Une loi « équilibrée » ? « mesurée » ?

Jean-Marc Manach explique dans les conférences qu’il a données à Pas Sage en Seine en 2015 que la partie qui devrait nous inquiéter n’est pas celle qui concerne les boîtes noires, mais celle qui concerne les interceptions des communications provenant de l’étranger. De fait, la loi est plus floue à ce sujet, et les dérives pourraient apparaître à ce niveau. La loi parle explicitement des interceptions des communications de l’étranger dans l’article Art. L.854-1 :

 « Dans les conditions prévues au présent chapitre, peut être autorisée, aux seules fins de défense et de promotion des intérêts fondamentaux de la Nation mentionnés à l’article L. 811-3, la surveillance des communications qui sont émises ou reçues à l’étranger. »

De plus,

« Le Premier ministre désigne, par une décision motivée, les réseaux de communications électroniques sur lesquels il autorise l’interception des communications émises ou reçues à l’étranger »

Les clauses de mise sous surveillance sont moins clairement définies que pour les mises sous surveillance sur le territoire national. Des inquiétudes ont été émises au sujet de cet article de la loi. Comment contrôler les services de renseignement pour ne pas qu’il y ait pas de dérives ? La loi renseignement prévoit la création d’une nouvelle commission, la CNCTR. Sa composition, si elle est équilibrée, devrait permettre d’éviter de telles dérives.

 

Or, la question de la composition de la commission a été soulevée à plusieurs reprises. Un argument récurrent a été que la justice est peu voire pas sollicitée dans le processus de mise sous écoute. La CNCTR est composée de trois députés, trois sénateurs, trois membres de Conseil d’Etat, trois magistrats de la cour de cassation et une personnalité qualifiée en matière de communication électronique. Cette commission n’a qu’un pouvoir consultatif. L’ordre des avocats de Paris a notamment dénoncé le fait que seul un juge administratif était présent dans la procédure, et selon eux, seul un juge judiciaire peut assurer la protection des libertés. La question  même d’une commission « équilibrée » a donc été évoquée de manière importante dans les débats autour de la loi.

 

Néanmoins, la loi prévoit des recours possibles pour les citoyens, si ceux-ci pensent être mis sous surveillance de manière injustifiée. Le Conseil d’État peut être saisi par tout citoyen s’estimant lésé dans une procédure de mise sous surveillance justifiée ou non. En cas de saisine du Conseil d’État, le juge mis en charge de l’affaire peut avoir accès à l’ensemble des éléments du dossier. Un recours juridique est donc possible, mais en fin de procédure, la mise sous surveillance ayant été décidée au préalable.

La loi est-elle équilibrée ? Est-elle proportionnée suivant les fins qu’elle vise ? La notion même de proportionnalité est inscrite dans la loi dans l’article 853-3-1 :

« Dans le respect du principe de proportionnalité, l’autorisation du Premier ministre précise le champ technique de la mise en œuvre de ces traitements. »

Toute la question est bien de savoir si les moyens mis en oeuvre sont proportionnels aux fins visées.