Pourquoi changer la loi ?

La loi sur le renseignement a été rédigée pour mettre en place un système plus contrôlé et dans un cadre mieux établi : se pose alors la question de la nécessité de cette loi.

Cour européenne des droits de l’homme (© CherryX per Wikimedia Commons)

Le gouvernement et le rapporteur de la loi insistent sur les flous juridiques que cette loi vient combler. En effet, la Cour européenne des Droits de l’homme a sommé la France de clarifier ses lois autour du renseignement. En la matière, la France est sérieusement en retard : là où d’autres pays européens ont modifié leur législation dans les années 90 voire 2000 comme la Suède, la Suisse ou encore l’Espagne, la dernière loi française en la matière date du début des années 1990. Il s’agit de la loi sur les interceptions téléphoniques de juillet 1991. Ainsi, cette loi est vue comme urgente par certains, non dans le sens communément entendu, c’est-à-dire à cause des attentats, mais parce qu’elle vient dépoussiérer les pratiques du renseignement. Il semble aussi logique qu’au vu des évolutions technologiques majeures du dernier quart de siècle, la législation ne puisse pas rester figée.

La loi du 10 juillet 1991 crée la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS), autorité administrative indépendante française ayant pour but premier de vérifier la légalité des autorisations d’interception (écoutes téléphoniques non-judiciaires, contrôle étendu à compter de 2003 aux interceptions demandées en urgence absolue).

La commission est composée de trois magistrats, d’un secrétaire-comptable, d’un assistant et d’un chauffeur. La commission est présidée par une personnalité désignée, pour une durée de six ans, par le président de la république. Elle comprend également un député et un sénateur, désignés chacun par le président de leur assemblée respective. Être membre de la commission empêche d’entrer au gouvernement.

Cette loi prévoit que la CNCIS n’exerce qu’un contrôle a posteriori des autorisations d’interception mais dans la réalité, la pratique du contrôle préalable à la décision d’autorisation a été instaurée avec l’accord du premier ministre dès les premiers mois de fonctionnement de la Commission. La CNCIS autorise les écoutes, à « titre exceptionnel » et pour la recherche de renseignements si le motif fait partie d’au moins un des cinq suivants :

  • la sécurité nationale,
  • la sauvegarde des éléments essentiels du potentiel scientifique et économique de la France,
  • la prévention du terrorisme,
  • la prévention de la délinquance et de la criminalité organisée,
  • la prévention de la reconstitution ou du maintien de groupements dissous en application de la loi du 10 janvier 1936, et généralement pour une durée limitée de quatre mois, rarement renouvelée.

 

Son avis consultatif est généralement suivi par le Premier ministre, qui prend la décision, et le Groupement Interministériel de Contrôle (GIC), qui l’exécute.

Le 21 janvier 2010, la commission autorise les ministères de l’Intérieur et de la Défense à obtenir la liste des appels téléphoniques passés depuis un poste sans demander d’autorisation à l’opérateur. En 2014, la CNCIS dispose d’un quota de 2 190 interceptions, c’est-à-dire qu’elle ne peut écouter que 2 190 personnes à la fois. Les attentats de janvier 2015 en France feront passer ce quota à 2 700.

 

Le dernier président en date de la CNCIS, Jean-Marie Delarue, explique sur le site Next INpact son point de vue sur l’efficacité de la commission et ses désapprobations concernant la prochaine disparition de cette dernière. Les avis de l’actuelle CNCIS sont simples en ce sens que le Premier ministre est libre de les suivre ou non. Elle émet en tout cas un avis défavorable « lorsque les conditions légales ne sont pas remplies ou quand il existe des interrogations sur le bien-fondé de la demande, par exemple lorsque quelqu’un est présenté comme extrêmement dangereux alors que les faits sont anciens. Lorsque nous estimons que l’autorisation a été donnée contra legem [illégalement], la loi de 1991 nous autorise à adresser une recommandation au Premier ministre pour lui demander d’interrompre l’interception illégale. ». La présence croissante de risque terroriste et l’actuelle conjoncture géopolitique a conduit récemment à plusieurs refus du Premier Ministre à stopper les écoutes jugées illégales par la CNCIS.

 

Cette illégalité des écoutes peut apparaître sous différentes formes, notamment par des « pratiques courantes illégales » qui seraient devenues communes telles que la mise sur écoute d’un ensemble de personnes lorsqu’une seule d’entre elles est considérée comme suspecte.

 

En conséquent, Jean-Jacques Urvoas avance que cette loi vient légaliser ces pratiques qui s’étaient mises en place hors de tout contrôle. Les scandales révélés par Edward Snowden ont montré l’étendue de la surveillance par certaines agences si elles ne sont pas strictement contrôlées. Non seulement la NSA espionne un grand nombre de ses citoyens, mais les agences de renseignement de plusieurs pays, les “Five eyes”, partagent entre eux des informations sur leurs citoyens, grâce à l’avantageux vide juridique sur la surveillance à l’international. Cet exemple montre donc que les agences de renseignement profitent pleinement des possibilités offertes par les nouvelles technologies, et qu’il est urgent de légiférer. Néanmoins, beaucoup de détracteurs affirment que cette loi donne la priorité à la sécurité au détriment des libertés publiques. Gaspard Koenig de GenerationLibre, à qui nous avons parlé, pense que la réaction aux attentats a engendré un climat de peur. Finalement, d’après lui, cette loi revient à désavouer nos principes et donc à une défaite face au terrorisme.