Quelles conséquences pour les enfants issus de cette technique  ?

Nous avons déjà parlé des conséquences médicales et risques liés à la technique dans la partie : « Technique et risques ». Nous n’y reviendrons donc pas ici, et nous nous concentrerons plutôt dans cette partie sur les implications sociales qu’aurait l’autorisation de l’autoconservation des ovocytes pour la structure familiale et les enfants issus de cette technique.

Introduction : le phénomène grandissant des « grossesses tardives »

Dans une présentation délivrée au Sénat1, Joëlle Belaïsch-Allart donnait quelques chiffres à propos de l’âge de plus en plus tardif auquel les femmes ont des enfants. « Les mères de 40 ans représentent 5% des naissances en 2013 contre 1% en 1980. », était-il expliqué.

Quant à l’âge moyen à l’accouchement, il était de 26,1 ans en 1975, pour 30,3 ans en 2013. Ce phénomène des « grossesses tardives » est donc un phénomène observé à l’heure actuelle, et qui a de l’importance dans le débat qui nous intéresse.


Permettre l’autoconservation des ovocytes pour convenance personnelle : quelles conséquences pour la structure familiale, et pour les enfants issus de cette technique  ?

Autoriser cette technique risque d’encourager les femmes à avoir des enfants tardivement. Or c’est un phénomène que l’on regrette déjà…

« Les premières grossesses se réalisent à un âge de plus en plus avancé. Et ça les gynécologues essayent d’informer, mais de plus en plus les jeunes femmes essayent soit d’assurer leur avenir professionnel, soit d’assurer tout simplement un peu leur profession, un certain confort, avant de penser à une première grossesse. Les gynécologues font remarquer que cela présente beaucoup d’inconvénients, et que précisément plus une femme tarde à avoir des enfants plus elle aura du mal à en avoir… », nous expliquait Patrick Verspieren au cours d’un entretien. « Alors est-ce qu’avec cette technique de la conservation des ovocytes on va encore accélérer ce mouvement  ? On a la garantie : « Vous pouvez attendre, puisque de toute façon vous avez des ovocytes relativement jeunes en conservation ! » Mais est-ce qu’on va vraiment prendre des dispositions pour accélérer un mouvement qu’on regrette déjà  ? C’est une grande question médico-sociale. »2

Ainsi, l’autorisation de l’autoconservation des ovocytes pourrait encourager les femmes à enfanter encore plus tardivement qu’elles ne le font actuellement. Ce phénomène pourrait même être accentué par la création de nouvelles pressions en entreprise qui pousseraient dans le même sens, faisant soulever à J. Belaïsch-Allart et ses collègues cette question : « Les femmes qui auront des ovocytes congelés ne retarderont-elles pas encore plus leur désir d’enfant, volontairement ou sous la pression de leur employeur  ? »3

Pour d’autres, au contraire, les grossesses sont de plus en plus tardives pour des raisons de société, non-liées à l’autoconservation des ovocytes. Ainsi, autoriser cette technique ne serait pas encourager les grossesses tardives, mais tenter de proposer une solution technique à un problème de société qui nous concerne déjà actuellement.

Ce point de vue est développé en détail par Gillian M Lockwood dans un article pour Reproductive BioMedicine Online :« To understand why oocyte cryopreservation may come to be seen as an obvious technological response to a significant social and economic problem, the considerable shifts in socioeconomic and reproductive behaviour that have occurred during the last few decades need to be appreciated. Increasing numbers of people are either postponing parenthood or failing to achieve it at all for a complex combination of reasons that include extended educational and career aspirations (especially on the part of women), later marriage, more frequent marital and relationship breakdown, changing attitudes to material assets such that ‘personal fulfillment’ may be seen as attainable by routes other than parenthood and economic barriers to achieving an ‘idealized’ image of parenthood that involves prerequisite goals in housing or career. Despite educational campaigns to highlight the risks associated with delaying procreation, the public are more influenced by media images of celebrities that suggest that late motherhood is readily achievable if a healthy lifestyle is pursued. That the very real extensions in lifespan that have been achieved in the last 50 years cannot be translated into equivalent extensions in reproductive lifespan is neither well understood nor accepted by a society that claims that ‘40 is the new 30!’
Cryopreservation of autologous oocytes does, however, offer a realistic technological fix for what is a biological and sociological problem. Many will be appalled at the prospect of using the technology of vitrification and ICSI to achieve healthy live births of their own genetic babies for women in their forties when it is felt that they should have had those babies naturally in their twenties and early thirties. But they either weren’t ready to or couldn’t have had those babies then. Either they were not in a position to start a family because of (laudable) education or career goals or because they had not found the right partner who was willing and able to parent a child with them. Biology already discriminates against women by ensuring they are functionally infertile by their early forties; is it acceptable to sustain this discrimination by refusing access to the technology that can overcome the biological inevitability of a small number of poor-quality eggs being all that is available to try and achieve a pregnancy with assisted reproduction treatment in the early forties ? »4

Cependant ce n’est pas qu’un point de vue anglo-saxon, et des spécialistes français soutiennent également ce point de vue. « Je pense que les maternités tardives des femmes ne sont pas liées aux PMA mais plutôt à une évolution du statut des femmes dans la société. », nous expliquait ainsi René Frydman dans un entretien.5

Cet argument a également été repris par Virginie Rio : « Je ne pense pas que ça encourage les maternités tardives, parce que même là, alors qu’on n’a pas la possibilité de vitrifier ses ovocytes, l’âge de la maternité a été déjà bien repoussé. Depuis 30 ans, il ne fait que reculer. Je pense que cette boîte de Pandore a été ouverte pour d’autres raisons : parce que les filles font des études, parce que la vie est plus compliquée, et que trouver un travail stable ça prend peut-être plus de temps, et qu’on trouve un chéri, mais pas forcément celui avec lequel on veut faire des enfants, que les couples se défont plus facilement… Tout ça, ce n’est pas la vitrification des ovocytes qui le cause ! Ça existe déjà de fait. »7

Ainsi le lien entre l’autorisation de cette technique et l’augmentation de l’âge de la grossesse n’est pas toujours accepté, et Mertes and Pennings par exemple expliquent que l’hypothèse selon laquelle ce lien existerait ne peut de toute façon pas être confirmé tant que la technique n’est pas autorisée : « Whether the possibility of oocyte cryopreservation will cause a postponement of motherhood is debatable and will only be confirmed or refuted if and when elective freezing becomes widely available. »6

En ce qui concerne les enfants issus de cette technique, la question des parents plus âgés (car c’est après tout dans ce cadre-là que se placerait l’autorisation de la technique) est à soulever. Est-ce vraiment quelque chose de positif pour les enfants, quelque chose que l’on souhaite encourager  ?

« Quel est l’intérêt pour le bébé d’avoir une maman qui aurait l’âge d’une grand-mère aujourd’hui  ? », soulevait Jean-Philippe Wolf lors de notre entretien avec lui.8

Il nous expliquait ainsi que, outre les problèmes médicaux que cela soulève, avoir des parents plus âgés pouvait être vu comme un désavantage pour l’enfant : l’écart temporel entre parents et enfants pourrait renforcer l’écart en termes de mentalités et de culture, les parents auraient moins d’énergie pour élever leurs enfants (or de l’énergie, pour s’occuper d’un enfant, il en faut), etc.

Quant à l’argument disant que les hommes, eux, peuvent avoir des enfants à plus de 70 ans, le professeur ne lui donnait aucune validité. « Jusqu’à maintenant, quand les hommes faisaient, de manière très âgée, un enfant, la femme, elle, était jeune ; donc ils avaient au moins une maman qui était jeune. Là du coup si on fait la vitrification des ovocytes pour des grossesses plus tard, et la maman et le papa seront tous les deux à l’âge d’être grand-parents. Bon, je vous laisse apprécier éventuellement ce que vous pouvez imaginer… »8

Et s’il est difficile d’avoir des données à ce sujet, certaines analogies ou hypothèses probables sont à étudier. Dans sa présentation au Sénat, Joëlle Belaïsch-Allart expliquait ainsi qu’avoir un père âgé (>50 ans) n’a pas a priori d’effet psychologique dans l’enfance, mais pouvait avoir de fortes conséquences au moment de l’adolescence.1 Par analogie, avoir une mère âgée, voire deux parents âgés, pourrait avoir les mêmes conséquences sur les enfants concernés. Le Comité Consultatif de Bioéthique de Belgique s’est également penché sur le sujet, et explique dans un rapport : « Il faut remarquer que les parents plus âgés réduisent les chances d’une aide et d’un accompagnement grand-parental dans l’éducation de l’enfant. Selon certaines études, la présence des grands-parents est parfois importante pour l’éducation des enfants. L’âge plus avancé de la mère au moment de la naissance de l’enfant permettra, dans certaines circonstances, moins de contacts avec les grands-parents. Cet aspect doit être envisagé à la lumière de l’étude de Griggs et al, dans laquelle il est clairement démontré, sur la base de facteurs tant qualitatifs que quantitatifs, que l’accompagnement par les grands-parents est considéré comme un facteur important du bien-être général de l’enfant dans le cadre de rapports familiaux normaux. »9

Avoir des parents plus âgés n’est pas nécessairement un problème, tant que les parents peuvent assurer ce rôle jusqu’à ce que l’enfant atteigne l’âge adulte. On peut même y voir des avantages.

En effet, d’autres ne partagent pas ce point de vue, et verraient même à l’âge plus avancé des parents certains avantages. L’ESHRE Task Force explique ainsi dans un rapport : « With regard to the welfare of the child, helping older women to have children need not be irresponsible as long as at least one of the parents can be expected to remain healthy enough to meaningfully fulfill the parental role up until the child reaches adulthood (Health Council of the Netherlands, 1997). Moreover, older parents have some advantages (relational stability, parent – child interactions, financial situation, etc.) compared with younger parents (Pennings, 1995). Given that most women who want to have oocytes cryopreserved for later use aim to buy some extra years allowing them to have children in the early years of their fourth decade (Stoop et al., 2011b), there is no unacceptable risk either for themselves or their future children. »10

Certains de ces arguments sont également mis en avant dans le rapport (cité ci-dessus) du Comité Consultatif de Bioéthique de Belgique : « À cela s’ajouteraient des études qui démontrent qu’une parentalité plus tardive peut également présenter des avantages. » Une parentalité tardive est associée à de nombreux avantages pour les parents (et à certains avantages pour les enfants), y compris « de plus faibles pertes de revenus et des interruptions de carrière moins longues pour les mères », « une plus grande stabilité du couple », « de meilleures situations en termes de finances et de logement », « un sentiment plus fort de détenir les compétences nécessaires à la réalisation du projet parental », voire « des degrés de bonheur plus élevés des parents ». Les éléments susmentionnés donnent uniquement de manière indirecte une indication de l’effet d’un âge avancé sur les enfants. Une relation de couple plus stable entre les parents constitue donc un point positif. La pauvreté a, par exemple, un effet négatif sur le développement général d’un enfant ; une situation financière plus aisée sera par conséquent un point positif. »9



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