Neuromarketing : une amélioration ou un remplacement du marketing ?

Méthodes traditionnelles VS neuromarketing

Le marketing, avant l’apparition du neuromarketing, utilisait des techniques fondées sur la sociologie et la psychologie [1]. Ils continuent de le faire mais elles sont moins prépondérantes aujourd’hui. Les méthodes traditionnelles sont pour la plupart qualitatives. Elles peuvent prendre la forme d’entretiens approfondis ou semi-réflexifs ou bien du focus-group. Le focus-group consiste à faire parler un groupe sur un produit qu’on lui présente et d’étudier les réactions de chacun. Il nécessite donc des connaissances sociologiques pour analyser les données récoltées.

Le neuromarketing quant à lui se fonde plus sur des techniques neuroscientifiques et sur des instruments de neuroimagerie cérébrale notamment.

Une des questions souvent posées lors des débats sur le neuromarketing est la suivante :
Va-t-on abandonner les anciennes méthodes ou les compléter avec le neuromarketing ?

Étienne Bressoud, fondateur du club neurosciences et marketing de l’Adetem, a insisté, lors de notre entretien, sur le fait qu’ils sont eux-même sceptiques quant à la capacité du neuromarketing à remplacer les méthodes traditionnelles.

« On ne part pas du postulat que le neuromarketing va tout révolutionner »

Oliver Oullier considère que l’utilisation des techniques de neurosciences est un complément au marketing traditionnel. Cela se justifie par le fait que les méthodes traditionnelles sont souvent complétées de mesures psychophysiques mesures de l’activité électrodermale, l’eye-tracking, le rythme cardiaque (qui vous seront présentés plus amplement dans la deuxième partie). Étienne Bressoud nous disait qu’ils utilisaient ces mesures en complément des techniques d’entretiens. Pouvoir donner un indicateur émotionnel ne donne aucune information si l’on n’étudie pas le contexte qui procure cette émotion.  Ces différentes méthodes ont pour point commun de toutes passer par le langage. On fait parler le consommateur seul ou en groupe, en situation d’achat ou en entretien. Les données récoltées sont ensuite codées et analysées selon des techniques psychologiques et sociologiques.

Les méthodes scientifiques apportent une forme d’objectivité et valident ou non des construits théoriques.

Pour Richard Silbertein, le PDG du cabinet Neuro-Insight, les méthodes traditionnelles sont encore :

« une alternative valide et compétitive alors que je suis persuadé que les méthodologies neuromarketing valides apporteront de substantielles contributions à l’industrie publicitaire, je ne crois pas qu’elles supplanteront les techniques actuelles. Les deux sont complémentaires et nous avons montré que des techniques EEG renforceraient l’activité des techniques qualitatives telles que focus-group ».

La neuro-imagerie est plus chère aujourd’hui que les méthodes traditionnelles. À l’heure actuelle le prix moyen d’un scanner dans un laboratoire est de 500 000 dollars par heure. Dans le cadre d’une entreprise commerciale le prix est plus élevé. Notre interlocutrice de Brain Impact est cependant restée assez vague quand au prix d’une prestation de l’agence. Mais le coût de ces méthodes tend à diminuer rapidement. Des spécialistes disent même que d’ici cinq ans, elles seront moins chères que les méthodes traditionnelles[2]. Les marketeurs espèrent donc que la neuroimagerie procurera une meilleure répartition coûts-bénéfices.

Lors de notre entretien avec Pauline Renversé, notre interlocutrice de Brain Impact, une agence de neuromarketing de Bruxelles, celle-ci nous a spécifié que les personnes interprétant les données des expériences sont des professionnels du marketing ayant reçu une formation spécialisée en statistique et en neurosciences. La collaboration entre les entreprises et les laboratoires semblent être le fondement du neuromarketing. Etienne Bressoud nous disait que dans le club de l’Adetem de professionnels du marketing, sont invités à chaque réunion des scientifiques pour apprendre et discuter des nouvelles techniques qui se font. Pour le moment, les instruments de neuroimagerie coûtant très chers, il est fréquent que des professionnels ou des chercheurs louent du matériel aux hôpitaux par exemple [2]. Les hôpitaux eux-mêmes louent ce type de matériel, à cause du budget relativement réduits des hôpitaux et du prix excessif des instruments.

Cependant cette pratique choque certaines personnes comme D. Courbet qui s’exclame dans l’émission la Tête au carré [3] « laissons le peu d’IRM qu’on a aux médecins et aux malades ». La revendication de D. Courbet peut d’autant plus se justifier que les listes d’attente pour des IRM au Québec par exemple ne cessent d’augmenter.

Portée du neuromarketing

Arnaud Petre, le créateur de BrainImpact, présente le neuromarketing comme une science qui essaie de satisfaire le consommateur. On revient à l’idée selon laquelle le marketing ne permet pas simplement aux entreprises d’augmenter leur profit.

Comme nous l’avons déjà dit, l’économie comportementale a ouvert la voie au neuromarketing. Mais selon Brian Knuston, la neuroéconomie ou l’économie comportementale peut aussi aider le consommateur à mieux comprendre ses propres besoins. On pourrait donc voir une portée sociale au neuromarketing.

Néanmois si le consommateur comprend mieux ses besoins, il est plus facile pour l’entreprise de les cibler dans sa publicité et donc d’augmenter son profit. Le but du marketing est donc lui-même déjà controversé.

Le neuromarketing est présenté par O. Droulers et B. Roullet comme un « faisceau de disciplines scientifiques qui va durablement changer notre vision de l’homme ». Cette vision donne une grande portée au neuromarketing. On peut d’ailleurs voir l’influence que le neuromarketing peut avoir dans d’autres domaines que celui du marché.

Il n’est pas utilisé que dans le domaine de la publicité, il l’est également pour les campagnes de prévention, telles que celle sur les paquets de cigarettes. Cependant Martin Lindström affirme que mettre les messages de santé tels que « fumer tue » sur les paquets de cigarettes est totalement inefficace, car on finit par associer le message de santé à la sensation de plaisir procurée par la nicotine [2].

Le neuromarketing est même utilisé pour les campagnes politiques. Bush en 2004 a utilisé des méthodes de neuromarketing pour améliorer ses vidéos et affiches de campagne électorale. Le choc qu’a provoqué cette information montre que bien que le neuromarketing semble accepté (à l’exception peut-être de la France, ce que nous verrons par la suite), son utilisation dans d’autres domaines que celui de la vente reste controversée.

Non seulement son utilisation est controversée, mais son efficacité l’est également. Olivier Oullier lui-même affirme:

« le bouton d’achat n’existe pas, c’est scientifiquement faux, mais c’est un bon élément marketing. »

Olivier Droulers disait quant à lui:

« Le risque, c’est que certaines sociétés de conseils revendiquent une expertise neuromarketing, sans pour autant posséder les compétences scientifiques nécessaires pour utiliser des instruments et des techniques complexes ».

Certains vont même jusqu’à remettre en cause la toute-puissance des neurosciences elles-mêmes. Craig Benett, un post-doctorant à l’université de Californie, a observé des IRMf d’un saumon mort à qui il a présenté des photos d’êtres humains. Il a ensuite présenté ses résultats dans un colloque de neurosciences à San Francisco en 2009, dans lequel il a montré que les IRM présentaient une trace d’activité positive. Par cette expérience, il démontre que l’IRM décomposant la représentation en plusieurs dizaines de milliers d’unités, les « voxels », il peut arriver que le hasard fasse surgir une combinaison de voxels présentant un « faux positif », soit un phénomène repéré à tort. Cette expérience lui permet de montrer les interprétations aberrantes qu’on peut obtenir d’une expérience dépourvue de comparaisons multiples.

Cela n’empêche tout de même pas  au neuromarketing de s’étendre. Depuis 2012 le Neuromarketing World Forum a été crée. Il s’est déroulé cette année à Dubai du 4 au 6 avril 2016.

Le neuromarketing ou comment vendre plus grâce à la science


[1] Droulers D., Roullet B., Neuromarketing : le marketing revisité par les neurosciences du consommateur, 2011

[2] L. Serfaty, Des citoyens sous influence, 2009

[3] La tête au carré, France Inter, 23 septembre 2014 : Le neuromarketing