Démocratisation ou mort du système éducatif ?

Henri Isaac

809daa3840cf6dbeb8813375bdac8c9d_400x400Henri Isaac est maître de conférence à l’Université Paris Dauphine, il s’occupe notamment des technologies de l’information dans le cadre de l’enseignement et est chargé de mission auprès du président de la transformation numérique depuis octobre 2013. Il a également rédigé un rapport à l’Université Numérique au ministère de l’éducation.

 

Henri Isaac pense que les acteurs ne doivent pas se positionner dans une logique de « pour » ou « contre » les MOOCs mais que tout est une question de cohérence et de pertinence avec leur position, stratégie et problématique. Les institutions doivent donc élaborer une réflexion extrêmement aboutie sur leur objectif de formation et pédagogique.

Il effectue une comparaison entre les MOOCs et le e-learning (renvoie lien hyper texte vers qu’est ce qu’un MOOC ?) et une des principales différences est le présupposé de l’autonomie de l’apprenant chez les MOOCs, qui lui pose problème.

Une autre de ses préoccupations est la manière d’enseigner dans les MOOCs. Il estime que tout professeur s’adapte à son public, la manière d’enseigner diffère selon qu’il s’adresse à cinquante étudiants de M1 ou 9 étudiants lors d’un séminaire. Il reste en effet très dubitatif sur les prérequis demandés par les MOOCs, prérequis qui ne peuvent pas être vérifiés. Ce défaut de vérification ne permet pas selon lui d’amener les étudiants jusqu’au bout comme se le doit un professeur, chose très difficile quand on ne connaît pas le public auquel on s’adresse. Du fait de cette difficulté, les professeurs sont obligés de descendre en terme de complexité leur cours, même si l’on souhaite enseigner quelque chose de sophistiqué , il y’a une question de médiatisation du savoir et une question d’audience. Pour lui les MOOCs répondent à un objectif particulier et à des gens qui ont une capacité d’autonomie dans leur apprentissage importante, cela suppose en effet de la part des apprenants une motivation aussi bien intrinsèque qu’extrinsèque. Le but des universités aujourd’hui est l’insertion professionnelle, il faut donc se demander ce que permettent de faire les MOOCs, si ils répondent à cette attente, qui est pour lui la véritable problématique.

Henri Isaac revient ensuite sur le problème du public des MOOCs. Il remarque que les étudiants qu’il côtoie tous les jours ne veulent pas apprendre par le biais des MOOCs, ne voulant pas rester seuls chez eux et discuter sur des forums. A l’université ils peuvent bénéficier de tutorat et de mentorat, plus personnalisés que les MOOCs, et surtout ils bénéficient d’une vie sociale par l’existence de nombreuses associations.

Il estime également que la construction d’un MOOC est toujours une réflexion à élaborer, et que l’apprenant devrait être dans une logique de co-construction du savoir. En effet, la plupart des MOOCs lui paraissent ultra transmissifs, effectuant un mouvement très descendant, où la place de l’étudiant autonome est très peu interactive, et le connectivisme n’y a finalement que peu de place. En outre, certains sujets très complexes et sophistiqués sont difficilement adaptables en MOOCs.

De plus, le MOOC survalorise selon lui l’aspect marque prof, déjà très présent dans le système éducatif qui serait un marché de marques sur lequel les étudiants réfléchissent par rapport à un classement de marque, consciemment ou inconsciemment. Les MOOCs mettent en avant les « profs stars », mais se pose alors la question de comment choisit-on un prof pour faire un MOOC et que fait t-on des « profs non stars » ? Certains professeurs peu visibles contribuent tout autant d’un point de vue de l’apprentissage pour les étudiants à un résultat d’une bonne formation, pourtant ils ne sont pas choisis pour présenter un MOOC …

Henri Isaac propose ainsi une alternative aux MOOCs, les SPOCs : Small Private Online Courses, qui sont donc des cours en lignes, non ouverts à tous et diplômant. L’étudiant aura, en plus d’une synthèse de son cours en amphi, accès à la vidéo, à des exercices, des forums et des chats. Les SPOC ne suppriment pas le présentiel, qui servira à faire des exercices et à répondre aux questions des étudiants postées en ligne, passant ainsi à une pédagogie active dans laquelle l’étudiant va être responsable de son parcours d’apprentissage. Cela permet aux étudiants de garder un lien social avec leur professeur, chose que ne permettent pas les MOOCs. Mais une institution ne doit pas seulement proposer des cours en ligne, MOOCs ou SPOC, mais doit aussi produire des stages, du mentorat etc, choses que les cours en ligne ne peuvent pas apporter aux apprenants.

Il lui paraît inévitable que les connaissances soient de plus en plus accessibles en ligne, seulement il ne peut pas se prononcer sur le format qui serait le mieux adapté. Il a cependant remarqué que le e-learning fonctionnait bien dans le cadre de formation continue. De plus, faire un MOOC c’est très compliqué, cela ne s’adapte pas à toutes les disciplines, et les institutions ne sont pas attendues sur les mêmes sujets. L’Université Paris-Dauphine ne sera pas attendue sur les mêmes sujets que Polytechnique, et les MOOCs deviennent donc du brand content, c’est à dire un contenu de marque qui permet de rayonner et d’amener des cibles potentielles à s’intéresser à l’institution.

Henri Isaac revient ensuite sur une problématique très importante des MOOCs, la démocratisation, qu’il estime être qu’une simple illusion. Pour pouvoir suivre un MOOC, il faut être capable de travailler en autonomie et donc avoir déjà un certain niveau de formation. Or l’apprentissage par soi même n’est pas donné à tout le monde, c’est d’ailleurs pour ça qu’il y a encore des millions d’étudiants sur les campus universitaires. Les MOOCs essayeraient seulement de donner bonne conscience au système éducatif actuel mais ne répondent pas à ses enjeux. Les MOOCs n’aident des gens qui sont déjà formés, mais ceux qui ne savent ni lire ni écrire, sortis du système éducatif très tôt se retrouvent encore une fois lésés. Henri Isaac craint ainsi que les outils des MOOCs ne soient pas utilisés à bon escient, et au lieu de favoriser la réinsertion professionnelle ou d’être destinés à es personnes en situation professionnelle délicates, les MOOCs profiteraient à ceux qui ont déjà un emploi stable.

De plus, les MOOCs ne sont pas réutilisables et donc pas rentables économiquement. Un MOOC réalisé pour Total ne pourra pas être réutilisés pour Peugeot, les MOOCs se retrouvent donc quant il s’agit de formation continue, sur mesure, et cela pose de nombreux problèmes de financement.

Enfin Henri Isaac revient sur un problème réel, qui apparaît pourtant peu dans le discours des acteurs des MOOCs, celui de la propriété intellectuelle. Les MOOCs posent des problèmes quant au plagiat et aux contrats passés avec les éditeurs, les auteurs ayant écrits des livres, voulant réalisés des MOOCs à partir de leurs livres, se trouvent à cause de leurs contrats avec les éditeurs dépossédés de leurs droits et ne peuvent donc pas réaliser de MOOCs. Il faut donc clarifier le régime des ressources utilisées par les MOOCs.

Les étudiants font désormais partie d’une génération digitale, ils sont quasiment tous des ordinateurs et des portables. Henri Isaac pense qu’il ne faut pas refreiner leurs usages, mais au contraire voir ce qu’on peut en faire dans le cadre de l’éducation, essayait d’optimiser leur usage, même si ce n’est pas forcément pour le cours en soi, mais pour permettre des discussions, de créer un espace de travail etc.


Fabienne Keller →