Question des faibles doses

Un autre aspect de l’étude de l’impact des pesticides sur le corps est celui de l’étude des faibles doses. On désigne par les faibles doses les doses inférieures aux doses utilisées dans les tests d’évaluation en toxicologie. Dans un premier temps, les pesticides n’agissent pas forcément de façon monotones : en fonction de la dose d’exposition l’effet des pesticides sur le corps humain est plus ou moins fort, une dose faible pouvant entrainer des effets plus importants qu’une dose plus forte. La relation de bon sens supposant qu’une augmentation de la dose augmente les risques n’est pas forcément vraie.

Selon Gilles-Eric Serallini les pesticides induisent, à des faibles doses, des perturbations dans les mécanismes hormonaux et nerveux de l’être humain. Il faut savoir que les effets des hormones ne sont pas linéaires. Aussi, la même hormone peut avoir des effets antagonistes selon la dose à laquelle elle est administrée. Considérons par exemple les œstrogènes : à très haute dose, ils empêchent l’ovulation chez la femme (effet pilule) tandis qu’à des doses plus faibles, ils favorisent cette dernière.

De plus il faut pouvoir considérer l’effet des pesticides sur des durée d’exposition longues. Il s’agit d’étudier des effets de cumulation ou de répétition d’exposition à certaines substances.

À ces deux effets s’ajoute le phénomène d’effet cocktail, où le mélange et l’action combinée de certaines molécules entraine des réponses pour de expositions à faibles doses.  Ce n’est qu’à partir de récemment que les scientifiques ont commencé à étudier cet effet plus précisément, ce qui rend l’apport de l’expertise scientifique incertain.

Cet effet des faibles doses remet aussi en question les standards d’étude des pesticides. En effet, les produits ne sont généralement pas testés à des doses faibles pour étudier leur impact sur la santé ou l’environnement, ni même sur des durées suffisamment longues pour pouvoir appréhender les effets sur le long terme des faibles doses. Ainsi les prescriptions qui émergent de ces études peuvent donc être incomplètes et non adaptés aux situations auxquelles elles cherchent à répondre, notamment dans le cas d’autorisation de mise sur le marché par exemple.

De plus il est difficile de quantifier l’exposition à faible doses d’un agriculteur.  En effet cette exposition, qui doit se faire sur une longue durée, a des causes difficilement identifiables contrairement à une intoxication comme dans le cas de l’affaire Paul François où la source a pu être clairement repérée, à savoir le nettoyage d’une cuve qui avait servi à stocker des pesticides.

Cela rend finalement difficile la reconnaissance d’une maladie issue d’une exposition aux pesticides en tant que maladie professionnelle du fait d’une juridiction encore floue, d’un effet encore peu connu scientifiquement et d’une exposition difficile à quantifier et à prouver.

Les entreprises phytosanitaires, représentées par l’ECPA, n’admettent pas l’importance d’effets sur la santé des agriculteurs liés à une intoxication régulière et à faibles doses, sous prétexte qu’il n’existe pas de consensus scientifique en la matière pour justifier d’un lien entre les effets en question et les pesticides. En effet, les conclusions actuelles dans la sphère scientifique sont des liens supposés, établis par de nombreuses études épidémiologiques et de cas témoins, dont les résultats sont comparés et synthétisés dans l’étude « Pesticides : Effets sur la santé » de l’INSERM parue en 2013. La synthèse de cette étude ne fait qu’aborder le problème des faibles doses en préconisant la mise en place de moyens scientifiques pour déterminer le risque lié à de tels effets :

« L’analyse des mécanismes d’action confirme que les risques sanitaires liés à l’exposition à ces molécules de pesticides doivent être reconsidérés avec attention. Elle souligne qu’en plus des études toxicologiques réglementaires, aboutissant à la mise sur le marché des pesticides, un certain nombre de leurs effets biologiques chez l’Homme devraient être pris en considération, surtout pour des molécules auxquelles l’Homme est exposé à faibles doses sur de longues durées et sous forme de mélanges »

Comme pour les risques liés à l’effet cocktail, l’absence de méthode d’évaluation des risques liés aux expositions à faibles doses prive l’Anses de moyens de trancher sur la question. Ainsi, l’évaluation de ce risque est ignorée dans le processus d’homologation des pesticides. En effet, Jean-Charles Bocquet affirme que « les propositions de l’EFSA et l’Anses montrent qu’aujourd’hui, il n’y a aucun élément scientifique qui permette de dire que l’approche traditionnelle, donc que c’est la dose qui fait le poison, doit être remise en cause »

Toutefois, selon Jean-Charles Bocquet, « Aujourd’hui la réglementation a évoluée, et donc l’Anses en France va mettre en place un comité de épidémio-surveillance ou de biovigilance, qui justement organise la vérification et le suivi des effets potentiellement indésirables sur la santé sur l’environnement des pesticides. Avant ça c’était fait surtout par les firmes, donc aujourd’hui il y a l’Anses qui est en train d’organiser un système de surveillance post homologation des pesticides, pour justement tenter de répondre d’une manière plus scientifique à ces allégations ou à ces interrogations qui sont posées par certains »

Finalement, le problème de l’effet cocktail ou de la question des faibles doses rend impossible une décision scientifique tranchée, ce qui relance le débat entre les pro-pesticides : les entreprises phytosanitaires qui mettent en valeur l’efficacité de leurs produits, et les anti-pesticides, notamment les associations de victimes.