Si les écologistes se sont indignés vis-à-vis de la décision de la préfecture, c’est en partie à cause du statut d’espèce protégée du bouquetin, qui interdit la chasse en tout temps. De l’autre côté se tiennent les chasseurs animé par l’envie de chasser de nouveau l’animal et dont le rôle dans l’abattage fait polémique. Au centre des conflits entre les différents acteurs se tient donc un statut de protection dont même le bien-fondé scientifique fait débat.


Le Bouquetin, espèce protégée

Le bouquetins des Alpes était une espèce omniprésente en France depuis la préhistoire. Avec l’apparition des premières arbalètes, puis des armes à feu, il fut chassé massivement si bien qu’il devint une espèce en voie de disparition à la fin du XIXème siècle. Le destin du bouquetin sauvage des Alpes a basculé lorsque le roi d’Italie Victor-Emmanuel II a décide de protégé les derniers représentant de l’espèce et d’en réintroduire de nouveaux. Aujourd’hui, il y aurait près de 9 000 bouquetins en France. L’arrêté ministériel du 17 avril 1981 garantit la protection de l’espèce et interdit la chasse « en tout temps » de cet animal qui également protégé au niveau européen par la Convention de Berne.

C’est donc tout naturellement que lorsque des cas de brucellose apparaissent chez les bouquetins, beaucoup de regards se tournent vers lui. Au vu du faible risque de contamination, les écologistes considèrent comme exagérée la décision de la préfecture d’abattre une espèce protégé au niveau national et international.

Ces derniers se sont mobilisés intensivement contre l’abattage. En plus d’une pétition récoltant plus de 70 000 signatures, ils se sont rendus sur les lieux de l’abatage pour empêcher les chasseurs d’intervenir. Comme l’a précisé un des membres de l’association Mountain Wilderness [2], la tension dans la région était alors à son paroxysme. Les écologistes sont convaincus, que parmi toutes les solutions possibles, celle-ci était de loin la moins bonne : prise dans la précipitation, elle visait certes à supprimer un foyer de brucellose, mais elle était loin d’être la seule envisageable.

 La chasse au bouquetin en jeu

Le statut d’espèce protégée interdit donc la chasse au bouquetins, ce qui gêne depuis des années les fédérations de chasseurs qui ne souhaitent qu’une seule chose: pouvoir chasser et revendre les trophées de bouquetins, dont la valeur atteint parfois des sommes colossales. Suite aux abattages des bouquetins du Bargy, l’Association des Chasseurs à l’Arc de Franche-Comté a publié sur son blog :

« les bouquetins mâles sont vendus selon la longueur des cornes. Le tarif varie de 2 430 € [à] 16 200€ […]. La moyenne des trophées de Bouquetins mâles adultes se situe autour de 85 cm et se facture 6 500 €. Estimons que l’Etat Français vient de s’asseoir sur plus de 650 000 €. […] il est anormal de passer à côté d’une telle activité économique. […] Alors valorisons la faune sauvage française en la chassant. Et exigeons que l’on ouvre la chasse du Bouquetin des Alpes en France. »

Les chasseurs ne se cachent pas des motivations qui les animent. Influentes dans les milieux alpins, les fédérations de chasseurs regroupent de nombreux partisans et c’est tout naturellement qu’elles font pression sur les politiques pour faire entendre leur point de vue. Par ailleurs le double rôle qu’endossent les chasseurs fait polémique. Ces derniers sont à la fois ceux qui souhaitent chasser de nouveau le bouquetin et ceux qui sont chargés d’effectuer le suivi sur le terrain des animaux.  Le doute est donc permis sur la qualité du travail effectué compte tenu des motivations sous-jacentes, problème qui a souvent été évoqué par certaines associations. [3]

« L’insuffisante diversification des partenariats de l’établissement dans ses activités d’observation, d’études et de recherche nuisent à l’indépendance et à la reconnaissance de certains travaux de l’ONCFS concernant les espèces chassables » Cour des Comptes [4]

Mais si leur argumentaire est principalement d’ordre économique, certains scientifiques s’accordent pour dire que la protection du bouquetin a peut-être favorisé la prolifération de la maladie. En effet, le bouquetin n’étant pas un animal nomade et n’ayant pas de prédateurs dans les Alpes, les conditions étaient idéales pour permettre l’entretien de la brucellose depuis près de 12 ans dans le massif du Bargy. La chasse du bouquetin dans des proportions raisonnables aurait pu permettre de réguler la maladie parmi les populations, et ce d’autant plus que les animaux atteints, souvent vulnérables, auraient été majoritairement chassés.


Cependant, les chasseurs ne sont pas les seuls à faire pression sur les politiques pour faire valoir leur point de vue. Le lobby agricole est également très présent et lutte pour la préservation de l’économie locale et pour la protection du pastoralisme.


[2] Entretien avec  Bernard Maclay.

[3] Le Bruit du Vent. URL

[4] Gestion de l’ONCFS. Cours des comptes. 27/07/2012. URL