Médiatisation et publicité


Les entreprises phytosanitaires s’expriment ensemble publiquement par le biais d’organisations comme l’UIPP ou l’ECPA (European Crop Protection Association, miroir de l’UIPP au niveau européen), et ne semblent pas communiquer de façon individuelle : parmi les entreprises contactées, aucune ne nous a répondu, et seule l’ECPA nous a accordé un entretien, à travers son directeur Jean-Charles Bocquet, ancien directeur de l’UIPP. Elles s’adressent auprès du grand public par le biais de campagnes de sensibilisations, comme « with or without », « hungry for change » ou « Pesticides: on peut se poser des questions, on peut aussi y répondre », qui date de 2005 et qui était diffusée dans des magazines comme Elle ou Gala.

La stratégie de communication adoptée par les organisations d’entreprises phytosanitaires consistait auparavant à nier les accusations portées aux pesticides en se fondant sur l’idée que si les pesticides sont utilisés, c’est qu’ils répondent à une norme d’homologation garantissant la sécurité de leur emploi. Selon Jean-Charles Bocquet, une telle argumentation n’est plus adaptée à la crainte exprimée par la société concernant les risques liés aux pesticides :

« Le constat en fait, il n’est pas d’aujourd’hui, on le fait depuis quelques années et moi en particulier, puisqu’en gros, ça fait 40 ans que je suis dans ce métier… on a été nuls… on a mal réagi dans les années 70 – 80, quand les questions ont commencé à être posées, sur les dangers des pesticides, etc… notre argument à l’époque c’était : les produits sont homologués  ; et donc on ne prenait pas suffisamment en compte, les peurs et les interrogations des citoyens. Et là on paie cash aujourd’hui parce que tout ça ça s’est accumulé… la peur… parce que les gens ne voient pas l’utilité des pesticides. »

Néanmoins, cet argument consistant à nier le danger en invoquant l’homologation du produit est toujours utilisé pour répondre aux problèmes posés par les effets à faibles doses et les effets cocktails.

La stratégie actuelle, dont les prémisses apparurent en 2005 avec la campagne de sensibilisation de l’UIPP « Pesticides: on peut se poser des questions, on peut aussi y répondre », est celle développée dans « with or without » ou « hungry for change ». Elle consiste à tenter de prouver la nécessité d’utiliser des pesticides et à les dédiaboliser en avançant les bienfaits des pesticides sur la qualité des aliments. En effet, Jean-Charles Bocquet affirme que :

« On peut perdre jusqu’à 40% des récoltes chaque année si on n’utilise pas de pesticides. Alors après derrière, on participe à des événements. Notre stratégie, c’est de faire beaucoup en sociaux média, donc Twitter essentiellement, parce qu’on n’a pas les moyens de se payer des pages de publicité dans le métro. »

Cette argumentation est également celle développée dans la plaquette de l’UIPP.

Toutefois, dans certains cas, les affirmations avancées par les entreprises phytosanitaires s’avèrent controversées voire trompeuses, comme pour la campagne « Pesticides: on peut se poser des questions, on peut aussi y répondre », qui stipulait que :

« [Les pesticides] sont conçus pour protéger les plantes contre les maladies, les insectes nuisibles et les mauvaises herbes, dans le respect de la santé de l’homme et de l’environnement. »

Une telle affirmation n’est pas justifiée et peut même être qualifiée de mensongère. C’est pourquoi l’association Générations Futures a engagé des poursuite judiciaires à l’encontre de l’UIPP pour « que les responsables de l’UIPP prouvent tout ce qu’ils affirment dans leur campagne, notamment sur l’innocuité des pesticides. Pour une fois, la charge de la preuve sera inversée », explique François Veillerette, président de l’association Générations Futures, (Les pesticides au cœur de la controverse. Ludivine Hamy. 08 mars 2005 [Consulté le 02 février 2016])

Si les entreprises phytosanitaires sont capables de biaiser l’information, certains médias le sont également selon Jean-Charles Bocquet. Il nous a en effet confié lors de notre entretien que le débat auquel il a participé dans le reportage « Cash Investigation » diffusée sur France 2 (Elise Lucet. Cash Investigation. 02 février 2016. France 2.) a été tronqué en sa défaveur.

Les industries phytosanitaires s’adressaient auprès des agriculteurs par le biais de publicités dans des revues spécialisés jusqu’en septembre 2014, date à laquelle il fut interdit de faire la promotion de produits phytosanitaires. Sur ce terrain encore, certaines publicités étaient mensongères, comme l’affirme Xavier Desouche, président de la chambre d’agriculture de la Charente, viticulteur et agriculteur dans Charente Libre : Pesticides : le terrifiant constat des médecins. 25 octobre 2014. 

« Le glyphosate d’ailleurs, il y a trente ans, on nous disait qu’on pouvait le boire au verre et qu’il était biodégradable à 99%. Aujourd’hui, on sait que c’est faux. »

Dans ce combat à distance entre deux groupes d’acteurs aux opinions opposés, on peut se demander si les anti-pesticides ne sont pas étouffés par les pro-pesticides ; quelle est l’importance du poids des lobbys, en particulier aux niveaux politique et législatif ?