Démocratisation ou mort du système éducatif ?

Pascal Engel

engelPascal Engel est directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales et membre du Centre de recherches sur les arts et le langage (CRAL, CNRS, EHESS). Il est titulaire de la chaire de philosophie moderne et contemporaine du département de Philosophie de la faculté de lettres de l’université de Genève.

 

Pascal Engel, qui s’est intéressé aux MOOCs en tant que philosophe et professeur à travers l’étude des problèmes entourant la connaissance, est un fervent critique des cours en ligne ouverts et massifs. En effet, il ne croit pas qu’il s’agit d’une révolution technologique. Il explique qu’à leur création, l’objectif était de remplacer l’université traditionnelle mais cette idée lui semble utopique. D’ailleurs, il avance le taux d’échec comme preuve de l’insuccès de ce système. Il estime que les MOOCs ne peuvent s’inscrire qu’en complément de l’enseignement présentiel classique, en tant que ressources de travail.

Il insiste sur le fait qu’il n’est pas opposé à la technologie. De fait, il trouve formidable cette possibilité de stockage de connaissances. Toutefois, il pense que l’enseignement est une activité sociale et non une activité solitaire car un bon enseignement nécessite des interactions sociales et des échanges entre professeurs et élèves. Il s’agit, selon lui, d’un « changement de vitesse permanent ». Ainsi, il est nécessaire de s’adapter aux élèves que l’on a en face de soi. Or, les MOOCs sont standardisés et ne permettent de modifier la façon d’enseigner du professeur, selon le public qui l’écoute.

Les MOOCs seraient dès lors un outil permettant aux pouvoirs publics de faire des économies sur le nombre de professeurs et les locaux utilisés. Néanmoins, le lancement d’un MOOC est cher et toutes les universités ne peuvent pas se le permettre, d’autant plus qu’ils peuvent s’avérer rapidement obsolètes (il faudrait les refaire tous les 3 ans selon le directeur de l’ENS). Il soulève donc comme un paradoxe.

Il défend un échange vertical du savoir. Selon lui, le savoir se transmet des professeurs aux « apprenants ». Tout du moins, il est convaincu que le savoir part d’un « sachant » et qu’on ne « construit pas son savoir » ; c’est une illusion de croire que l’étudiant peut apprendre seul. Il existe deux types d’enseignements : les enseignements techniques qui correspondent assez bien à la forme des MOOCs et les enseignements plus théoriques que les MOOCs ne peuvent transmettre puisqu’ils ne permettent pas de s’approprier la totalité d’une pensée, ou d’une argumentation, pour pouvoir construire la sienne. Or, Pascal Engel attribue deux rôles à l’université :

  • Délivrer une formation professionnelle,
  • Elargir la culture générale de ses étudiants dans une optique non utilitariste des études.

Ainsi, il conceptualise l’enseignement non seulement comme la transmission d’informations mais également comme l’apprentissage de la manière d’utiliser les connaissances et d’avoir un regard critique ; tant de compétences incapables d’être transmises par les MOOcs, selon lui.

Il dénonce le leurre que serait la démocratisation de l’enseignement par les MOOCs car la fracture technologique empêche de nombreux pays peu développés d’accéder à ces cours. En effet, les MOOCs nécessitent une connexion internet et des équipements auxquels tout le monde n’a pas accès. De plus, seuls les cours d’introduction sont gratuits, servant ainsi de simples vitrines pour attirer des étudiants. Par ailleurs, un développement accru des MOOCs créerait un système à deux vitesses partageant ceux qui suivraient les cours via des MOOCs et ceux qui pourraient bénéficier de l’enseignement en présentiel dans les grandes écoles.

Aussi, il s‘interroge sur la certification envisageable dans les MOOCs. Ils ne peuvent pas avoir de valeur diplômante, n’étant pas des formations équivalentes aux formations universitaires classiques. En outre, il est très difficile de contrôler l’identité des participants aux MOOCs. De même, à cause du nombre d’élèves suivant les MOOCs il est possible uniquement de réaliser des évaluations automatisables sous forme de quizz ou de QCM, ne permettant alors pas, dans certaines disciplines, de contrôler si l’étudiant a bien intégré et/ou compris son cours. En effet, il faudrait qu’il réutilise ses connaissances dans une argumentation propre mais le coût serait démesuré pour corriger des milliers de copies. Par ailleurs, il note que l’absence de certification reconnue ne permet pas à l’employeur de savoir si le salarié prétendant avoir suivi un MOOC l’a réellement fait.

Enfin, il aborde la problématique de la privatisation de l’enseignement. Pascal Engel pense que l’enseignement doit toujours être encadré et dirigé par les pouvoirs publics afin de contrer le risque d’un formatage des connaissances enseignées, dans le but de correspondre aux demandes et besoins des entreprises. Le rôle de l’Education Nationale est de rendre la connaissance « accessible à tout le monde et utilisable par tout le monde ». La formation professionnelle adaptée aux uniques besoins de sociétés privées doit rester à l’intérieur de celles-ci et non pas envahir l’université.


Henri Isaac →