Brucellose dans le Bargy

Le bouquetin est-il de trop ?

Une décision à double tranchant

La décision prise d’abattre les bouquetins a provoqué de vive réactions de toutes parts. Si certains saluent la décision du préfet comme raisonnée étant donnés les risques liés à l’enzootie, d’autres s’alignent sur les avis scientifiques qui demandent plus de temps pour évaluer correctement la situation. A cheval entre précaution sanitaire et manque de discernement, l’abattage divise les opinions.

Une précaution sanitaire justifiée

En étudiant cette problématique, on se rend compte que la difficulté n’est pas seulement liée à l’épidémie mais aussi et surtout à la gestion de la population du bouquetin : ce mammifère est une espèce protégée par l’arrêté du 23/04/2007 [1], certes, mais c’est ici le vecteur principal de la réapparition d’une maladie grave, éradiquée depuis plus d’une dizaine d’années. Dans ce cas la législation française est formelle : il s’agit d’agir rapidement en éradiquant les individus susceptibles de transmettre la maladie.

Cette réaction suit une certaine logique, puisqu’il s’agit d’éviter à tout prix la réapparition de la maladie. Ainsi, le troupeau de bovins responsable de la transmission de la brucellose à un enfant au Grand-Bornand en 2011, a été entièrement abattu. En suivant cette logique, les bouquetins devraient subir le même sort et c’est le point de vue qu’ont notamment défendu les associations d’agriculteurs. Ainsi, suite à la décision d’abattage total prise par le préfet de Haute-Savoie, le président de la FDSEA (Fédération Départementale des Syndicats d’Exploitants Agricoles des Savoies) Bernard Mogenet réagissait en saluant la «position courageuse et de bon sens» du préfet [3].

Cette décision d’abattage total pour le bouquetin a été prise par le préfet de Haute-Savoie, qui s’est conformé au plan d’action classique en accord avec l’ANSES (Agence Nationale de Sécurité Sanitaire de l’Alimentation, de l’Environnement et du Travail) et le ministère de l’écologie. Le ministère de l’écologie a soutenu cette décision dans un premier temps, comme l’a affirmé Mme. Ségolène Royale, ministre de l’écologie, lors de sa visite en Haute-Savoie le samedi 6 septembre 2014, dans un but de protéger le terroir local: « Donc il faut assainir le massif et nous prendrons les mesures qui s’imposent (…) Le problème de la brucellose est limité au massif du Bargy, 300 animaux sont concernés. Ce sont eux qui posent problème » [4].

 

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Mme. Ségolène Royal, ministre de l’écologie, en visite en Haute-Savoie (Nid d’Aigle), le 6 septembre 2014.

Un paysage des connaissances incomplet

Néanmoins, vu le faible risque de transmission de la brucellose, il est par la suite, le 21 novembre 2014, décidé que seuls les individus de plus de cinq ans seront abattus, en supposant que les plus jeunes résisteront davantage à l’épidémie. D’autre part, les signes cliniques sont plus évidents chez les individus plus âgés. Ce revirement est exigé par le ministère de l’environnement suite à l’avis du CNPE (Conseil National de Protection de l’Environnement) et de l’ANSES (Agence Nationale de Sécurité Sanitaire de l’Alimentation, de l’Environnement et du Travail) qui se sont largement positionné contre l’abattage total, notamment dans un rapport établi à la demande des ministères de l’écologie et de l’Agriculture [5]dans lequel M. Marc Mortureux, Directeur Général de l’ANSES qualifie la contamination d’accidentelle et précise en conclusion: « Cette analyse ne permet pas de confirmer la nécessité de mettre en œuvre dans l’urgence les actions d’abattage envisagées, compte tenu en particulier de leur ampleur et de leur nature ».

Il doit être souligné que les experts de l’ANSES ont reconnu, dans ce même avis, disposer d’« un paysage de connaissances très incomplet ». Quoiqu’il en soit, il semblerait que la décision d’abattage ou non dépende de multiples facteurs, nécessitant une étude scientifique détaillée avant toute prise de décision. La gestion des animaux sauvages est délicate puisque ces individus sont étroitement liés à l’ensemble de la chaîne alimentaire. Un débat similaire a eu lieu dans les Bouches du Rhône et portait cette fois sur le goéland leucophée, animal protégé mais devenu nuisible suite à sa prolifération incontrôlée [6].

La prise de décision n’est donc pas aussi simple pour une espèce sauvage que pour une espèce domestique, qui reste de manière générale cantonnée dans une étable ou dans un pâturage, avec peu de rapports directs avec l’extérieur. Ceci pourrait expliquer l’apparente inefficacité des différentes mesures prises pour lutter contre la brucellose jusqu’à ce jour.


[1] Arrêté du 23 avril 2007 fixant la liste des mammifères terrestres protégés sur l’ensemble du territoire et les modalités de leur protection. Ministère de l’Écologie. 23/04/2007

[3] Les bouquetins du Bargy en passe d’être abattus. Tribune de Genève. Le 01/10/2014.

[4] Brucellose : vers un abattage total à Bargy. Le Figaro. 30/09/2014

[5] AVIS de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail relatif aux «mesures à prendre sur les bouquetins pour lutter contre la brucellose sur le massif du Bargy, Haute-Savoie». 04/09/2013.

[6] Christelle Gramaglia. Les Goélands leucophée sont-ils trop nombreux? L’Emergence d’un Problème Public. Etudes rurales (n° 185). Janvier 2010.

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Crédit image: Ségolène Royal sur le sentier qui mène au refuge du Nid d’Aigle à 2412m d’altitude. Richard Vivion. Radio France