Comment financer cette pratique ?

Pour qu’une femme ait un enfant grâce à ses ovocytes vitrifiés, le processus est long et complexe. Il lui faut en effet prendre des médicaments pendant 2 à 3 semaines avant l’opération pour stimuler ses ovaires et subir l’intervention chirurgicale elle-même. Ensuite, il faut stocker les ovocytes récupérés pendant des années, avant de les réimplanter grâce à la FIV.

Les coûts totaux de la procédure sont difficiles à évaluer. En moyenne cependant, les cliniques européennes qui proposent cette intervention la facturent entre 5000 et 6000€.1

La situation à l’étranger

Selon les pays, les modèles de remboursements diffèrent, bien qu’aucun ne propose de remboursement total sans conditions.

Dr. Mostafa, un gynécologue anglais, explique qu’au Royaume-Unis, l’État rembourse la procédure dans certains cas bien définis :

« The government or the NHS funds 3 cycles of IVF treatment for patients who are eligible for this. We have strict criteria for this. The government will fund this only for patients with medical obligation, including cancer patients, before chemotherapy, including patients who might have medication or radiotherapy or any treatment that could affect fertility. […] The patients can pay for themselves to have the procedure done. But for the government to pay for them, they should have a medical indication. [Furthermore,] our minimum at our ovarian reserve test is 5.4pmol of AMH hormone per litre of blood. A patient with an ovarian reserve less than that is not eligible to do anything… And there is a second thing: for the government and the NHS, the limit for funding is 42 years old. So anybody older than 42 will not qualify for state-funded oocyte cryopreservation treatment. »8

Aux Etats-Unis, la santé n’est traditionnellement pas prise en charge par l’État. Jusqu’à récemment, la vitrification se faisait grâce au financement individuel. Mais, en octobre 2014, Apple et Facebook ont proposé une alternative pour leurs employées.

Apple, Facebook : le financement par l’entreprise ?

En octobre 2014, Apple et Facebook ont tout les deux annoncé une mesure surprenante : ces deux entreprises proposent, aux Etats-Unis, de financer la vitrification des ovocytes de leurs employées qui le désirent, à hauteur de $20 000. Par cette décision, ces entreprises espèrent permettre aux femmes de s’épanouir dans leur vie professionnelle, sans pour autant faire une croix sur leur vie privée :

« We want to empower women at Apple to do the best work of their lives as they care for loved ones and raise their families»2

Pourtant, cette décision à reçu un accueil controversé : alors que certains s’émerveillent de cette nouvelle possibilité donnée aux femmes, d’autres expriment leur méfiance face à ce qu’ils voient comme l’intervention illégitime de l’entreprise dans la vie privée. De nombreux journalistes expriment leur crainte face à cette décision, qui expose la femme à des pressions de la part de l’entreprise. Celle-ci pourrait en effet pousser les femmes à retarder leur maternité, de peur de voir leur carrière figée. De plus, d’autres craignent que cette décision renforce l’idée que travail et vie de famille sont incompatibles. Ainsi, en France, un tel financement par l’entreprise ne semble pas possible.

La carrière ou les enfants, deux choix de vie incompatibles?3

Le débat du financement public

La question du financement par l’État se pose particulièrement en France, où nous avons pour habitude que la santé soit prise en charge par la sécurité sociale. Demander aux femmes de payer elles-mêmes le traitement est, selon le professeur Wolf,

«  une distorsion […] à notre éthique française qui veut qu’on prenne en charge la santé ».4

Pourtant, savoir dans quel cadre proposer un remboursement n’est pas chose facile. Ainsi, le Comité Consultatif de Bioéthique de Belgique, interrogé sur la question, demeure partagé :

« Le Comité se montre très partagé sur la question du remboursement. Deux positions se dégagent. Les tenants de la première position défendent une absence totale de remboursement pour le « social freezing ». En revanche, le second groupe estime qu’un remboursement doit intervenir pour toutes les applications de préservation de la fertilité qui satisfont aux critères, qu’il s’agisse d’indications médicales ou sociales. »5

Pour certains en effet, la vitrification d’ovocytes hors du cadre médical (patiente souffrant d’un cancer…) ne relève pas d’un traitement, mais plutôt d’un choix de vie.

« Il y aurait, d’une part, des personnes involontairement exposées aux conséquences d’une maladie et, d’autre part, d’autres personnes qui feraient un choix de vie qu’ils devraient assumer. »5

De plus, la question se pose de savoir si l’État ne risque pas, ainsi, d’encourager les grossesses tardives, ce qui est à l’origine d’autres problèmes.

Cependant, de nombreuses personnes considèrent que cette pratique n’est pas dénuée de sens médical : selon René Frydman,

« On pourrait considérer, et c’est ce que je pense, qu’autour de 33-35 ans, c’est de la prévention. »9

Un second argument évoque la cohérence avec le remboursement actuel de la PMA en France. Enfin, il n’est pas toujours facile de trancher entre « social freezing » et vitrification pour raisons médicales.

La question se pose alors de savoir quoi rembourser. Deux modèles différents sont présentés (voir encadré) :

1. Un remboursement total

Une première solution consiste à proposer un remboursement complet de l’ensemble du processus. Alors que certains craignent les dérives budgétaires si l’opération est « gratuite », les partisans de cette solution argumentent que les femmes n’auront recours aux stimulations ovariennes, opérations pénibles en elles-mêmes, seulement si elles en ressentent le besoin.

2. Une prise en charge partielle

Une deuxième option est de ne rembourser que la « seconde partie » du processus, c’est à dire la décongélation des ovocytes et la FIV. Le prélèvement et le stockage de relevant pas de la nécessité médicale, ils seraient à la charge de la patiente tandis que les FIV seraient remboursées. Ce système a l’avantage d’éviter de financer la vitrification d’ovocytes qui ne sont pas utilisés par la suite. Cependant, ceci désavantage les femmes prévoyantes ayant congelé leurs ovocytes jeunes, puisque ce sont elles qui payent le stockage. Une proposition consiste à rembourser le stockage uniquement aux femmes utilisant leurs ovocytes pour une FIV. Mais ceci pourrait alors inciter les femmes à privilégier la FIV par rapport à la fécondation naturelle, puisqu’elles ne seraient alors pas remboursées.

Indépendamment du système de remboursement choisi, le cadre d’application fait débat. En effet, puisque les chances de succès diminuent grandement avec l’âge, il n’est pas forcément cohérent de rembourser de nombreuses tentatives de FIV pour une femme très âgée. Certains préconisent donc une limite d’âge, ou du nombre de FIV remboursés, comme c’est le cas au Royaume-Unis. A l’inverse, selon René Frydman,

« Si on le faisait là par contre [cas de femmes assez jeunes et simplement anxieuses, sans réelle information], comme ce n’est pas du tout médical ou dans le cadre d’une prévention, je ne vois pas pourquoi ce serait pris en charge par la sécu. »9

Mais ces limites d’âge inférieures et supérieures, sont difficiles à mettre en place, puisque la façon dont décline la fertilité varie grandement d’une femme à l’autre.

Finalement, le Comité Consultatif de Bioéthique de Belgique conclue que, si un remboursement doit être effectué par la sécurité sociale, il doit être fonction des critères « d’efficacité, d’effectivité et d’efficience ». Mais le Comité ne tranche pas sur des critères numériques à mettre en place.



Etude des différents modes de remboursement.

Une étude néerlandaise menée par Va Loendersloot6 s’est posé la question de l’impact des différents types de remboursements sur le rapport coût-efficacité de l’autoconservation sociale des ovocytes. Le but de cette étude est de comparer le coût et l’efficacité de stratégies de procréation médicalement assistées pour une femme de 35 ans entre elle et avec une stratégie témoin qui est la procréation naturelle à 35 ans. L’idée est donc d’estimer les bénéfices financiers de l’autoconservation ovocytaire à des fins de convenance personnelle à l’aide d’un modèle discret probabiliste calibré sur des données réelles. Etudions plus en détail la méthodologie et les résultats de cette étude qui est l’une des seules de la sorte à avoir été entreprise.

Explicitons d’abord le modèle d’évolution qui constituera le cadre de l’étude. Sa théorie se base sur l’utilisation du modèle de Markov. Le modèle de Markov stipule qu’il y a un nombre fini d’états de santé (les états de Markov) et qu’à un moment donné, un patient est assigné à un état exclusivement. Le modèle fonctionne sur un temps discret, qui s’incrémente par des cycles appelés cycles de Markov, qui représentent le temps minimal qu’un patient passera dans un état donné. A la fin de chaque cycle, il y a une probabilité que le patient passe d’un état à un autre. Toutes ces transitions sont définies en termes de probabilités. Pour l’étude en question, on a défini quatre états de Markov : la conception naturelle, le processus de vitrification ovocytaire ; la fécondation in vitro utilisant les ovocytes préalablement vitrifiés et la fécondation in vitro classique. Initialement, on considère une femme de 35 ans qu’on fait évoluer dans ce modèle sur un horizon temporel 10 ans puisque les chances d’accoucher à 45 ans sont presque nulles. Les transitions entre les états à l’issue de chaque cycle sont donc caractérisées par des probabilités qu’il convient de définir. Pour évaluer les probabilités d’une portée naturelle, on a utilisé le modèle de Hunault qui calcule les taux de naissance après un an d’essais naturels. Les autres données proviennent de l’Human Fertilization and Embryology Authority (HFEA). Les probabilités considérées sont regroupées dans la Figure 1 :

Figure 1 – Table des probabilités utilisée dans le modèle

Le modèle étant posé, il reste dès lors à définir les stratégies à tester et le critère qui permettra de les comparer. L’étude retient trois stratégies, choisies pour leur pertinence clinique, et qui s’appliquent à une femme de 35 ans qui voudrait reporter sa maternité jusqu’à l’âge de 40 ans. Ces stratégies sont les suivantes :

Stratégie 1 : on fait subir à la femme trois cycles de stimulation ovarienne à l’âge de 35 ans dans le cadre d’une autoconservation de ses ovocytes pour utiliser ensuite ces ovocytes congelés à l’âge de 40 ans.

Stratégie 2 : une femme à l’âge de 40 ans essaie de concevoir naturellement.

Stratégie 3 : stratégie de référence d’une femme qui essaie de concevoir naturellement pendant un an et qui se tourne ensuite vers une FIV s’il elle n’est pas enceinte au bout d’un an.

Ces stratégies sont schématisées sur la Figure 2 :

Figure 2 – Stratégies de traitement testées

Les coûts sont évalués sur la base des prix pratiqués en moyenne aux Pays-Bas au moment de l’étude, en supposant qu’ils restent constants. La Figure 3 les récapitule :

Figure 3 – Coût associés aux différents états

Enfin, l’étude doit définir un critère pour comparer le rapport efficacité-coût des différentes stratégies. Ce rapport est représenté par le calcul d’un quotient ICER (Incremental Cost-Effective Ratio), obtenu en divisant la différence de coût entre la stratégie en question et la stratégie de référence, par la différence en taux de naissance entre ladite stratégie et la stratégie de référence. L’ICER représente donc le coût additionnel par naissance supplémentaire. Plus l’ICER est faible, plus la stratégie en question est efficace.

On rappelle que l’étude vise à comparer le coût et l’efficacité de stratégies de procréation médicalement assistées pour une femme de 35 ans entre elle et avec une stratégie témoin qui est la procréation naturelle à 35 ans. On a défini le modèle probabiliste plus haut, on l’a calibré avec des données de la HFEA pour raisonner avec des probabilités réalistes, et les coûts retenus reflètent ceux qui étaient en vigueurs au Pays-Bas au moment de l’étude. Enfin, l’outil de comparaison, l’ICER, a été décrit précédemment. Le cadre ayant été posé, on ne détaillera pas les calculs qui s’en sont suivis mais on s’intéressera aux résultats déduits du modèle.

Les résultats de l’étude sont les suivants : la conservation sociale des ovocytes (stratégie 1) a donné un taux de naissances de 84,5% pour un coût moyen de 10 419€ par naissance. La conception naturelle (stratégie 2) a donné un taux de naissance de 52,3% avec un coût moyen de 310€ par naissance. Enfin, la FIV (stratégie de référence) a donné un taux de naissance de 64,4% avec un coût moyen de 7798€ par naissance. Le coût par naissance additionnelle dans le cadre de la conservation sociale des ovocytes était de 13 165€ par comparaison à une FIV. L’étude conclut alors que l’autoconservation sociale des ovocytes est plus efficace que les FIV si au moins 61% des femmes retournent collecter les ovocytes qu’elles ont congelés, et si elles acceptent de payer 19 560€ par naissance supplémentaire, d’après le modèle de Markov développé dans ce cas. Le détail des résultats est donné sur la Figure 4 :

Figure 4 – Résultats de l’étude 6

Cependant, une étude américaine de Hirshfeld-Cyton arrive à des conclusions différentes mais en ne comparant pas les mêmes stratégies, bien qu’elles s’inscrivent dans une méthode similaire d’analyse des décisions. Pour eux, l’autoconservation sociale des ovocytes coûte 135 520 dollars par nouvelle naissance, alors que les européens de Va Loendersloot notent que c’est efficace si ça coûte 24 600 dollars par nouvelle naissance. L’étude américaine se basait sur des femmes de 25 ans subissant un cycle d’autoconservation de leurs ovocytes, et qui essaie de procréer pendant 6 mois à l’âge de 40 ans, pour ensuite utiliser des ovocytes cryopréservés. Si ça ne marche pas, alors elle se tourne vers une FIV pour quatre cycles.7



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