute une économie locale repose sur sa production et pour ne donner qu’un exemple, les revenus de la commune du Grand-Bornand proviennent à 40% de la production du fromage.

Reblochon_10Le reblochon, au cœur des préoccupations économiques

Suite au cas de brucellose de 2012, le Syndicat Interprofessionnel du Reblochon (SIR) a procédé à la saisie des reblochons des marques « Le Campagnard » et « Gaston » dans toute la France pour éviter tout risque de contamination par la Brucella. Les producteurs et la préfecture redoutent alors que le cas ne se répète dans le temps et que de nouveau la filière ne connaisse un coup dur. En outre, la procédure en cas de contamination d’une du troupeau est indiscutable: l’abattage de l’intégralité du troupeau est obligatoire, coup dur supplémentaire pour les producteurs qui perdent leurs bêtes en plus de voir leurs produits retirés de la vente. Bernard Mogenet, président de la FDSEA (Fédération Départementale des Syndicats d’Exploitants Agricoles) souligne ainsi avec acuité que la brucellose fait courir en puissance un « risque très lourd sur l’économie de nos alpages » [1]

« C’est bien là que réside l’enjeu du dossier, confirme Jean Hars, vétérinaire de l’ONCFS. Pour l’instant, aucun troupeau domestique n’est touché sur le massif, et nos tests ont montré que la brucellose n’a heureusement pas été transmise aux bouquetins des massifs voisins. La garantie sanitaire est encore totale. Mais les éleveurs n’acceptent pas l’existence d’un réservoir sauvage important à proximité.» Même si, souligne-t-il, «le risque de transmission au cheptel domestique est très faible». «Il faut réaliser que, si un éleveur décèle et déclare un cas dans son troupeau, il est contraint d’abattre tout son troupeau !Les éleveurs se sont battus contre la brucellose durant des décennies en France. On a mis trente ans pour assainir le cheptel français ! » [2]

Quel risque véritable ?

Le risque réelle est encore une fois bien moindre que celui redouté par tous. Outre le risque sanitaire et infectieux qui comme nous l’avons vu précédemment restait mince, la contamination par le fromage de reblochon serait quasi-impossible. Le fromage a beau ne pas subir de pasteurisation, l’affinage suffirait à éliminer la bactérie. Les recherches à ce sujet sont toujours en cours.

Lors de la décision en 2012, il avait déjà été convenu que le risque pour la filière du reblochon n’existait pas. Il a en effet été dit dans l’avis du CNPN que « la filière du reblochon n’est absolument pas affectée par l’éventuelle présence de Brucella dans du lait pouvant être utilisé dans la fabrication de ce fromage, étant donné le fait que cette bactérie est inactivée durant le processus d’affinage du fromage » [3]. Ce simple fait assurerait la pérennité de la filière du fromage, mais le cas de 2012 a fait plané un doute sur les populations, dont les producteurs qui préfèrent appliquer le principe de précaution et qui font pression sur les autorités politiques.

Si le reblochon a encore de beaux jours devant lui, cela ne règle pas le problème de la contamination du bétail. La transmission vers les individus bovins ne connait toujours pas le risque zéro et la sanction (abattage du troupeau entier) reste lourde pour les producteurs.

Le statut indemne de brucellose ne serait dans les faits pas en danger. La France n’est indemne que de la brucellose bovine et comme vu précédemment, le risque de transmission est infime. « Le cas échéant, un pays ne perd pas son statut « indemne de brucellose » dès qu’un cas de brucellose bovin apparaît. Ainsi, grâce aux mesures de surveillance mises en place, la Belgique n’a pas perdu son statut « indemne de brucellose », alors que depuis mars 2012, six foyers bovins de brucellose (impliquant deux souches de bactéries) ont été découverts dans ce pays » [4]. Pour ce qui concerne les bouquetins, la France n’a jamais été déclarée indemne de brucellose pour les petits ruminants.

Un potentiel retour de flamme

Non seulement le danger pour l’économie du reblochon serait moindre, mais l’abattage du bouquetins pourrait même avoir à son tour des conséquences économiques lourdes. Selon WWF [5], l’économie de la région repose également en grande partie sur le tourisme. Le bouquetin est habitué à la présence humaine et se laisse facilement approché. D’après les dires de l’organisme, « l’animal est la vedette des programmes de randonnées et des cartes postales, icône du monde sauvage, symbole de la protection de la nature ». L’abattage des bouquetins peut donc nuire à la fréquentation de la région et aux commerces qui dépendent du tourisme, que ce soit par boycott des visiteurs indignés par le massacre ou tout simplement parce qu’il n’y aura plus de bouquetins.

« Ne sous-estimons pas les retombées de l’éradication du bouquetin sur le taux de fréquentation de la région. »


Nous avons vus que tant d’un point de vue sanitaire qu’économique, l’évaluation de la situation au Bargy a été laissée entre les mains dinstances scientifiques (ANSES et CNPN). Quels ont alors alors leurs véritables conclusions et dans quelles mesures ont-elles été prises en considération compte tenu des décisions prises par l’état.


[1] Les bouquetins du Bargy en passe d’être abattus. Tribune de Genève. 01/10/2014.

[2] PATRIARCA, Eliane. Massif du Bargy Bouquetins émissaires. Libération. 11/09/2014.

[3] Avis sur la demande d’abattage des bouquetins du Bargy. Commission faune. 11/09/2013.

[4] Le Bruit du Vent. URL

[5] Epargnez les bouquetins du Bargy!. WWF. Dossier de Presse. 2014.

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